-
D'autres "Sèche bouteille" existent en Côte d'Or , Maurice Monsaingeon, Docteur es Lettres et Linguiste nous révèle leurs significations.......
Sylvain Beuchot m'a envoyé une étude historique sur l'origine de la ferme de "Sèche bouteille", sise à Prusly sur Ource :
http://www.christaldesaintmarc.com/seche-bouteille-une-ferme-isolee-de-prusly-sur-ource-a211688722
Maurice Monsaingeon, qui fut mon collègue plusieurs années, à l'école de Saint Marc sur Seine, a fait ensuite des études universitaires en linguistique, et est devenu Docteur es Lettres.
Il s'intéresse à l'origine des noms de lieux, des noms de famille...
Il a étudié ce que représentait le nom "Sèche bouteille" assez courant dans notre région, quoiqu'on en pense, et en a donc fait une étude linguistique.
Celle-ci est passionnante, merci à lui de me l'avoir offerte !
La ferme de Sèche bouteille située sur le finage de Prusly a été bâtie, d’après Roserot, peu après 1550, soit à la fin d’une phase de reprise économique, juste avant le début des guerres de Religion.
Nom relativement récent donc et par conséquent peu susceptible d’être la transformation d’un nom plus ancien devenu obscur.
Dans le bail cité par Roserot, la construction aurait pris place en un lieu appelé « L’esperonyer ».
(Une parenthèse : n’y aurait-il pas là une mauvaise lecture de « L’esperouyer » autrement dit « L’épruyer », le sorbier qui affectionne les terres calcaires ?).
La ferme a manifestement repris le terroir d’une plus ancienne exploitation appelée « Grange Madame » dont le seul souvenir est un toponyme proche.
Sur le cadastre de 1811, Sèche bouteille est dans un angle de la parcelle appelée « Les Montants de Prusly », c’est-à-dire « Les coteaux de Prusly ».
Tous ces mots ne nous servent à rien pour trouver un sens au nom de cette ferme.
Les toponymes incluant le nom « bouteille » sont souvent expliqués par une référence à des vignes, plus précisément de mauvaises vignes, des parcelles ingrates qui ne remplissent pas les caves ni n’abreuvent les gosiers.
Hélas, autour du Sèche bouteille de Prusly, il est peu probable qu’il y ait jamais eu de vignes.
Le plateau calcaire environnant la ferme ne s’y prête guère ; il ne donne de belles récoltes que depuis peu.
En 1811, les champs alentour étaient classés en 5 e catégorie.
Terres effectivement ingrates donc.
Parlerait-on ici du vent assez fort pour sécher des bouteilles que l’on aurait placées à l’extérieur ? Astucieux, mais le diagnostic est valable pour une éolienne moderne.
Vers 1550, les bouteilles utilisées dans les campagnes étaient plus souvent en cuir ou en terre qu’en verre ; seules les tables aristocratiques accueillaient des modèles en verre, et encore pas toutes.
On peut douter qu’une collection de bouteilles, quelle qu’en fusse la matière, ait été rassemblée là au temps d’Henri II.
Avant d’avancer une autre explication, il convient d’examiner si d’autres toponymes Sèche bouteille existent localement et, en cas de réponse affirmative, de déterminer les particularités liées à leur emplacement.
Une autre ferme de Sèche bouteille est toujours visible dans la région. Elle est située sur la commune de Leuglay, près du hameau de Froidvent.
Elle s’est installée dans une clairière gagnée sur la forêt qui domine la rive gauche de l’Ource.
Sa date de construction est inconnue.
Roserot lui donne comme première attestation la forme « Chausse bouteille » en 1688.
Il faudrait vérifier la sincérité de cette première attestation dans le document cité par Roserot (malheureusement sans cote).
« Chausse bouteille » n’a guère de sens pour nous, même en faisant appel à la pantoufle de Cendrillon.
En patois « chausse » a pu être une souche, mais quel rapport avec bouteille ? La carte de Cassini indique « Seiche bouteille ».
Le terroir est là encore ingrat, la forêt omniprésente.
La ferme a été abandonnée un temps avant d’être restaurée.
En tout cas, pour les vignes, ce n’est vraiment pas le meilleur endroit.
Le trait commun entre ces deux constructions ne semble pas être l’exposition au vent ou le type de culture.
Ce peut être la difficulté d’approvisionnement en eau.
Le Sèche bouteille de Prusly a aujourd’hui une réserve, mais autrefois ? Une citerne ? Un puits ?
Le Sèche bouteille de Leuglay a une source, mais à 250 mètres des bâtiments.
Que devient-elle l’été ?
Si l’on prend pour argent comptant cette hypothèse, le liquide absent ne serait pas le nectar cher à Bacchus, mais la simple flotte si nécessaire à la vie.
Cependant cette question de la rareté de l’eau est récurrente sur les plateaux calcaires du Châtillonnais et on n’y trouve que deux fermes de ce nom.
Plus quelques parcelles non bâties.
Que dire de ces autres toponymes recensés ? Vignes ou pas vignes ? Eau ou pas d’eau ?
Le Sèche bouteille de Courlon n’est pas une construction.
C’est un ensemble de parcelles située le long de la Tille.
Autant dire que le problème ici n’est pas l’absence d’eau ; ce serait plutôt le trop d’eau.
Les prés immédiatement placés le long de la rivière sont classés en 3 e catégorie alors que les terres d’à côté, plus en hauteur, sont en 1 e catégorie.
Des zones marécageuses ? Alors pourquoi Sèche bouteille au bord de l’eau ?
Là encore pour les vignes, c’est raté.
Restent deux autres « Sèche bouteille », à Gomméville et à Messigny-Vantoux.
Cette fois, l’hypothèse d’un mauvais vignoble se vérifie dans les deux cas.
Remarquez que le pluriel est utilisé à Gomméville : on y lit « Es sèches bouteilles » sur l’ancien cadastre ; l’orthographe de 1810 montre que la signification était sans doute oubliée dès cette époque ; « sèche », pour le rédacteur de ce document n’est pas un verbe, mais un adjectif accolé au nom.
Il y aurait eu des bouteilles sèches dans le secteur… Une trouvaille archéologique ?
Cette année-là, il restait encore deux petites vignes sur la parcelle avec tout autour des friches et des mauvais champs.
Dans les siècles précédents, quand le vignoble a connu son extension maximale, il est probable que la vigne occupait une surface bien supérieure.
Ce qui ne rendait pas obligatoirement sa production digne d’un Meursault.
A Messigny-et-Vantoux, Sèche bouteille était en 1810 au cœur des vignes surplombant le village.
Des vignes pas bien estimées si l’on en croit l’état des sections.
Des vignes qui produisaient peu ? Ou bien des vignes qui réclamaient beaucoup de travail et de sueur ? Et en retour un pressant besoin de liquide (eau ou vin) pour compenser la sudation.
D’où ces bouteilles sèches, en fait des gourdes de vignerons qu’il fallait remplir sans cesse ?
Le nom « bouteille » se retrouve également dans la composition « Vide bouteille ».
C’est une ferme d’Oigny, près du hameau des Granges, bâtie peu après 1600.
Une installation venue tardivement et qui n’occupe pas non plus les meilleures terres du secteur.
Linguistiquement, la formation semble comparable à « Sèche bouteille » et son usage renvoie à la même époque et à la même région : le Châtillonnais du 16e siècle.
Il faut noter qu’aucune autre partie du département n’a produit ou en tout cas conservé cette sorte de toponyme.
L’Yonne a par contre des « Moque bouteille » qui étaient des vignes dont la production devait être plus ou moins appréciée.
Une autre ferme nommée "Sèche bouteille" se trouve pas très loin d'Etivey, dans l'Yonne.
Aujourd'hui elle est dans les bois avec piscine et terrain de tennis, plus la ligne TGV à 500 mètres.
Autrefois elle était entourée de bons champs, sans vigne. Pour l'eau : une mare.
Dernière hypothèse : « Bouteille » a été un patronyme local à la fin du moyen âge avec la forme d’alors : « Boutoille ».
Mais aucun des foyers (Mosson, Châtillon-sur-Seine) n’a duré plus que quelques années et il n’y a pas eu transmission.
Cette piste ne mène à rien.
En conclusion :
Retrouver le sens et reconstituer l’histoire d’un toponyme exige qu’on prenne en compte la langue de l’époque qui les a vus naître aussi bien que les conditions environnementales (au sens large) du temps.
Nous ne voyons plus la campagne de la même façon et les conditions du travail de la terre ont évolué considérablement.
Au 16e siècle, un paysan partait travailler aux champs avec sa pioche et sa bouteille.
Cette dernière était ordinairement un récipient en grès contenant sa « boite » (sa boisson) et dans certains cas sa nourriture.
Parfois, la famille ou la domesticité apportait le repas de midi ou un supplément sur place, surtout en période de chaleur.
Cette pratique existait encore dans les années 1950.
Un « Sèche bouteille » a donc pu être un lieu exigeant de l’ouvrier un labeur prolongé et un besoin accru en boisson.
Même le long de la Tille où un faucheur n’a pas dû s’amuser tous les jours en coupant des prés humides.
Si ce toponyme n’a eu qu’un sens, c’est celui-là qui paraît le plus probable, mais on ne peut exclure qu’il en ait eu plusieurs.
Pour les fermes, ce serait le manque d’eau à la saison chaude entraînant des difficultés pour remplir sa bouteille.
-
Commentaires
1Anne BouhélierJeudi 20 Janvier 2022 à 21:58
Ajouter un commentaire
Oui mon père lorsque j'étais enfant parlait souvent de Sèche bouteille ,un lieu dit sur Leuglay ,il travaillait chez Bordet à Froivent .
Tout celà est bien loin ,j'ai 72 auns et Leuglay est toujours dans ma mémoire de gamin .
C'est pour celà que depuis le Sud Ouest je parcours ce Blog
On oublie jamais ces racines,ainsi va la vie