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Par Christaldesaintmarc le 15 Novembre 2012 à 06:00
J'avais été, lors de la conférence de Monsieur Martel sur la nation indienne O-Gah-Pah, très intéressée par l'histoire de la Louisiane et des relations qui se nouèrent, au XVIIIème siècle, entre Indiens et Français.
Durant cette conférence de l'ACC, monsieur Martel avait cité un nom, celui du Capitaine Bossu, originaire de Baigneux les Juifs. Ce capitaine châtillonnais avait passé une douzaine d' années en Louisiane.
J'ai donc demandé à Michel Diey, si les Amis du Châtillonnais n'avaient pas des documents sur ce Châtillonnais bien méconnu . Michel m'a alors prêté le livre du capitaine Bossu. Ce livre, intitulé "Nouveaux voyages aux Indes Occidentales", est une pure merveille ! Il contient les nombreuses lettres que Jean-Bernard Bossu écrivit, depuis la "Louisianne" (ancienne orthographe de Louisiane), à ses supérieurs restés en France. Il leur décrivit la vie des Indiens Arkansas, nommés aussi Quapaws, avec force détails passionnants et même émouvants.
Je me suis servie également, pour rédiger cette biographie, du livre de Philippe Jacquin , intitulé "Quand la France colonisait la Louisiane"
Bossu exécuta par ordre du gouvernement français trois voyages dans ces pays. Une première fois en 1750-1757, en Louisiane où il séjourna chez les Indiens Illinois et Arkansas, puis à la Nouvelle-Orléans. Pour son deuxième voyage en 1757-1763, Bossu fut affecté à une mission au fort Alabama. Il consigna ses deux voyages dans un ouvrage portant le titre de " Nouveaux voyages aux Indes occidentales ", qui fut publié à Paris en 1768. Pour son troisième et dernier voyage en mars 1770, rédigé sous forme épistolaire haut en couleurs, il séjourna de nouveau à la Nouvelle-Orléans et chez les Indiens Arkanças.
Voici le portrait de Jean Bernard Bossu (un document de la collection d'Etienne Laviron)
Jean Bernard Bossu naquit à Baigneux les Juifs le 29 septembre 1720.
Il s'engagea dans le régiment de la Dauphine, puis se distingua au siège de Château-Queyras en 1744 Il obtint alors le titre de Lieutenant.
Plus tard, devenu Capitaine d'une compagnie Franche des troupes de la Marine Royale, il embarqua à la Rochelle le 26 décembre 1750, il avait 30 ans, et était très curieux de connaître le "Pays des Sioux".
Le bateau entra dans le golfe du Mexique, et Jean-Bernard débarqua à la Nouvelle Orléans, qui était alors la jeune capitale des colonies françaises d'Amérique, avec une centaine de soldats des troupes de Marine et "quelques filles enrôlées pour venir peupler ces climats"
Reprenons rapidement l'histoire de la Louisiane, histoire que nous avait si bien contée Monsieur Martel.
Un demi-siècle s'est écoulé depuis la descente du Mississipi par Cavelier de la Salle et ses "coureurs des bois"
Voici le trajet emprunté par Cavelier de la Salle depuis le Canada :
La rencontre avec les Indiens fut fructueuse.
Et peu à peu les français s'installèrent sur le territoire , colorié en bleu sur cette carte , le territoire de la Louisiane, baptisé ainsi en hommage à Louis XIV :
Jean-Bernard Bossu, lui, ne descendit pas le Mississipi comme les premiers explorateurs dirigés par Cavelier de La Salle, mais il le remonta, "en refoulant le courant à la rame, avec des soldats et des rameurs indiens."
On s'approcha alors de la rivière Arkansas :
Jean-Bernard s'émerveilla alors en voyant des troupeaux de bisons, des multitudes d'oiseaux : cygnes, grues, oies, outardes et canards...
(Je transcris, ci-après, en bleu, quelques passages du livre de Jean-Bernard Bossu en en conservant l'orthographe originelle)
Le pays des Arkanças est un des plus beaux du monde : les terres y sont si fertiles qu’elles produisent presque sans culture, du froment d’Europe, toutes sortes de légumes et de bons fruits inconnus en France. Le gibier de toute espèce y abonde comme bœufs sauvages, cerfs, chevreuils, ours, tigres, léopards, renards, chats sauvages, lapins, poulets, dindes gélinottes, faisans, perdrix, cailles tourterelles, pigeons ramiers, cygnes, oyes, pluviers dorés,, bécasses, grives, étourneaux et autres volatiles qu’on ne voit pas dans notre Europe
Des crocodiles peuplaient les fleuves, et lors d'un "cabanage" (plantage de tente) il lui arriva une drôle d'aventure, écoutons-le :
J’avois choisi sur le bord de la rivière, un endroit bien propre pour cabaner. J’y étendis ma peau d’ours et je m’enveloppai dans ma tente en me couvrant le visage a cause du serein qui est dangereux en cette saison. Ce petit raffinement de délicatesse pensa me coûter cher, comme vous allez voir. J’avois eu soin de mettre à mes pied mon poisson dans la crainte qu’on me le volât, mais il arriva pis. j’avais déjà dormi une heure d’un sommeil profond..quand tout à coup je me sentis entraîné par une force extraordinaire, je croyois que c’était le Diable qui m’entraînoit, je criai au secours, on crut que je rêvois et que j’étois un visionnaire..mais quelle fut ma surprise lorsque je fus éveillé ! j’aperçus un crocodile de plus de vingt pieds de long, il étoit sorti de la rivière pendant le calme de la nuit, attiré par l’appât de ma barbue..Comme ces animaux sont extrêmement voraces, celui-là se jeta avec avidité sur mon poisson et en emportant sa proie dans la rivière il m’entraînoit par un coin de la tente dans laquelle j’étois enveloppé. Mais j’eus le temps de me débarrasser au bord du précipice et j’en fus quitte pour la peur. Je sauvoi seulement la peau d’ours qui ne me quitte plus.
L'expédition partit le 17 août 1751, mais les eaux s'étant prises en glace au début de l'hiver, elle n'arriva qu'en janvier 1752 au fort de Chartres où la vie était paisible. Le rôle des forts (comme celui d'Alabama où il se rendit plus tard) était de maintenir une présence française aux confins de la civilisation.
(ce fort, fut dénommé fort de Chartres en l'honneur du Duc de Chartres, il avait été achevé fin 1720)
Les officiers entretenaient , pour éviter les conflits , des rapports étroits avec les Indiens,. Les trappeurs , coureurs des bois, pratiquaient souvent le "mariage à l'indienne" (ce qui explique nous disait monsieur Martel, qu'encore aujourd'hui des indiens d'O-Gah-Pah portent des noms français)
Jean Bernard nous décrit ainsi ces Indiens :
Les Arkanças habitent sur le bord d’une rivière qui porte leur nom. Ces Sauvages sont grands et bien faits, braves, bons nageurs, très adroits à la chasse, à la pêche et fort dévoués aux François : ils en ont donné des marques à plusieurs occasions.
Les Quapaws l'adoptèrent et pour le prouver, le soumirent à une cérémonie très spéciale, écoutons-le donc narrer cette singulière aventure :
Les Arkanças viennent de m’adopter, ils m’ont reconnu pour guerrier et pour chef, et m’en ont donné la marque : c’est un chevreuil qu’ils ont imprimé sur ma cuisse . Je me suis prêté de bonne grâce à cette opération douloureuse. Voici comment cela s’est passé : on m’a fait asseoir sur une peau de tigre, un Sauvage a brûlé de la paille dont il a délayé la cendre dans de l’eau ; il s’est servi de cette composition très simple pour dessiner le chevreuil . Il a ensuite suivi le dessin avec de grosses aiguilles en piquant jusqu’au vif pour faire sortir du sang . Ce sang, mêlé à la cendre de la paille, forme une empreinte qui ne s’effacera jamais. J’ai fumé le calumet après cela, on a étendu des peaux blanches sur lesquelles j’ai marché : ils ont dansé devant moi en poussant des cris de joie, ils m’ont dit ensuite que je pouvais aller chez tous les Peuples, qui étoient leurs alliés, présenter le calumet et montrer ma marque, je serois très bien reçu partout que j’étois leur frère et que si quelqu’un me tuoit, ils le tueroient ; je suis présentement noble Arkansas.
Jean-Bernard Bossu connut, à la suite de ce "tatouage", de vives douleurs, il eut de la fièvre pendant plus de 8 jours, mais il surmonta cette souffrance stoïquement pour montrer à ses amis Quapaws qu'il était digne d'être des leurs.
Jean-Bernard, dans les lettres qu'il adressa à ses supérieurs, nous décrit les moeurs guerrières des Indiens :
L’équipement des guerriers se compose d'une peau d'ours, dont ils se servent comme un lit, une peau de bison, qui sert de couverture, une peau de chat, dans lequel ils conservent leur pipe, et une petite hache, qui est utile pour la construction d'abris dans les bois.
Leurs armes et de munitions se composent d'un fusil, une corne de buffle pour la poudre ... et un petit dans sachet de peau où sont leurs balles, des pierres à fusil, et un tirebourre. En outre, ils portent un arc et un carquois de flèches dont ils se servent pour la chasse. Ils n'utilisent jamais leurs fusils lorsqu’ils sont en expédition de guerre, parce que le bruit pourrait alerter l'ennemi.
Il convient de mentionner que lorsque ils se préparent à aller sur le sentier de la guerre, ils se peignent le corps et le visage. Avec leurs corps rouges et leurs cris insensés, ils ressemblent à une troupe de démons venus tout droit de l'enfer. Ils sont gentils avec leurs amis, mais très cruels envers leurs ennemis.Les Quapaws Arkansas ont de très bons médecins, en témoigne l'incident que Jean-Bernard relate ici :
A mon voyage de Tombekbé, un siffleur caché sous des feuilles, mordit un soldat de mon détachement qui lui avoit marché sur la queue. Il avoit les pieds nus et le serpent étoit si en colère que lui ayant attrapé le gros orteil, il ne vouloit pas lâcher prise. J’étois fort embarrassé et très fâché de voir ce malheureux soldat exposé à périr. J’eus recours à un Médecin Sauvage qui passait par hasard dans l’endroit où nous étions. Il tira d’un petit sachet une poudre qu’il souffla avec un chalumeau sur la tête du siffleur qui mourut dans l’instant. Il mit sur la morsure une autre poudre qui empêcha le venin de faire son effet, il en fit boire dans de l’eau au malade qui ne fut nullement incommodé depuis.
Ne s'entendant pas avec le gouverneur de la Nouvelle Orléans, Bossu demanda son retour en France. Calomnié par le gouverneur et ses associés, il fut embastillé ! mais le Roi s'étant rendu compte de l'injustice, le fit libérer. Il demanda l'envoi de ses effets restés en Louisiane, mais voyant que rien ne lui était envoyé, il repartit en 1770 et retrouva avec joie ses amis Arkansas qui lui firent une réception brillante et des fêtes enthousiastes.
A regret de quitter ses amis Indiens, il rentra en France en août 1771.
Il se fixa tout d'abord à Aisey le Duc (actuellement Aisey sur Seine), au sein de sa famille.
Il résida ensuite à Auxerre, et c'est en se rendant à Aisey qu'il mourut subitement en passant à Montbard, le 4 mai 1792.
Il fut inhumé près de Buffon, avec les honneurs militaires.
Son épitaphe précise :
Jean-Bernard Bossu fut chevalier de l'Ordre Royal Militaire de Saint Louis et ancien capitaine d'une compagnie Franche de la Louisiane où il passa en 1750, après avoir servi Lieutenant dans le Régiment de la Dauphine, compagnie du Comte de Schonberg.
Ne méritait-il pas ce petit hommage, ce châtillonnais, dont le souvenir s'est envolé ? Quand on pense qu'il n'y a même pas une rue à son nom à Baigneux les Juifs... c'est bien injuste.
(Des commentaires sur le thème de l'article seront les bienvenus, ils me montreront que ce blog vous intéresse et ils me donneront envie de continuer à l'alimenter .
Merci.)
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