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Une autre guerre en 1870, la guerre d'Algérie
Dominique Masson nous éclaire aujourd'hui sur une guerre d'Algérie...qui eut lieu en 1870.
Déjà à cette époque, alors que le second Empire venait de s'effondrer, des mutineries d'indigènes eurent lieu...un prélude à n'en pas douter à ce qui allait se passer au XXème siècle...
Merci à Dominique Masson pour ce passionnant notule d'histoire.
Notule d’histoire :
une autre guerre en 1871 : la guerre d’Algérie
Le 4 août 1870, devant Wissembourg, le général Douay, sous les ordres de Mac Mahon, surpris par l’armée du prince impérial de Prusse, dut livrer combat.
Les régiments algériens montèrent à l’assaut et les Turcos firent des prodiges, couvrant la ville pendant la défaite et sauvant du désastre le gros de l’armée française.
Le 6, pour couvrir la retraite de Mac Mahon, 1700 tirailleurs algériens attaquèrent à la baïonnette et reprirent des zones perdues.
Quand ils se retirèrent sous la mitraille ennemie, ils laissèrent sur le terrain 800 hommes.
Leur résistance acharnée permit la retraite sur Reichshoffen.
Mais, lorsque fin décembre, Gambetta, ministre de la Guerre, donne l’ordre de mobiliser les spahis d’Algérie et de les embarquer aussitôt à destination de Marseille, ceux d’Aïn Guétar, près de la frontière tunisienne, se mutinèrent.
Ils refusaient d’aller combattre en Europe, où nombre d’entre eux avait laissé leur vie.
Ces mutineries sont le prélude à la révolte qui éclata en janvier 1871 en Algérie.
La conquête de l’Algérie par la France a commencé à partir du 14 juin 1830, date à laquelle les Français débarquent en Algérie, suite à un incident diplomatique, le coup d’éventail.
En 1848, après la reddition d’Abd El Kader, l’Algérie est officiellement proclamée territoire français.
Du Ier septembre 1864 au 4 septembre 1870, le maréchal Mac Mahon y est gouverneur général.
(figure 1 : Voyage de Napoléon III à Mostaganem le 20 mai 1865)
Napoléon III, assez idéaliste, voulait préparer l’égalité pour les indigènes et endiguer les ambitions des colons ; il permettra aux indigènes d’acquérir des terres et le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 fixe les conditions d’accession des musulmans et des juifs à la citoyenneté française.
L’empereur lui-même fait deux séjours en Algérie, en septembre 1860 et du 3 mai au 7 juin 1865.
En 1866, on dénombre 22 600 immigrés contre 265 070 indigènes.
Dès 1830, des unités d’infanterie de zouaves sont créées au sein de l’armée d’Afrique.
En 1841, se crée en Algérie des bataillons de tirailleurs indigènes, surnommés Turcos après la guerre de Crimée, et qui intégreront la Garde impériale en 1863.
Dans le même temps, un corps de cavaliers indigènes est créé sous la dénomination de spahis.
Au début de la guerre contre la Prusse, trois régiments de tirailleurs algériens sont envoyés en France où ils combattent vaillamment, tandis que d’autres bataillons, présents au sein de la Garde impériale, rejoignent directement le front.
(Figure 2 : Exemple de dépêche envoyée aux Préfets et au Gouverneur d'Algérie AMC 4H11)
Avec la proclamation de la République en France, la situation va être confuse en Algérie.
L’annonce de la chute de l’Empire, le 4 septembre, va provoquer des manifestations révolutionnaires contre le second Empire, à Oran, Orléansville ou Alger, et les colons vont chercher à en profiter.
Ceux-ci sont, en partie, des déportés en Algérie après la répression de la Révolution de 1848, ou à la suite du coup d’Etat napoléonien du 2 décembre 1851 ou de l’attentat d’Orsini de 1858.
Une association républicaine fut créée à Alger, comprenant, entre autres, des proudhoniens, des fouriéristes et des néojacobins ; une section de la Première Internationale y fonctionnait également.
Mais le rôle dirigeant parmi les colons est assuré par des démocrates petit-bourgeois.
Des comités révolutionnaires, des clubs démocratiques firent leur apparition dans plusieurs villes d’Algérie.
Mais ces colons communards réclamaient une administration civile, dont ils seraient les seuls maîtres, rejetant le gouverneur militaire et risquant de faire peser sur les Algériens une domination encore plus dure que celle de l’armée coloniale.
Pour cette gauche blanche, la République sociale et démocratique devait se faire par les Européens et pour les Européens, en renforçant la domination coloniale qui déshumanisait les colonisés algériens, invisibles à leurs yeux.
Pour diriger l’Algérie, le Gouvernement de la Défense nationale nomme Jean-Louis Marie Ladislas Esterhazy, à la place de François Louis Alfred Durrieu, gouverneur intérimaire d’Algérie du 27 juillet au 24 octobre 1870.
Arrivé à Alger le 23 octobre, il subit une insurrection populaire, appuyé par le conseil municipal d’Alger, qui l’empêcha de prendre ses fonctions en envahissant le palais du gouverneur ; il fut obligé de démissionner le 28 octobre.
Le comité républicain d’Alger avait, en octobre, organisé des élections municipales et c’est Romuald Vuillermoz qui s’était autoproclamé maire ; c’était un avocat, déporté à la suite du coup d’état de 1851.
Il s’appuie sur une Garde nationale, en fait une milice, composée essentiellement d’Européens.
Gambetta, depuis Bordeaux, l’accuse de faire le « dictateur » et refuse de reconnaître Vuillermoz comme commissaire civil extraordinaire par intérim.
La République préfère nommer elle-même des commissaires extraordinaires (Charles du Bouzet d’abord, du 16 novembre 1870 au 8 février 1871, puis Alexis Lambert, du 8 février au 10 avril 1871).
Alger proclame la Commune le 8 février mais, bien qu’ayant plus tard un représentant à la Commune de Paris, celle-ci n’a pas les mêmes aspirations que les communards de la métropole, et le pouvoir des colons ne dépassait pas le littoral.
C’est aussi le 8 février que l’Algérie va élire le général Garibaldi comme député (il fut aussi élu à Paris, dans les Alpes Maritimes et en Côte d’Or).
Victor Hugo intervint à l’Assemblée, Nationale, débattant de la décision d’invalider l’élection de Garibaldi à l’Assemblée d’Alger, le 8 mars 1871, sous prétexte qu’il n’était pas français, bien que né à Nice ; chahuté, il donna sa démission.
Face à ces européens qui ne regardent que leurs intérêts, existent les invisibles algériens, mais qui recevaient les journaux de la métropole évoquant les défaites françaises et, en outre, des soldats rentraient en Algérie et décrivaient ce qui se passait en France.
Les musulmans ont connu une sévère crise alimentaire entre 1866 et 1868, qui a laissé des traces, et les insurrections dans les Aurès et en Kabylie ont été réprimées dans le sang.
La guerre franco-prussienne de 1870 fit souffler un nouveau vent de révolte dans toute l’Algérie et on acheta des armes, des munitions, des chevaux, agissant comme si l’autorité française avait cessé d’exister en Algérie, à une époque où la France avait dégarni de troupes le territoire algérien pour faire face à l’invasion prussienne.
Déjà, en 1869, le maréchal Mac Mahon avait alerté le gouvernement : Les Kabyles resteront tranquilles aussi longtemps qu’ils ne verront pas la possibilité de nous chasser de leur pays.
Dès le 15 septembre 1870, le général Durrieu signalait qu’un mouvement insurrectionnel, impossible à prévenir et susceptible de devenir général, me paraît imminent et, avec le peu de troupes dont je dispose, je ne saurais prévoir la gravité de ses conséquences.
Après des mouvements d’abord à Moudjebeur, le 20 janvier 1871, puis la mutinerie d’Aïn Guettar, le 23, la révolte des Spahis s’amplifia à partir du 16 mars, quand le Bachaga Mohammed El Mokrani sonna l’heure de la révolte dans la région des Bibans, le 14 mars 1871 : la guerre du Français va commencer.
Mokrani a été déçu par la France et a subi, de 1853 à 1870, un certain nombre de vexations et d’humiliations.
Le 15 avril, il écrit : Si j’ai continué à servir la France, c’est parce qu’elle était en guerre avec la Prusse et que je n’ai pas voulu augmenter les difficultés de la situation.
Aujourd’hui, la paix est faite, et j’entends jouir de ma liberté… Mes serviteurs sont arrêtés… et partout on affirme que je suis insurgé… Je m’apprête à combattre.
Aussitôt, plus de 250 tribus se soulèvent, soit 1/3 de la population de l’Algérie.
Afin de donner une assise populaire et religieuse à sa révolte, il envoya une délégation auprès du cheikh El Haddad, qui était à la tête de la grande confrérie soufie de la Rahmaniyya.
Le 8 avril 1871, ce dernier au marché de Seddouk, proclame le jihad.
Le 14 avril, les révoltés sont à 60 km d’Alger.
Figure 3 :Attaque de Bordj Bou Arreridj par les hommes du Cheikh El Mokrani (L'Illustration 1871)
La République réagit en envoyant, le 29 mars, un gouverneur militaire, l’amiral Louis Henri de Gueydon, premier gouverneur militaire en Algérie de la IIIe République et la commune d’Alger va s’effacer face au danger.
Figure 4 :Territoires touchés par la révolte de Mokrani
(Djilali Sari : l'insurrection de 1871 SNED Alger 1972)
Le ministère de la Guerre décide, suite au désengagement sur le front en Europe, de l’envoi de 17 500 hommes pour réprimer l’insurrection, suivi de 4 000 hommes début avril, portant ainsi le total des soldats français en Algérie à 86 000.
Le 25 avril, le gouverneur déclare l’état de siège.
L’insurrection ne prendra fin qu’avec la mort de Mokrani, le 5 mai 1871 et la capture de Bou-Mezrag, frère de Mokrani, le 20 janvier 1872.
La répression fut sévère.
Il y aura des condamnations à mort, des déportations en Nouvelle-Calédonie, le versement d’une contribution de guerre et450 000 ha de terres sont confisquées.
Au regard de l’histoire, la révolte de Mokrani est la première grande insurrection contre la colonisation française.
Figure 5 : extrait du journal "Le petit moniteur universel" 25 juillet 1871 AMC 4H40
La France, en Algérie, a porté ses effectifs à 86 000 hommes et a livré 340 combats.
Si les pertes du côté algérien sont inconnues, elles s’élèvent du côté des soldats français à 2686 morts, dont la moitié de maladie.
Nous avons relevé deux Châtillonnais décédés lors de cette guerre.
Figure 6 : Inscription sur le monument de Sainte Colombe sur Seine (Cliché Dominique Masson)
Le premier est Pierre Victor Misset, né à Sainte Colombe le 12 février 1850, mort à 21 ans à l’hôpital militaire de Nemours (Ghazouet aujourd’hui).
Il était soldat au quatrième régiment d’infanterie de marine et mourut le 10 avril 1871 ;la transcription à l’état-civil de Sainte Colombe fut faite le 12 juin 1873 (son nom est orthographié « Missey »).
Son nom est inscrit, à gauche, sur le monument érigé au cimetière de Sainte Colombe, en 1902, par souscription publique, sous l’initiative de la 1023e section des Vétérans et de la Société de tir de l’Espérance de Sainte Colombe.
Figure 7 : Transcription de l'acte de décès de "Missey" à l'état-civil de Sainte-Colombe sur Seine
Figure 8 : Monument élevé en l'honneur des soldats morts au cimetière de Sainte-Colombe sur Seine (cliché Dominique Masson)
Le second est Alexandre Chrétien, né à Verpillières (Aube), soldat de deuxième classe au 27e bataillon de chasseurs à pied, âgé de 21 ans, mais habitant à Riel-les-Eaux.
Entré à l’hôpital de militaire de Fort-National (aujourd’hui Larbaâ Nath Irathen), il y décéda le 29 juin, par suite de plaie par arme à feu du foie et de l’abdomen.
Son décès sera retranscrit sur l’état-civil de Riel le 29 juillet 1873.
Figure 9 : Transcription du décès d'Alexandre Chrétien à l'état-civil de Riel les Eaux
Figure 10 : Réponse du Maire de Riel les Eaux à la demande du maire de Châtillon sur Seine pour établir une plaque à l'église Saint-Nicolas AMC 4H42
(Dominique Masson)
Remerciements à Michel Massé
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Commentaires
merci pour ce moment d'histoire oublié!!