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Par Christaldesaintmarc le 24 Novembre 2010 à 06:30
Jenry Camus, lors de la "Journée de la Poésie", à Villaines en Duesmois, nous a présenté une très intéressante conférence sur la vie et l'oeuvre d'une poétesse Châtillonnaise, un peu méconnue, née à Recey sur Ource:
Antoinette Quarré
(buste par Léon Breuil, cliché François Jay, Musée des Beaux-Arts de Dijon)
Antoinette Quarré naquit à Recey sur Ource en 1813, de père inconnu.
Sa mère se maria deux ans plus tard à un certain Claude Dargentolle , mais le quitta rapidement et partit à Dijon ouvrir une boutique de lingère , près de l’église Saint Michel.
Antoinette et sa mère habitèrent chez un frère de cette dernière, frère qui avait une belle bibliothèque .Grâce à cet oncle, Antoinette apprit à lire à l’âge de trois ans …dans Zaïre de Voltaire.
Plus tard sa mère lui enseigna l’art de confectionner les jolis bonnets de dentelle que portaient les élégantes de ce temps-là.
(Antoinette Quarré : dessin de Jules Porreau-Cliché de F.Perrodin-Bibliothèque Municipale de Dijon)
Instruite par un lettré, M. de Belloguet, elle se tourna vers la poésie et publia quelques essais en vers
Elle envoya ses vers à Alphonse de Lamartine, qu'elle admirait avec passion ; celui-ci lui répondit le 24 août 1838 par un poème:"À une jeune fille poète" qu'il intégra par la suite dans ses" Recueillements poétiques".
Antoinette Quarré répondra à ce poème avec un autre poème :
Réponse à M. de Lamartine:
Oh ! qui m’eût dit jamais, quand de tes chants ravie,
Recueillant tous les sons de ce luth immortel,
De mon cœur qu’enivrait ta sainte poésie,
A ton harmonieux et sublime génie
J’avais fait un autel ;
Quand, au sein de ce monde, où le malheur isole,
Ton livre, confident de mes chagrins divers,
Etait pour moi l’ami, dont la tendre parole
A toutes nos douleurs se mêle, et nous console
Des jours les plus amers ;
Quand tes hymnes aimés, que notre orguei l répète,
A tous les cœurs prêtant de sublimes accords,
Des superbes palais à mon humble retraite,
En échos glorieux descendaient, ô poète !
Qui m’aurait dit alors
Qu’un jour ce divin luth et cette voix si chère,
De mon culte ignoré daignant bénir l’encens,
Au milieu de ta haute et brillante carrière,
Auraient aussi pour moi, pauvre enfant solitaire,
De célestes accents ?
Quoi ! mon sort inconnu, cette vie écoulée
Dans l’ombre et le travail, loin du monde et du bruit,
Ainsi qu’un filet d’eau caché dans la vallée,
Dont l’onde, en murmurant, va se perdre, mêlée
Au torrent qui s’enfuit ;
Et ces douleurs sans nom, cet ennui qui dévore,
De mon cœur affligé mal intime et puissant,
Voilé par un sourire, et que la foule ignore,
Quand son regard joyeux, sur mon front jeune encore,
Parfois tombe en passant ;
Ta voix les a chantés, ta voix mélodieuse,
De ton cœur généreux, interprète divin,
Qui, pour toute infortune obscure ou glorieuse,
Change en sons immortels, en plainte harmonieuse,
Les soupirs de ton sein.
Oui ! souvent, il est vrai, dans l’air qui m’environne
Passent brillants et beaux des rêves enchanteurs ;
Puis, la réalité m’étreint, et je frissonne,
Et faible, au désespoir mon âme s’abandonne,
Et je verse des pleurs.
Cependant ne crois pas que je reste vaincue ;
Non ! les maux d’ici-bas redoublent ma fierté ;
Bientôt, se relevant, ma pensée abattue
Embrasse l’univers, et de son étendue
Franchit l’immensité.
Loin de ce lieu d’exil où mon âme se glace,
Où nul rayon d’espoir ne vient luire à mes yeux,
S’élançant par delà les mondes et l’espace,
Elle cherche plus haut et son but et sa place,
Elle cherche les cieux.
Là, le fils adoré de la Vierge féconde,
Le Dieu de vérité, de grâce et de vertu,
En qui dos cœurs souffrants l’unique espoir se fonde.
Me tend ses bras divins qui soutiennent le monde
Et le pauvre abattu.
« Venez à moi, dit-il, vous que la terre oublie,
« Dont les pas chancelants tremblent sous vos fardeaux ;
« J’ai pour vous consoler des paroles de vie,
« O vous tous qui pleurez, et dont le cœur n’envie
« Que la paix des tombeaux ! »
Ah ! que d’un monde vain l’éclat semble frivole,
A l’œil qui, s’enivrant d’éternelle splendeur,
A, sur le front des saints, vu briller l’auréole,
Et la grâce couler en céleste parole
Des lèvres du Seigneur.
Aussi, me recueillant dans mon obscur asile,
Je sens, paisible et fort, mon cœur nourri d’espoir ;
Que m’importent la pompe et le bruit de la ville ?
Mon sommeil n’en est pas moins doux ni moins tranquille
A l’heure où vient le soir.
Puis, je relis encor ces pages tant aimées,
Où s’exhala ton âme en ravissants concerts,
Et pour monter à Dieu de mes lèvres charmées
L’ardent soupir s’élève en notes enflammées,
Je prie avec tes vers.
Et ta douce promesse en naissant accomplie,
Me fait bénir déjà les pleurs que j’ai versés ;
Car une larme seule en ton sein recueillie,
Et mêlée à tes flots d’amour et d’harmonie,
Pour ma gloire est assez.
Quand de son trône d’or, l’astre qui nous éclaire,
Au sein d’une humble source a plongé ses rayons,
L’onde, où se réfléchit sa splendide lumière,
Roule un instant ses feux dans sa courte carrière
Et brille de ses dons.
Ainsi, quand ton génie, éclairant ma jeunesse.
M’inonda tout à coup d’ineffables clartés,
Mon âme a ses rayons s’ouvrant avec ivresse,
Mêla tous ses accents de joie ou de tristesse
A tes sons enchantés ;
Ainsi, comme un écho, ma voix s’est fait entendre,
Et dans mes faibles chants s’il est quelque douceur,
Oh ! C’est qu’alors ton souffle harmonieux et tendre,
De ce parfum divin que toi seul sait répandre,
Avait rempli mon cœur.Ses amis la poussèrent à publier son premier recueil de poésies , qui parut en 1843, et qui attira sur elle un grand intérêt.
Jenry nous lut plusieurs poèmes d'Antoinette, très romantiques, pleins de tendresse et parfois de tristesse...
Puis dans le Journal des Demoiselles, Antoinette Quarré publia des nouvelles historiques qui eurent un certain succès comme par exemple : « Médavy Bras de fer », « Berthe et Gérard » ( d’après la vie de Girard de Roussillon qui fut Seigneur du Mont Lassois)
Elle composa un éloge de la princesse Marie d'Orléans qui lui valut, en 1839, une mention à la Société des Lettres et des Arts de Seine-et-Oise.
Elle dirigea quelque temps « le Journal de la Côte d’Or ».
De faible constitution, elle s'éteignit d'hypertrophie du cœur en 1847 à Dijon.
Elle fut inhumée tout d'abord dans un cimetière qui se trouvait près de l'Avenue Victor Hugo, à Dijon, puis lorsque ce cimetière disparut, ses cendres furent transférées au cimetière dijonnais des Péjoces .
Un monument fut érigé, après souscription, à laquelle s'associèrent de très nombreux admirateurs de la poétesse.
Sur une plaque de marbre, en haut du monument, on peut lire un texte de Lamartine à Mademoiselle Quarré:
Les Anges composent tes chants, mélodieux murmures;Aux accords du génie, à ces divins concerts, ils mêlent étonnés ces pleurs de jeune fille qui tombent de tes yeux et baignent ton aiguille et tous tes soupirs sont des vers!
Sculptés dans la pierre par Forey, deux amours tiennent d'une main le recueil "poésies d'Antoinette Quarré de Dijon1843", de l'autre ils portent une couronne de lauriers entourant une étoile.
Le médaillon d'Antoinette, sculpté par Bouhin autour duquel peut lire ce texte:
Antoinette Quarré ouvrière morte le 25 Novembre à 34 ans
En bas sur une autre plaque de marbre est gravé:
Dans son humble fortune, elle sut également se faire admirer par son esprit, aimer par le charme de son caractère, estimer par la noblesse de ses sentiments.Ses amis et les admirateurs de ses poésies ont voulu honorer sa mémoire par ce modeste monument.
Un grand merci à Jenry Camus pour tous les documents qu'il m'a confiés.
Un Cahier du Châtillonnais, disponible à l'Office du Tourisme de Châtillon sur Seine, vous en dira beaucoup plus sur cette poétesse qui sut charmer son temps.
Vous pourrez y lire ses si jolis et romantiques poèmes qui sont, encore aujourd'hui, un ravissement pour le coeur !
(Des commentaires sur le thème de l'article seraient les bienvenus, ils me montreraient que ce blog vous intéresse et ils me donneraient envie de continuer à l'alimenter .
Merci.)
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