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"Andromaque, je pense à vous..." un superbe récital poétique et musical, à travers l'imaginaire des figures féminines de l'Antiquité grecque
Si la dame de Vix nous fascine, depuis des décennies, par le mystère qui entoure son prsonnage, et qui subsiste, alors même que sa présence au Musée de Châtillon sur Seine tend à nous la rendre presque familière, elle n'est pas seule : les innombrables figures féminines nées dans l'Antiquité grecque, et, à notre insu parfois fécondent nos mémoires...
Les artistes, poètes , musiciens, se sont, de tous temps, emparés de ces figures féminines antiques et les ont fait vivre devant nous.
Ainsi Charles Baudelaire, dans les Fleurs du Mal, évoque Andromaque :
Andromaque, je pense à vous ! ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L'immense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,
A fécondé soudain ma mémoire fertile...
C'est ce poème de Baudelaire qui a donné le titre d'un superbe récital poétique et musical avec un récitant, le célèbre poète Michel Lagrange et deux pianistes virtuoses Julie Sandler et Ludovic Disseau.
Nous avons eu l'honneur et l'immense plaisir d'assister à ce récital magique dans les locaux du Musée du Pays Châtillonnais-Trésor de Vix le vendredi 15 juillet 2016
Madame Félicie Fougère, Conservatrice du Musée du pays Châtillonnais-Trésor de Vix, a dit son immense plaisir d'accueillir de grands artistes pour un récital exceptionnel alliant poésie et musique.
Robert Fries, Président des Amis du musée du Pays Châtillonnais, a présenté le programme de ce concert-lecture :
Les textes poétiques qui jalonneront ce parcours dialoguent par delà les siècles et les millénaires : Sophocle est bien le contemporain des poètes qui, aujourd'hui encore puisent leur inspiration dans l'Antiquité grecque, et dans ce que le paysage de Vix leur en a légué.
Ces textes se verront prolongés, préparés, éclairés par des oeuvres musicales : la musique, comme la littérature, s'abreuve depuis des siècles aux sources grecques, de façon plus ou moins explicite, et les pièces qui composeront ce programme sont issues de moments qui ont particulièrement rendu hommage à la Grèce.
Robert Fries a ensuite présenté les artistes: le poète Michel Lagrange et les pianistes Jukie Sanders et Ludovic Disseau actuellement en master class de l'Académie d'été dirigée par Anne Quéffelec, à Noyers sur Serein.
J'ai choisi quelques poèmes si bien interprétés par Michel Lagrange, accompagnés souvent au piano, à quatre mains, par des musiciens exceptionnels, pour illustrer cet article...
Leconte de Lisle (1818-1894) Le Vase.(extrait)
Reçois, pasteur des boucs et des chèvres frugales,
Ce vase enduit de cire, aux deux anses égales.
Avec l'odeur du bois récemment ciselé,
Le long du bord serpente un lierre entremêlé
D'hélichryse aux fruits d'or. Une main ferme et fine
A sculpté ce beau corps de femme,œuvre divine,
Qui du pélops ornée et le front ceint de fleurs
Se rit du vain amour des amants querelleurs...
André Chénier (1762-1794) Sur un groupe de Jupiter et d'Europe (extrait)
Etranger, ce taureau qu'au sein des mers profondes
D'un pied léger et sûr tu vois fendre les ondes,
Est le seul que jamais Amphitrite ait porté.
Il nage aux bords Crétois. Une jeune beauté
Dont le vent fait voler l'écharpe obéissante
Sur ses flancs est assise, et d'une main tremblante
Tient sa corne d'ivoire, et les pleurs dans les yeux
Appelle ses parents, ses compagnons, ses jeux,
Et redoutant la vague et ses assauts humides,
Retire et veut sous soi cacher ses pieds timides...
Ce taureau, c'est un Dieu, c'est Jupiter lui-même...
La vierge tyrienne, Europe, son amour,
Imprudente, le flatte; il la flatte à son tour...
Sophocle (-497/496..-406/405) Antigone (traduction de Marguerite Yourcenar)
On m'a dit autrefois que, subissant son sort,
La Phrygienne Niobé
Est assise au pied d'un rocher
Elle est là, son vieux front est courbé
Sous le malheur, et peu à peu sa chair se fêle ;
Le lierre à ses veines se mêle,
La pluie s'instille sous sa peau; la blanche neige
Couvre ses longs cheveux; le vent glacé l'assiège.
Mais ses pleurs sont brûlants, et dessous sa paupière
S'écoulent jour et nuit, bien qu'elle soit de pierre.
Et moi aussi, un dieu dans le malheur va me coucher...
Scarron (1610-1660) Virgile travesti (extrait)
Elle baisa deux fois la couche
Couche où la dame se perdit,
Comme je vous l'ai déjà dit;
Et puis après, toute changée :
Mourons, et sans être vengée,
Dit-elle. C'est là le destin
Que doit avoir une putain;
Et qu'Æneas, voyant reluire
La flamme qui me va détruire,
Ait le cerveau tout étonné
De ce présage infortuné.
Ayant parlé de cette sorte,
On la vit tomber demi-morte,
Sans dire un mot d'in manus
Un glaive entre ses tétons nus
Avait fait un large passage
Par où cette dame peu sage
Répandit de bon sang humain
Par terre, non pas plein la main,
Mais plein une bonne écuellée;
Et son âme, parmi mêlée,
S'en alla je ne sais pas où.
Après ce bel acte de fou
(Tout beau, je veux dire de folle)
Chaque valet joua son rôle,
Chacun ses cheveux arracha,
Par grimace ou non se fâcha...
Didon mourut, Isis s'enfuit,
Adieu, bonsoir et bonne nuit !
Leconte de l'Isle (1818-1894) "La fille aux cheveux de lin"
(Poèmes antiques) extrait
Sur la luzerne en fleur assise
Qui chante dès le frais matin ?
C'est la fille aux cheveux de lin,
La belle aux lèvres de cerise.
L'amour, au clair soleil d'été
Avec l'alouette a chanté
Ta bouche a des couleurs divines
Ma chère et tente le baiser !
Sur l'herbe en fleur veux-tu causer,
Fille aux cils longs, aux boucles fines ?
[...]
Ne dis pas non, fille cruelle !
Ne dis pas oui, j'entendrai mieux
Le long regard de tes grands yeux
Et ta lèvre ose, ô ma belle !
[...]
Adieu les daims, adieu les lièvres
Et les rouges perdrix ! je veux
Baiser le lin de tes cheveux,
Presser la pourpre de tes lèvres !
L'amour, au clair soleil d'été,
Avec l'alouette a chanté.
Beaucoup d'applaudissements ont salué les trois artistes, poète et pianistes.
Et pour nous enchanter plus encore, Julie et Ludovic nous ont offert un endiablé "French Cancan" à quatre mains !
Michel Lagrange a composé un très beau poème intitulé " Leçons d'un paysage", qui nous présente ses impressions sur le paysage châtillonnais qu'il aime tant...
Il ne nous l'a pas lu, mais il est si beau que je me devais de le publier.
Comme ce poème est très long, je le publie ci-dessous sous forme d'une liseuse. (Ce sont des extraits, composés en 2013)
Et pour paraphraser le poème de Baudelaire, je dirai :"Lecteurs, je pense à vous..." qui n'êtes pas venus assister à cet unique récital-concert hors du commun, vous avez manqué une soirée exceptionnelle, c'est bien dommage...
Et, cerise sur le gâteau... c'était gratuit !
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