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"Prussiens et Francs-Tireurs à Ampilly-le-Sec en 1870-1871", un notule d'hisoire de Dominique Masson
Dominique Masson continue de nous conter ce qui se passa dans le Châtillonnais durant la guerre de 1870.
Après la fameuse "surprise de Châtillon", les villages voisins ne furent pas épargnés...
Merci à lui pour ses passionnantes recherches historiques.
Notule d’histoire
Prussiens et francs-tireurs à Ampilly-le-Sec en 1870-1871
Le 14 octobre 1870, Giuseppe Garibaldi installait son état-major à Dôle et organisait l’armée des Vosges en quatre brigades.
Du 4 au 7 novembre, s’organisait la quatrième brigade, sous le commandement de Ricciotti Garibaldi.
Mais, selon l’instituteurd’Ampilly, L. Goutey,[1]le 5 novembre, une trentaine de « garibaldiens » passa à Ampilly, se dirigeant vers Semur ; peut-être était-ce un groupe qui voulait se joindre à Garibaldi (Ricciotti sera à Semur le 17).
Le 19 novembre, de 6 heures à 10 heures du matin, la quatrième brigade de l’armée des Vosges, commandée par Ricciotti Garibaldi effectuait une « surprise » sur Châtillon.
Le général prussien Eugène Antoine Théophile von Podbielski, quartier-maître à l’état-major prussien, dans la 96e dépêche (Berlin, 22 novembre) datée du 21 novembre, de Versailles, relatait le fait :
Les gardes mobiles battus à Dreux et Châteauneuf ont pris la fuite vers l’ouest et le nord-ouest.
Le 19, le bataillon de la Landwehr Unna et deux escadrons du 5e régiment des hussards de réserve ont été attaqués à Châtillon ; ils se sont retirés avec une perte de 120 hommes et de 70 chevaux, sur Châteauvillain.
Des autres armées, il n’y a pas de communications marquantes.
A Châtillon, stationnaient les 1re, 2e et 4e compagnies d’Unna (soit 460 hommes) .
Unna est une ville dans le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie), et la 2e compagnie du 5e hussard de réserve (avec 94 chevaux), sous le commandement du colonel Lettgau.
C’étaient des troupes reléguées en deuxième ligne.
Les pertes subies par l’armée prussienne furent largement surestimées.
Encore après-guerre, dans le rapport de la section historique du grand état-major prussien, celui-ci comptabilise, pour le bataillon Unna, 2 officiers ou sous-officiers blessés et 5 disparus et, pour les hommes, 12 tués et 8 blessés.
Pour le régiment de hussards, il y avait un officier tué, ainsi qu’un homme et un autre blessé, mais 44 disparus (plus 74 chevaux disparus).
Il faut y ajouter un payeur, Schmidt (Ricciotti s’était emparé de la caisse du régiment), et un médecin aide-major, le docteur Hensgen[2].
figure 1 :Grenest "l'armée de l'Est-Relation anecdotique de la campagne de 1870-1871. paris 1895
Figure 2 : 96ème dépêche allemande annonçant la "surprise de Châtillon"
figure 3 :tableau des pertes subies selon l'armée prussienne "à la guerre franco-allemande" op cité
Selon Garibaldi, il y eut 164 soldats et 13 officiers prisonniers, 72 chevaux et 6 voitures de matériel, notamment celle de la poste (plus deux cantinières « très laides »).
A Tours, on annonça que :
l’ennemi a été surpris à Châtillon (département de la Côte d’Or) par les troupes garibaldiennes sous le commandement de Ricciotti. Tout a été tué ou fait prisonnier : 7 à 800 hommes environ[3].
En fait, il semble qu’il n’y ait eu que 14 soldats tués du côté prussien et 6 pour les garibaldiens.
Après son attaque, Garibaldi et ses hommes repartirent vers Coulmier:
il est superflu de dire combien nos hommes étaient joyeux de se voir réunis après une telle expédition.
Il en résulta une fête improvisée d’un bel élan et qui avait ses côtés comiques.
Les casques à paratonnerre coiffaient maintenant nos francs-tireurs qui paraissaient transformés en autant de prussiens.
Et, en effet, la seule manière de porter un peu commodément ce très incommode couvre-chef était de s’en coiffer.
Une société musicale fut improvisée, où manquait une seule chose : la connaissance de la musique.
On chercha à suppléer à l’absence de mélodie par l’emploi de tambours, et vous pouvez imaginer le concert qui en résulta.
Ils semblaient tous devenus des écoliers auxquels une fête imprévue est accordée.
Le commandement ferma un œil sur le relâchement de la discipline et il arriva que les prisonniers eux-mêmes furent gagnés par la joyeuse humeur de nos hommes[4].
Figure 4 : Grenest "l'armée de l'Est-relation anecdotique de la campagne de 1870-1871. Paris 1895
Edmond Thiébaut raconte aussi [5]:
Les prisonniers marchaient au centre de la colonne entre les deux files des compagnies.
La garde des officiers était confiée aux chasseurs des alpes ; l’attitude de ces Allemands était fière et résignée.
Ils semblaient considérer avec étonnement la franche gaîté de nos francs-tireurs.
Parmi les soldats, on remarquait un mélange singulier de toutes les armes.
On y trouvait les costumes de la landwehr, des chasseurs, à pied, de divers régiments d’infanterie de ligne, des hussards, des chasseurs à cheval, des soldats de l’intendance, de l’ambulance, des postes ; des musiciens, des tambours, des fifres et un splendide canne-major.
La plupart d’entre eux étaient tremblants et désolés, protestant dans une langue impossible de leur amitié pour les francs-tireurs, et proférant contre Guillaume et Bismarck les plus dures imprécations …
Sur toute notre route, nous recevions les ovations des habitants des villages que nous traversions…
La cavalerie fermait la marche ; ce n’était pas le côté le moins curieux du cortège.
On avait hissé sur les chevaux les hommes blessés ou fatigués qui ne pouvaient suivre la colonne.
Ces cavaliers de circonstance étaient comme leurs camarades coiffés du paratonnerre ou du colback des hussards ; cet ensemble formait un escadron de l’effet le plus grotesque.
Sur leur route, ils passèrent par Ampilly.
Pendant leur arrêt, un coup de feu frappa dans la région du cœur un franc-tireur suisse, né à Neuchâtel, nommé Louis Perrey.
Figur 5 : Décès de Louis Perrey, état-civil d'Ampilly-le-Sec
Ce n’est que deux mois plus tard qu’il succombait à ses blessures, le 12 janvier 1871, âgé de 43 ans,au domicile de Marie Collin, sœur institutrice.(depuis 1854, un don avait été fait pour la venue des sœurs congréganistes, mais il n’y eut qu’une institutrice en poste, madame Collin, en religion sœur Juliette).
Selon l’instituteur L. Goutey, le soir du même jour (19 novembre), un autre passage de francs-tireurs eut lieu ; un soldat a été, dit-on, tué par vengeance, par un de ses camarades florentins, Egiste Cortepassé[6].
Figure 6 : décès d'Egiste Cortepassé, état-civil d'Ampilly-le-Sec
Agé de 22 ans,né à Florence, il décéda à l’auberge de Basile Cazet.
Ces tombes n’existent plus au cimetière d’Ampilly, alors qu’elles auraient dû bénéficier de la loi du 4 avril 1873, relative aux tombes de militaires morts pendant cette guerre, et garantissant leur protection.
Les garibaldiens partirent vers Coulmier
Là, on savait déjà notre succès et notre retour était attendu avec impatience…
Aussitôt notre arrivée au centre du village, les prisonniers furent conduits dans la mairie qui avait été disposée pour les recevoir.
On s’occupa de les ravitailler et on les laissa sous la garde d’un poste solide.
Les officiers, libres sur parole, purent entrer à l’auberge où un repas leur avait été préparé.
Dans la même journée, ils partaient pour Autun, accompagnés seulement de deux officiers choisis pour ce service…
Dès le jour, les prisonniers confiés à la garde nationale de Montbard se mettaient en route.
La garde nationale de Semur devait les venir chercher et les remettre entre les mains du détachement envoyé à cet effet à Saulieu[7].
Selon le Progrès de Lyon, du 26 novembre :
Avant-hier, 200 ( ?) Prussiens faits prisonniers à Châtillon par les Garibaldiens sont arrivés sous l’escorte de francs-tireurs.
Parmi eux se trouvent neuf officiers qui sont descendus à l’hôtel d’Angleterre et à l’hôtel des Deux-Mondes.
Les soldats ont été internés au fort des Charpennes[8]
(parmi les manquants, la Gazette de Westphalie avait recensé, le premier décembre, les premiers lieutenants de Werthern et Kemper ; le lieutenant Brinkmann ; les vice-feldwebels Mellin et Thiene ; le payeur Schmidt et le docteur Hensgen).
Quelques francs-tireurs avaient été blessés lors de l’attaque sur Châtillon et faits prisonniers.
Le 13 janvier 1871, trois francs-tireurs soignés à l’hôpital à la suite de leurs blessures sont conduits en Allemagne (avec Boucquart, meunier à Vix, accusé d’avoir tiré sur une patrouille allemande, le 30 novembre)[9].
Les prussiens avaient déjà paru à Ampilly le 11 novembre, au nombre de 25.
Après l’attaque sur Châtillon, ils revinrent le 5 décembre ; les Allées furent occupées par des soldats tandis que d’autres faisaient des perquisitions à la recherche d’armes.
Jusqu’au 14, il y eut passage d’éclaireurs ennemis.
Mais il y eut deux grands séjours de l’armée prussienne à Ampilly.
Le premier fut du 14 au 17 décembre 1870.
Parmi les officiers, se trouvait un jeune homme de 18 ans, le prince Hermann de Schambourg-Lippe.
Le père de ce jeune prince, Adolphe Ier, qui était chef de cohorte et accompagnait le général von Zastrow, stationna à Châtillon, du 14 au 18 décembre.
Profitant de son séjour à Châtillon, il vint dans la soirée du 16 décembre, visiter Ampilly et voir son fils.
Le second eut lieu du 11 au 14 janvier 1871.
Déjà, le 8, arrivèrent pour la nuit, 500 soldats prussiens.
Le 11, ce fut 1200 chasseurs puis, les trois autres jours, 1500 chasseurs et artilleurs.
Car c’est à Châtillon que le général de cavalerie, baron von Manteuffel, réunit la nouvelle armée, dite armée du sud, composée des IIeet VIIe corps d’armée (plus le XIVe corps d’armée, totalisant ensemble 118 bataillons, 54 escadrons et 51 batteries), pour attaquer Dijon défendu par Garibaldi et repousser l’armée de Bourbaki.
Selon l’instituteur Goutey
Les habitants eurent à se plaindre des chefs et des soldats ; l’on n’avait pas encore vu chefs plus orgueilleux et plus exigeants, domestiques plus impérieux et grossiers, soldats plus dédaigneux.
Le pays a eu à souffrir des exigences, des rapines et des excès de vin de cette armée indisciplinée.
Et il ajoute une aventure arrivée au maire d’Ampilly :
Le 14 janvier, l’heure du départ sonnée, le commandant s’informe si tous les hommes et les ch evaux requis sont partis pour Châtillon. Les notes prises par la poste, n’en constatant que la moitié, le commandant fait emmener aussitôt, comme prisonnier de guerre, M. Montenot, maire, qui, en sabots, est obligé de suivre l’armée par une neige toute verglacée. Ce n’est qu’à Darbois, commune de Buncey, que M. Montenot a pu se procurer des souliers, l’armée ennemie ayant quitté la route 71, pour prendre une voie rurale passant par Darbois, la Grange-Emery, et gagner la route n° 13. Bientôt M. Montenot voit arriver ses voituriers réquisitionnés, ceux-ci ayant passé par des voies détournées pour se rendre à Châtillon ; il en avertit aussitôt le commandant qui, pour toute réponse, lui présenta un cigare. Le lendemain, M. Montenot, arrivé à Maisey, pouvait regagner son domicile, fort heureux d’être débarrassé de ses impérieux compagnons de voyage. Quant aux voituriers, la majeure partie n’a été qu’à Leuglay, deux seulement, MM. Mongin et Gillot, sont allés jusqu’à Champlitte
(le quartier général allemand, parti de Châtillon le 14, s’était établi le soir à Voulaines)
Dominique Masson (remerciements à M. Massé)
[1]Goutey L. : monographie de la commune d’Ampilly-le-Sec ; cahiers du Châtillonnais, n° 85
[2] « La guerre franco-allemande de 1870-71, rédigée par la section historique du grand état-major prussien » ; traduction par E. Costa de Serda ; 1882
[3] La Bourgogne pendant la guerre et l’occupation allemande (1870-1871), d’après la gazette de Carlsruhe ; traduction du Dr Louis Marchant ; Dijon, 1875
[4] Garibaldi Ricciotti :« Souvenirs de la campagne de France 1870-71, commandant la 4me brigade de l’Armée des Vosges » ; traduction de Philippe Casimir ; Nice, 1899
[5] Thiébault Edmond : « Ricciotti Garibaldi et la 4me brigade ; récits de la campagne de 1870-71 » ; Paris, 1872
[6]Goutey L: op. cit.
[7] Thiebault ; op. cit.
[8] Gazette de Carlsruhe, op. cit.
[9] Légey Léon : Châtillon-sur-Seine pendant la guerre de 1870-71 ; souvenirs d’un enfant de Châtillon ; Châtillon-sur-Seine, Leclerc, 1899
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Commentaires
En fait une rixe entre francs-tireurs s'est produite dans l'après-midi du 19 novembre vers 17 heures. Au cours de celle-ci le franc-tireur suisse Jean Louis Perret (Neuchâtel) a été grièvement blessé d'un coup de fusil. Le soir même, chez son logeur, celui qui avait tiré le coup de fusil, l'Italien Egiste Cortepassi (Florence) est tué d'un coup de fusil. Dès le lendemain matin, les unités stationnées à Ampilly rejoignent le gros de la 4e brigade à Coulmier sans qu'aucune enquête ait été diligentée, en laissant à la commune le soin d'enterrer Cortepassi et de soigner Perret. Il ne s'agit en aucun cas d'un fait de guerre.