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Par Christaldesaintmarc le 24 Janvier 2021 à 06:00
Il y a peu, j'ai reçu de la part d'une lectrice belge, un mail extraordinaire...
Extraordinaire, c'est bien le mot, car, en effet, madame Nicole Bléret me proposait de me remettre une lettre dactylographiée de 10 pages, provenant du Père Achille Caillet, écrite par lui en 1950, depuis sa première mission à Ceylan.
Cette lettre se trouvait dans les papiers de la grand-mère de madame Bléret.
Madame Bléret est la petite fille d'Albert et Marie Mayerus-Mangin d'Hussigny (Meurthe et Moselle) très impliqués dans la vie paroissiale de leur commune.
J'ai accepté ce don avec une grande joie, et à sa réception, j'ai été frappée par le récit du début de la vie de missionnaire du Père Caillet, alors qu'il avait 28 ans, texte nous la relatant avec un style vivant et passionnant.
Bien entendu, j'ai recopié cette lettre et je la ferai paraître "en feuilleton", en 9 épisodes.(comme je l'ai fait pour le récit de la famille Roy d'Aisey sur Seine).
J'illustrerai ce texte foisonnant, de photos ou cartes postales anciennes pour que le récit, très dense, du Père Achille Caillet, soit plus aéré.
En voici la première partie.
Septembre 1950
Bien chers amis,
Le 4 janvier 1947, j’arrivais à Colombo et je terminais ma petite relation de voyage en disant que « le plus beau moment c’est quand le rideau bouge et qu’on entend du bruit derrière le rideau ». C’est vrai, mais le plus beau moment, c’est peut-être celui de l’espérance.
Mais depuis ce moment-là, il y a en a eu d’autres aussi qui étaient beaux tout de même.
Et comme je n’ai pas eu le temps d’écrire à chacun de vous en particulier mes impressions de bientôt 4 années de Ceylan, je vais, à la demande de, plusieurs d’entre vous, résumer quelques-unes des impressions de cette période qui m’a parue courte parce qu’elle a été pleine, occupée et heureuse.
Après les adieux sur le bateau à tous les charmants compagnons de traversée, à ceux qui vont vers d’autres cieux, l’Afghanistan et l’Inde, aux soldats et parachutistes en particulier dont plusieurs seront morts ou mutilés quelques semaines plus tard, c’est la rencontre avec Monseigneur Cooray, l’évêque coadjuteur de Colombo et les Pères, les anciens missionnaires et les « vieilles barbes », venus à bord accueillir Monseigneur Masson.
On descend la passerelle pour la dernière fois, on saute dans la vedette qui traverse la rade à toute vitesse.
Un dernier regard à notre cher « Champollion » qui disparait bientôt derrière des dizaines d’autres bateaux et des centaines de mâts et voici la jetée.
(le Champollion en 1946)
Cette fois on y est ! La terre de Ceylan…. Cet instant qu’on a attendu depuis des années, pour lequel on a prié, lutté, il est arrivé !
La douane nous retient quelques instants, mais n’insiste pas.
Ils savent bien que nous ne sommes pas venus faire du trafic.
D’ailleurs nous marchons sous la protection de Monseigneur Masson qui est l’autorité morale la plus respectée de l’Ile et qui en impose, je vous assure.
Les reporters sont là, lui demandent ses impressions et prennent des photos qui paraitront dans quelques heures en première page dans les journaux.
Nous quittons le bâtiment de la jetée des passagers.
Il est peut-être 10 heures du matin, mais le soleil est déjà haut dans le ciel et c’est exactement là, sur cette place goudronnée et déjà surchauffée que nous recevons le « baptême du feu ».
Le sol embrasé nous renvoie au visage une bouffée de chaleur qu’on reçoit avec le sourire en se disant que c‘est loin d’être la dernière.
On saute dans une auto avec d’autres Pères français qui comptent 8,15 ou 30 ans de Ceylan.
On est tout yeux : Ah ! cette première impression, comme elle est étrange et inoubliable ! ce premier contact avec l’Orient mystérieux, bariolé, insaisissable.
De belles avenues très larges, de grands édifices, des magasins somptueux : c’est le Colombo européanisé : les grandes banques,, les Consulats et Ambassades, les agences maritimes, les bureaux du gouvernement etc…
Des tramways plutôt démodés, de luxueuses voitures américaines
et, soudain une charrette à bœufs, des bœufs qui ont des bosses et qui portent sur leurs cornes leur ration de foin pour la journée.
Dans cette apparition cocasse d’une charrette à bœufs dans les quartiers chics de Colombo, barrant le passage aux trams, aux autos, à tout sans souci ni idée du code de la route, il m’a semblé voir tout le vieil Orient tenace qui ne veut pas capituler et vient soutenir le défi au milieu de la « civilisation ».
Des trottoirs encombrés de monde, de vendeurs, de camelots, de marchands, de mendiants, de belles dames aux saris de couleurs flamboyantes, d’estropiés, que sais-je encore ?
Tout ce monde qui crie, gesticule, s’agite, passe, repasse, fait l’article, rit discute ou flâne, ces sons incompréhensibles qui vous arrivent pendant que l’auto s’arrête dans un embouteillage invraisemblable, tout cela c’est encore l’Orient et l’un de ses multiples visages.
Des cocotiers, des massifs de fleurs , des bougainvilliers passent à toute vitesse devant nos yeux.
Mon Dieu que de choses en dix minutes ! on est muet, ébahi, stupéfait et ravi devant cette richesse et cette exubérance de Colombo.
Mais nous arrivons à l’Archevêché le quartier général du Catholicisme à Ceylan.
Les Pères, tous en soutane blanche, sont venus nombreux saluer Mgr. Masson. Ils nous assaillent de questions :
« D’où êtes-vous, de quelle région de France ? Que fait-on en France maintenant ? Où étiez-vous pendant la guerre, à l’occupation ? Qu’avez-vous fait ? Connaissez-vous un tel, etc… etc… »
Tout en parlant on se dirige vers la Chapelle. Première visite à Notre-Seigneur sur la terre de Ceylan, visite combien émouvante.
On a tellement de choses à Lui dire, on a la tête si pleine de visions étranges et nouvelles que tout vient à la fois sans ordre et en vrac.
On Lui dit merci de nous avoir conduit comme par la main jusqu’ici, on Lui offre toutes ses forces et toute sa vie jusqu’au dernier souffle, on Lui parle de la France, de la Maman, de tous ceux qu’on aime, de toutes ces âmes, de toute cette masse encore païenne et on Lui demande sa force pour que notre vie serve à sa gloire.
On voudrait continuer longtemps, s’arrêter indéfiniment à parler avec Lui, de tous et de chacun, s’arrêter un peu, penser, essayer de s’analyser, de s’y reconnaître dans une pareille farandole de pensées et de visions…
Mais on vous emmène. Au passage, un sourire à la Sainte Vierge, Notre-Dame de Sanka : c’est aujourd’hui le premier samedi de l’année.
Un merci à Sainte-Thérèse de l’Enfant-Jésus, la patronne des missions.
Je pense à sa statue dans le hall de Pontmain, cette statue devant laquelle j’ai passé des milliers de fois pendant mes cinq années là-bas et je lui ai dit chaque fois que je passais : « Sainte-Thérèse, patronne des missions, faites qu’un jour j’aille en missions ».
Elle ne m’a pas déçu et c‘est toute ma reconnaissance que je fais passer dans mon regard en quittant la chapelle.
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Par Christaldesaintmarc le 27 Janvier 2021 à 06:00
Épisode II
Aussitôt les questions recommencent.
Pauvres chers anciens missionnaires ! Si les cinq années de guerre et d’occupation nous ont paru longues comme une éternité, elles ont dû l’être aussi pour ceux qui ont peiné, tenu sur le front des âmes et sont tombés au champ d’honneur des missions, sans nouvelles, sans renforts.
Et comme on est content d’être le premier renfort !
Depuis l’entrée en guerre jusqu’à notre arrivée, 21 Pères sont morts et nous ne sommes que 2 à arriver ! Mais ça suit et d’autres viendront.
On parle, on parle…On leur demande aux anciens, si la langue du pays est difficile à apprendre, s’il y a beaucoup de serpents etc… et nos questions les font rire.
Mais voici l’heure du déjeuner, et là, ils vont rire encore davantage à nos dépens.
Des plats de toutes les couleurs de l’arc en ciel circulent avec le riz.
On nous dit : « ceci est fort, ceci est très fort, ceci ne brûle pas la langue… » une foule de bons conseils. Mais on veut être braves et…se lancer à l’eau ou plutôt essayer de tous les caris, car c’est le nom de tous ces plats bizarres qui vous étonnent par leur variété.
Naturellement on se brûle la langue, tant les épices sont fortes (imaginez que vous avalez le contenu du poivrier) et les larmes viennent aux yeux. Tout le monde rit, et nous aussi, mais on rit jaune.
On avale de grands verres d’eau pour essayer de faire passer cette sensation de charbon brûlant que vous avez dans la bouche, (comme l’eau est bonne à Ceylan !) mais c’est peine perdue.
Ce sont les bananes et les ananas qui nous sauvent et, après le dessert, tout rentre dans l’ordre.
L’après-midi, on visite l’immense propriété appelée « Borella ». Je vous disais que Borella était le quartier général de l’église catholique à Ceylan.
En effet on y trouve, rassemblés autour de l’archevêché, le petit séminaire avec 150 élèves
de l’autre côté le grand séminaire avec 20 élèves...
la centrale administrative de toutes les écoles catholiques du diocèse et enfin la presse catholique qui imprime deux hebdomadaires en Anglais et en Cingalais et toutes sortes d’autres publications.
Un aspect des constructions et bâtiments à Ceylan auquel on met un certain temps à s’habituer est d’avoir immédiatement sur vos têtes le toit nu avec ses tuiles et ses poutres sans plafond intermédiaire. Ordinairement les bâtiments sont tout en surface, pas d’étage, c’est beaucoup plus sain et moins chaud.
Ceux qui construisent un étage sont obligés souvent de recourir aux ventilateurs, ce qui représente une assez grosse dépense.
Le soir arrive. Vers 6 heures, une énorme averse tombe pendant 20 minutes et aussitôt le soleil recommence à luire de son plus bel éclat sur les feuilles des bananiers, comme si de rien n’était avant de se coucher très vite.
La nuit ici arrive en un quart d’heure. Les lucioles, mouches phosphorescentes commencent à danser et à tracer des sillons lumineux dans la nuit.
Les étoiles brillent, bien plus nombreuses que chez nous. On sent la nuit plus solennelle et plus mystérieuse.
Elle doit l’être bien davantage encore, là-bas au fond de la jungle.
Après les exercices de piété de la soirée, le dîner et la récréation, on a hâte d’aller se reposer. Cette chaleur nous assomme et l’on se sent moins alerte, moins énergique.
C’est comme si l’on avait à traîner un poids et c’en est un en effet.
La question du couchage est d’une simplicité évangélique à Ceylan, non pas par vertu, mais par nécessité.
On n’aurait que faire de couvertures, édredons etc…
Le lit consiste en un cadre de bois tendu de cordelettes tressées .
Vous étendez une natte là-dessus, vous vous enroulez dans un drap et en route pour le pays des rêves derrière la moustiquaire que vous avez bien eu le soin de vérifier.
Car s’il y a le moindre petit passage, les moustiques porteurs de malaria finiront par le trouver, tant ils sont avides de sang frais de jeunes Européens tout nouveau débarqués.
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Par Christaldesaintmarc le 31 Janvier 2021 à 06:00
Épisode III
Le lendemain, dimanche, je lis ma messe en toute tranquillité au petit séminaire vers 6h30, c'est-à-dire alors qu’il n’est encore qu’une heure du matin en France. Là, j’ai pu prier à mon aise…
Dans la matinée, un Père Belge nous fait visiter l’hôpital général tout proche.
2 000 lits environ, mais il y a encore un autre millier de malades couchés sur le sol, tellement le nombre est élevé et l’équipement sanitaire déficient.
Le miracle dans cet hôpital, ce sont les 90 sœurs franciscaines de Marie qui se dévouent jour et nuit auprès de ces malades sans distinction de races ni de religions.
Bien qu’elles appartiennent à une quinzaine de nationalités différentes, elles connaissent toutes, en plus de leur langue maternelle, l’anglais, le français et le cingalais.
Leur tact, leur dévouement et leur savoir faire, font marcher cet hôpital en dépit de toutes les difficultés, du grand nombre de malades et du manque d’équipement.
L’après-midi, à 5 heures, Monseigneur Cooray * nous emmène à la cathédrale où il nous fait l’honneur de nous prendre comme diacre et sous-diacre au TeDeum solennel qu’on chante pour fêter son retour.
Il parle en anglais de sa visite en Europe, du Saint-Père dont il va donner la bénédiction.
Ce soir-là j’ai senti et réalisé combien l’Eglise était catholique. Dans cette foule qui écoutait Monseigneur Cooray, il y avait des Cingalais, des Tamouls, des Européens appartenant à presque toutes les nations de l’Europe occidentale, tous vibrant de la même foi.
Dans cette immense nef, il n’y avait plus de différences de races, il n’y avait plus que des enfants de Dieu.
Le lendemain, nous partions à Maggona en auto.
Maggona est une mission au sud à une cinquantaine de kms de Colombo, où se trouvent groupés sous la direction des Frères Oblats, un orphelinat de 150 garçons, une Ecole Normale pour instituteurs Cingalais et ce qu’on appelle ici un « réformatoire » et qu’on appellerait en France une école de correction.
C’est aux Frères Oblats que les tribunaux et le gouvernement confient les jeunes délinquants qu’on ne peut pas envoyer en prison. Ils sont environ 300, en majorité païens.
Pour occuper tout ce monde et les aider à commencer une nouvelle vie, une école industrielle est attachée au réformatoire.
On enseigne à ces jeunes gens la menuiserie, l’imprimerie, la reliure, la couture, la culture du riz etc…
Un Frère est même spécialisé dans la dorure des calices.
Nous passons là trois belles journées pendant qu’à l’atelier de couture on nous prépare notre trousseau, tout de blanc, qui nous permettra de porter plus allègrement le poids du jour et de la chaleur.
Nous visitons ces immenses bâtiments, regardons les enfants au travail, en classe ou à la gymnastique, parcourons les plantations d’arbres à caoutchouc, les rizières.
A l’occasion, nous apprenons quelques mots de cingalais, que nous aurons d’ailleurs vite fait d’oublier , tellement cela nous paraît bizarre.
On nous montre un cobra tué la veille ; les serpents abondent par ici, mais le Père Supérieur à la barbe blanche nous rassure en nous disant qu’il y a un ange gardien spécial pour les missionnaires et nous recommande d’avoir confiance en lui.
De gentils petits écureuils zébrés sont si familiers qu’ils courent sous les vérandas et viennent manger à vos pieds les mies de pain qu’on laisse tomber à leur intention. Des amours de petits lézards courent sur les murs.
Nous nous acclimatons, c'est-à-dire que nous transpirons énormément. Cela durera 3 ou 4 mois, tant que nous n’aurons pas perdu avec nos belles couleurs quelques centaines de milliers de globules rouges… Le cari ne nous apparaît plus aussi fort qu’au premier jour et d’ailleurs nous faisons attention.
Puis nous remontons à Colombo. Visite à la police qui me fait sentir que, malgré tout mon attachement à ce pays et à son peuple, je reste un étranger.
On nous pose un tas de questions, notamment celle-ci : « Combien de temps comptez-vous rester à Ceylan ? Réponse : « indéfiniment »
*Thomas Benjamin Cooray né à Negombo (Sri Lanka) le 28 décembre 1901 et décédé à Colombo, le 29 octobre 1988, est un ecclésiastique srilankais,membre de la congrégation cléricale des Oblats de Marie-Immaculée, qui fut archevêque de Colombo. Il a été fait cardinal en 1965 par le Pape Paul VI.
Le voici en cardinal :
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Par Christaldesaintmarc le 3 Février 2021 à 06:00
Épisode IV
Le 11 janvier au matin, Mgr. Masson m’envoie au collège saint-Joseph situé au beau milieu de la ville avec consigne d’apprendre le plus d’anglais possible.
Saint-Joseph est un immense collège catholique fondé par Monseigneur Bonjean, mais qui doit tout son rayonnement au Père Le Goc, un Breton qui le dirigea pendant un quart de siècle.
Le Père Le Goc, qui était un savant, a fait une impression profonde sur tous les milieux à Ceylan et même aux Indes.
Et quand il mourut, tué net dans un accident d’auto le 16 mars 1945, ce fut un deuil national.
(Le Père Maurice Le Goc)
Les funérailles furent un triomphe et, comme il était officier de la Légion d’Honneur, c’est sur les épaules des marins français du « Richelieu », alors en rade à Colombo, qu’il traversa la foule énorme de toutes races et de toutes religions, venue le pleurer.
Quand j’arrivai au collège, je fus impressionné par la belle ordonnance des bâtiments disposés autour d’un grand terrain de sports et d’une seconde cour de récréation.
La chapelle aux lignes modernes, d’une conception très originale occupe le centre…
Le Père qui avait étudié à Rome et dans les universités anglaises pendant de longues années, m’accueillit en me parlant français.
Tous les 11 Pères, les 70 ou 80 professeurs et les 1 600 élèves étaient Ceylanais. J’étais donc le seul blanc.
Comme les Pères étaient beaucoup trop peu nombreux, on me confia la surveillance des internes, section des petits, ce qui me prenait 6 heures par jour et réduisait d’autant le nombre d’heures que je pouvais consacrer à l’étude de l’anglais.
De plus, la prononciation de l’anglais par les Ceylanais est loin d’être la prononciation correcte, mais je réussis à les comprendre assez vite et 5 semaines après mon arrivée , je pus entendre les premières confessions en anglais.
Ce fut en une occasion mémorable, à l’occasion de la proclamation de la Sainte Vierge comme Reine de l’île, sous le titre de Notre-Dame de Sanka, titre reconnu et approuvé par le Saint-Père.
50 000 personnes étaient présentes pour rendre grâce à Notre-Dame d’avoir sauvé l’île de l’invasion japonaise.
Les messes se succédèrent à la grotte de Tewatte à partir de 4 heures du matin et je distribuai la Sainte Communion pendant plus de 2 heures.
Monseigneur Masson m’avait promis, à Lourdes, que j’assisterais à cette cérémonie et, quelques jours avant le 15 février 1947, il envoya une lettre spéciale au Père Supérieur pour lui dire de m’envoyer à Tewatte.
(La basilique de Notre-Dame de Sonka à Tewatte)
Ce bon Monseigneur Masson fut constamment plein d’attentions pour moi et je lui serai toujours reconnaissant des encouragements et des conseils qu’il me prodigua.
Quand arrivèrent les vacances de Pâques, il insista pour que j’aille passer 3 semaines dans les montagnes du centre de l’île avec les autres Frères.
Aussi sa mort soudaine, au matin du 28 juillet 1947 fut une peine personnelle pour moi et me surprit douloureusement.
Et maintenant encore, quand je passe à la cathédrale où il repose, je prie pour lui qui était si imposant, si majestueux et en même temps si bon.
La vie de collège continua.
Je sentais que je devenais « anglais » un peu plus chaque jour, que je m’intéressais au cricket, ce jeu qui n’aurait guère de succès en France et qui est, à mon avis, avec le commerce, le seul lien entre les pays si divers du Commonwealth britannique.
Le Père Supérieur qui aimait beaucoup le basket-ball m’encourageait à l’enseigner aux élèves et nous avions ensemble beaucoup de plaisir.
Mais c’est un sport qui n’est pas fait pour les tropiques. Le volley-ball connaît à juste titre, beaucoup plus de succès.
Le sport occupe une place importante en Angleterre et dans les dominions et Saint-Joseph’s Collège en a une plus qu’honorable parmi les collèges de l’île.
Au point de vue religieux, environ 800 élèves sur 1 600 étaient catholiques.
Je ne voudrais pas comparer la piété des Orientaux avec celle des Occidentaux.
Extérieurement, pour ce qui est des démonstrations de piété, ils nous en remontrent, mais je me demande si leur religion ne s’arrête pas là…
Dans le domaine intellectuel, je crois que dans l’ensemble les Ceylanais sont plus portés vers les sciences mathématiques, physiques etc… que vers les Lettres.
Le collège prend les enfants à partir de l’école maternelle aux mains d’une dizaine d’institutrices et les conduit à l’examen d’entrée à l’Université.
On y enseigne, avec l’enseignement religieux (après trois mois on me confia 2 classes) toutes les sciences, la dactylo, les langues orientales : tamoul, cingalais, pali, sanscrit.
Un grand collège Saint-Bridget’s Convent, tenu par les Sœurs du Bon-Pasteur d’Angers, remplit pour les jeunes filles le même rôle que Saint-Joseph pour les garçons. Elles sont environ 850 élèves.
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Par Christaldesaintmarc le 7 Février 2021 à 06:00
Épisode V
Le 17 décembre 1947, un coup de téléphone m’appelait chez Monseigneur Cooray, notre nouvel archevêque, le premier archevêque cingalais à occuper le siège de Colombo.
Il a été élève à Saint-Joseph’s College pendant quelques années, puis a été envoyé à Rome pour ses études.
Il est très gentil pour nous et nous parle souvent français .
Il connaît, en outre l’italien en plus de l’anglais, du cingalais et du tamoul.
Ce soir-là, il m’appelait pour m’envoyer dans une mission cingalaise à Bolawalana, environ 32 kms au nord de Colombo tout près de la côte.
( une église de Bolawalana)
Le Père Merret, un breton en charge de la mission m’accueillit à bras ouverts. Bolawalana comptait 3 églises et 6 000 catholiques.
De plus, s’y trouve la maison-mère des Sœurs de Saint-François Xavier, Sœurs indigènes dirigées par trois sœurs belges du Bon-Pasteur d’Angers.
Ce couvent est immense et comprend le noviciat et le postulat, une école de tissage, un orphelinat de 185 petites filles et une école normale pour 1OO institutrices cingalaises.
Enfin, les Sœurs ont la charge des écoles de filles de la mission.
Ce couvent possède une très belle chapelle à trois nefs disposées en éventail. La nef centrale est réservée à l’école normale, une autre aux Sœurs novices et la troisième aux orphelines.
C’est là que j’allai dire la messe chaque matin pendant les treize mois que j’ai passés à Bolawalana, de plus, j’assistais le Père Merret dans tout ce que je pouvais faire : confessions en anglais, baptêmes, funérailles, etc…
Mais comme l’immense majorité des gens parlaient cingalais, mon premier souci était évidemment d’apprendre la langue.
La Mère Supérieure du Couvent me donna toute liberté d’aller parler avec les orphelines qui étaient fières d’avoir un Père comme élève.
Je crois qu’elles se souviennent encore de ces leçons : elles ont ri bien des fois de mes fautes et elles se sont donné bien de la peine pour m’apprendre la prononciation correcte et si aujourd’hui je sais un peu de cingalais c’est à elles que je le dois en grande partie.
Tout le monde est d’accord pour reconnaître que c’est des indigènes , et tout spécialement des enfants que l’on apprend la bonne prononciation .
Il y avait, parmi ces orphelines de toutes petites, et notamment une petite Patricia qui atteignait ses deux ans quand j’arrivai pour la première fois.
Cette pauvre petite avait perdu son père le 24 décembre 1945, deux jours avant sa naissance (26 décembre) et sa mère était morte le 30 du même mois.
Elle aimait beaucoup venir près de moi, et quand elle me voyait arriver, elle criait, m’appelait et essayait de venir me rejoindre sous l’arbre nous étudiions, mais comme elle ne pouvait pas descendre les escaliers, j’envoyais les plus grandes la chercher et elle gazouillait près de nous.
Elle aura bientôt 5 ans et va à l’école attachée à l’orphelinat.
Elle m’a envoyé récemment une « lettre », c'est-à-dire une feuille de papier couverte de lettres cingalaises.
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Par Christaldesaintmarc le 10 Février 2021 à 06:20
Épisode VI
Après quelques mois d’étude je pus me lancer à entendre les confessions des enfants en cingalais et aider le Père Merret un peu plus.
J’attendis plus longtemps pour commencer à prêcher . D’ordinaire on commence par dire ou par lire quelques phrases soigneusement préparées et qu’on a répétées des dizaines de fois. Cela je l’avais fait à partir du mois d’avril quand je m’en allai résider tout seul dans une église voisine dont le Père missionnaire était mort subitement.
Mais pour mon premier sermon, j’avais à cœur de préparer quelque chose de bien et de l’adresser aux orphelines pour leur exprimer ma reconnaissance ainsi qu’aux Sœurs.
J’attendis jusqu’au 8 décembre. Ce jour-là, grand-messe au couvent.J’étais très ému, je vous assure, quand je me retournai après l’Evangile et vis les trois nefs pleines de Sœurs, novices, postulantes, institutrices de l’école normale et mes orphelines. Les Sœurs de l’orphelinat m’avouèrent ensuite qu’elles aussi étaient très émues et avaient prié pour moi.
De fait, la Sainte Vierge m’aida et je débitai mon long sermon sans hésitation. Après la messe je posai quelques questions aux orphelines et je vis d’après leurs réponses qu’elles avaient compris.
J’aurais bien voulu rester encore un an à Bolawalana pour approfondir mes connaissances qui, malgré tout restaient sommaires. Quoiqu’on dise, une langue orientale ne s’apprend pas tout seul.Car cela ne suffit pas d’apprendre à écrire 52 lettres bizarres et des mots encore plus drôles, mais il faut arriver à penser en cingalais, si j’ose dire, et bâtir des phrases comme les indigènes les bâtissent , c'est-à-dire pratiquement commençant par la fin. Et croyez-moi, ce tour de force n’est pas l’œuvre d’un jour.
L’ennui c’est que nous n’avons pas le temps d’étudier méthodiquement et pendant longtemps. A cause du manque terrible de prêtres, Monseigneur se voit obligé de nous jeter dans la bataille dès que nous savons quelques bribes de la langue.
C’est ce qui m’arriva et, le 14 janvier 1948, le Père Merret rentrait de Colombo avec deux feuilles de route. Lui s’en allait au sud de Colombo et moi pas très loin de Bolawalana, mais dans un secteur si différent à tous points de vue qu’on croit entrer dans un autre monde.
Le Père Merret qui comptait 16 ans de Ceylan sans vacances, ne tint pas longtemps dans sa nouvelle mission. Au bout de deux mois, à la suite d’un refroidissement, il attrapait une paralysie faciale, passait deux mois et demi à l’hôpital et finalement était envoyé en France par avion.
C’était un admirable compagnon et nous nous entendions comme deux frères. Je lui suis reconnaissant de m’avoir fait profiter de sa longue expérience. Après 18 mois de séjour en France, il va rentrer à Ceylan en décembre, mais je doute fort qu’il soit complètement rétabli….
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