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L'histoire du moulin de Gomméville par Jean Verniquet (4)
Le temps des soucis et des peines
A l’époque on ne savait pas traiter les allergies. En mars 1948, le petit Claude, âgé de 20 mois tombe malade, il a des plaques d’eczéma de plus en plus grandes, le médecin vient presque tous les jours. Des difficultés respiratoires surviennent, bronchite, pneumonie peut-être ? Il est hospitalisé à Troyes et décède quelques mois plus tard au moulin, en plein été, à la veille de ses deux ans.
Dans la famille on croit à une malédiction, car 4 ans plus tôt Daniel déjà, âgé de 4 mois était décédé à la suite de symptômes similaires. Ma mère ne s’en est jamais vraiment remise.
Souci professionnel, le système de la répartition des farines qui, dans une certaine mesure, protégeait les petits moulins au temps de la pénurie est supprimé. La concurrence des grands moulins se fait d’autant plus sévère que la situation du marché s’aggrave.
pour s’en convaincre, voici ce que l’on peut lire dans le bulletin de la Meunerie Française de décembre 1951 sous la triple signature de son président et des Présidents de l’Association Générale des Producteurs de Blé et de la Confédération Nationale de la Boulangerie Française :« (Ils) apprennent avec stupéfaction que le gouvernement projette une importation de 4 millions de quintaux de blé tendre pour la métropole et qu’il a décidé de relever le taux d’extraction des farines.
Ils protestent contre ces décisions prises sans aucune consultation des organisations professionnelles… Ils déclarent en plein accord… que l’augmentation du taux d’extraction à PS +6 (81% pour un blé de poids spécifique moyen de 75KG/hl ) est une erreur grave qui aura pour conséquence au lieu d’une augmentation théorique
-De rendre encore plus difficile l’utilisation des blés humides et de faible poids spécifique, de pousser ainsi à la consommation de ces blés par les animaux, d’autant plus que l’élévation du taux d’extraction va priver le marché des aliments du bétail d’une quantité équivalente de farines basses et issues
-De pousser à la fraude par non respect du taux réglementaire, particulièrement à la campagne.
-D’abaisser la qualité du pain au détriment de l’intérêt des consommateurs etc….
Dans ce contexte les farines boulangères doivent répondre à des tests de panification de plus en plus rigoureux.
le diagramme de mouture du moulin de Gomméville ne permet pas de les respecter. Il faut augmenter le nombre de passages de broyage et de convertissage comme c’est déjà fait depuis longtemps dans les moulins plus importants.
Marius et Lucie rassemblent leurs économies. Un ingénieur-conseil ajoute un convertisseur Bühler et remplace les bluteries par un plansichter.
Les monteurs-menuisiers entrelacent une forêt de tuyaux posent de nouvelles transmissions, percent les planchers pour de nouvelles courroies.
On ne s’y reconnait plus. Mais en octobre 1952 ça marche !
Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, Françoise, ma petite sœur tombe du ciel en janvier 1953.
Marius est élu Maire. Lucie est secrétaire de Mairie (elle l’était déjà en 1935, et le restera jusqu’en 1980)
Comme au temps de Georges Gautherot, les responsabilités municipales s’ajoutent aux complications bureaucratiques. A ce sujet, le titre des paragraphes de l’Instruction du 15-10-51 des Contributions Indirectes est révélateur :
Titre1- Redevances et indemnités compensatrices sur les stocks de céréales et de farines consécutives au changement de campagne
Titre2-Régularisation des réceptions et des rétrocessions de céréales effectuées avant le 1 septembre 1951 et incidence du poids spécifique sur le prix de rétrocession des céréales.
Il en résulte pour Lucie de longues soirées de calculs au centime près (à la main bien sûr, car les calculettes n’existent pas). Ensuite il faut recevoir les contrôleurs qui viennent s’installer pendant plusieurs jours dans la salle à manger-bureau pour vérifier sur place si la réalité est concordante.
Survient en plus un litige qualitatif dont les conséquences auraient pu être terribles.
Un wagon de farine expédié dans la Loire a fait l’objet d’un contrôle de la part du Service de la Répression des Fraudes. C’est un contrôle de routine, mais recevoir du courrier avec cet en-tête est inquiétant : Lucie et Marius ont à l’esprit la situation de ce meunier poitevin, injustement emprisonné quelques mois plus tôt dans le cadre de l’affaire du « pain maudit » dont on parle tant à la radio *Ils prennent un avocat, l’affaire est classée sans suite, mais que de nuits sans dormir !
*Dans toute la France, les services de la Répression des Fraudes sont sur les dents. En août 1951, à Pont Saint-Esprit, cinquante personnes avaient été hospitalisées, prises de maux de têtes, vomissements, convulsions, cinq «étaient mortes. Elles avaient toutes mangé du pain provenant de la même boulangerie. Certaines analyses avaient détecté la présence d’ergot de seigle, connu pour provoquer des symptômes de ce type, mais pas à une telle échelle.
La cause n’avait jamais été élucidée formellement. Le meunier avait été libéré après plusieurs mois d’incarcération à Nîmes.
En 2009, cette affaire est ressortie aux Etats-Unis. Selon un journaliste américain qui a écrit un livre à ce sujet, leurs services secrets se seraient livrés dans le sud de la France à une expérimentation d’aérosols au LSD qui aurait mal tourné.
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