• Souvenirs retrouvés....

    (autographe de Kiki,(1929)à son éditeur et amant Henri Broca qu'elle appelait "Bébé")

    Préfacés par Hemingway, censurés aux États-Unis en même temps que l'Ulysse de Joyce et publiés une première fois en 1929, le manuscrit de ces Souvenirs remanié en 38 avait disparu dans les années 50 avec son auteur.

    Il est réapparu récemment, étiqueté de la mention " infiniment précieux ".

    Précieux, le témoignage de Kiki, modèle et peintre dans le Montparnasse des années 20, l'est sans nul doute à travers ses anecdotes.

    Avant de se mettre au travail, Foujita, dont


    "l' accent japonais (...) lui interdit de prononcer les "r" ", inspectait ses modèles pour vérifier si elles hébergeaient des " molpions ".


    Modigliani, l'homme aux

    " trois maîtresses dont il n'arrivait pas à se dépêtrer (...) mangeait d'une main et de l'autre dessinait ".

    Pour Kisling,

    " très sensible sous une écorce rude ", toutes les filles s'appelaient " salope " et il l'accueillait d'un " magnifique coup de pied au cul " si elle arrivait en retard pour la pose.

    Man Ray, Soutine, Desnos... la " grande famille d'affamés " se retrouvait dans les cafés de Montparnasse.

    " C'est là que nous nous réunissons tous, là que s'échafaudent les grands espoirs "

    écrit Kiki dans des élans de nostalgie à nous arracher des larmes, nous qui voyons arts et lettres désormais se produire sur les plateaux télévisés.

    Mais qu'on ne se méprenne pas : ce n'est pas pour se prévaloir d'avoir fréquenté des célébrités qu'elle offre à chacun son chapitre mais plutôt pour remercier ces amis de ne l'avoir jamais laissée tomber.

    Car l'égérie des Montparnos avait du coeur. Parfois un peu trop et au détriment de ces Souvenirs retrouvés.

    " Si j'avais été un tout petit peu grue, qu'est-ce que je pouvais avoir !... Pouah ! Faire ça pour de l'argent !... Je suis restée la fille très sentimentale et pleine d'affection que j'ai dû comprimer toute ma jeunesse. "

    Mais comment devient-on égérie ?

    Bâtarde recueillie par sa grand-mère, Alice Prin quitte sa Bourgogne natale pour Paris où, à 13 ans, on lui confie son premier travail intéressant : relier le Kama-sutra.

    Les belles images inspirent à ses " entre-cuisses des mouvements d'oiseau qui n'arrive pas à s'envoler " mais rendent la réalité amoureuse bien fade en comparaison, d'autant qu'une anomalie physiologique la prive longtemps de son dépucelage.

    Une fois cet obstacle franchi, la faim et un goût certain pour l'art

    " Poète, peintre ou théâtreux. En dehors de ces trois professions, je n'admettais aucun autre mortel "

    la conduisent tout naturellement à devenir modèle, unique alternative à l'atelier ou au métier de " boniche " pour une jeune fille pauvre et déracinée.

    Quand Alice devient Kiki. Kiki de Montparnasse parce que c'est là que tout se joue.

    " Je vais la gueule au vent et fais ma visite à tous les bistros du coin "

    La Rotonde, Le Dôme, La Coupole... Le Jockey, aussi, cabaret où elle entame une carrière de chanteuse quand les kilos l'obligent à se recycler.

    Mais la fin des années vingt et la Grande crise sonnent bientôt le glas de cette terre de bohème intra-muros.

    Tournées à Saint-Tropez et à Berlin, sa mère et son amant devenu fou meurent, drogues et alcools, l'étoile de Kiki commence à pâlir.

    Les surréalistes, " ces grands gamins crédules ", prennent possession des lieux.

    La cote des peintres réunis sous l'appellation École de Paris s'envole.

    On retape les cafés.

    " Montparnasse ne se signale pas spécialement "

    conclut Kiki en épitaphe.

    Fin d'une époque, début d'une légende.


    (préface de Serge Plantureux)



    (Souvenirs retrouvés
    Kiki de Montparnasse
    Éditions José Corti)

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