Une conférence sur Georges Clémenceau, offerte aux lecteurs du blog par son auteur, l'historien Robert Fries
Publié le 20 Janvier 2019
L'historien Châtillonnais Robert Fries, Président des Amis du Musée du Pays Châtillonnais-Trésor de Vix, a donné dernièrement, sous l'égide de l'Association Culturelle Châtillonnaise, une très intéressante conférence sur Georges Clémenceau.
Il a proposé aux personnes intéressées l'envoi de son texte, et a accepté très généreusement que je le reproduise sur ce blog.
C'est un texte magnifique, que j'ai illustré pour le rendre moins austère, comme l'avait fait, par des projections, Robert Fries, le jour de sa conférence.
Merci à lui pour son érudition et sa générosité qui permettront aux lecteurs du blog de découvrir la vie exceptionnelle de celui qu'on appela "Le Tigre".
(les chiffres entre parenthèses renvoient aux explications placées en fin de texte)
La jeunesse de Clémenceau
Georges Clemenceau est né dans une famille de notables vendéens dont le chef de famille est médecin, de père en fils. Benjamin, le père de Georges, né en 1810 part, à pied, en 1830 pour Paris pour y faire ses études de médecine. Il arrive à temps pour participer aux Trois Glorieuses de juillet. Il restera républicain. En 1848, il participe à Nantes à des manifestations républicaines. En 1851, après le coup d’Etat, Benjamin est arrêté quelques semaines. A nouveau en 1858, au moment des représailles contre les républicains faisant suite à l’attentat d’Orsini. Benjamin est conduit en cellule jusqu’à Marseille. Grâce à l’entremise de ses amis nantais, il n’est pas envoyé en Algérie. Il rentre en Vendée, met fin à ses activités médicales et mène une vie retirée de notable exploitant ses terres.
Son père, Benjamin Clémenceau :
Sa mère, Sophie-Emma Gaureau, épouse Clémenceau :
Le jeune Georges Clemenceau fait de bonnes études secondaires à Nantes, suivies de près par son père, lui-même un homme cultivé. Au sortir du Lycée, Georges maitrise le latin et le grec qu’il lit à livre ouvert. Il connait l’anglais.Son père lui a appris à bien monter à cheval et à se servir d’un fusil et d’un pistolet. Il est également un bon escrimeur. Mens sana in corpore sano.
Les études de médecine et le départ pour les USA.
Clemenceau séjourne à Paris de 1861 à 1865. Il est externe mais rate l’internat deux fois. Sa thèse porte sur la Génération des éléments anatomiques. C’est une paraphrase des écrits de son maitre Charles Robin, rationaliste et disciple d’Auguste Comte. Ce sont des flèches contre l’Eglise : la vie ne peut provenir que de phénomènes physico-chimiques. Il s’engage alors à traduire de l’Anglais le petit ouvrage de Stuart Mill Auguste Comte and posivitism.
Etudiant en médecine à Paris, Clemenceau rencontre les milieux républicains. Il est épris de justice et de liberté. Il fonde plusieurs éphémères journaux qui disparaissent faute de moyens financiers ou sont interdits. A ce titre Clemenceau est arrêté et fait 73 jours de prison. Il rencontre Blanqui le théoricien de la révolution qui a passé la moitié de sa vie derrière le barreaux et Scheurer-Kestner, bourgeois républicain de Thann (Alsace), également en prison pour propos anti-gouvernementaux incitant à la haine. Il tombe amoureux d’une belle-sœur de Scheurer-Kestner, assez conventionnelle ou victime des conventions de sa famille, … qui l’éconduit.
Georges Clémenceau en 1865 :
Dépité, en 1865, il décide de partir pour les USA qui sortent de la guerre civile. Il y enseigne le français et l’équitation dans un collège de jeunes filles. Il tombe amoureux d’une de ses élèves, qu’il épouse [3].
Mary Plummer, épouse de Clémenceau :
Il écrit des articles pour le Temps. Durant son séjour, il apprend la nécessité,l’art du compromis et la puissance de l’opinion.
En 1869 il rentre en France. Il commence une carrière de médecin de campagne en Vendée.
Quand la guerre éclate, Clemenceau se précipite à Paris. La politique saisit Georges Clemenceau.
La guerre franco-prussienne et la Commune ; les débuts de la IIIe République.
Après la proclamation du Gouvernement de la Défense Nationale (4 septembre 1870) , Clemenceau est nommé maire du XVIIIe arrondissement par Etienne Arago, Maire de Paris et frère du savant Dominique François Arago. Pendant le siège [4] il gère la pénurie pour le plus grand bien de ses administrés. Il est élu à l’Assemblée Nationale en février comme député de Paris [5]. Après le 18 mars 1871, début de la Commune, il s’efforce d’empêcher les violences. Il protège un groupe de gendarmes contre la vindicte populaire. L’expérience de la foule en colère qu’il vécut à ce moment le dégoutera à jamais des manifestations violentes. Il quitte Paris avec de faux papiers début mai 1871 [6] et se réfugie en Vendée, puis près de Thann chez son amis Scheurer-Kestner [7]. Il se sent poursuivi par les Versaillais comme par les « Rouges ».
Auguste Scheurer- Kestner :
Dès le 15 juin, il est de retour à Paris. En juillet 1871 il est élu conseiller municipal de Paris [8]. Il s’occupe de questions sociales (hôpitaux, écoles, assistance). En 1875, il est élu président du conseil municipal [9]. C’est le temps de l’amendement Wallon. La République est sur les rails. En 1876 il est élu à la Chambre des députés. Il y restera jusqu’à 1893 (8/3/76 au 14/10/93). Les Républicains y ont la majorité. Mac Mahon essaie de gouverner à sa guise [10], avec un gouvernement qui n’obtient pas la confiance des députés.
Patrice de Mac Mahon, Président de la République :
Après le 17 mai, Mac Mahon doit se soumettre, puis se démettre en janvier 1879. La République peut engager les grandes réformes.
Durant cette période Clemenceau siège à l’extrême gauche. Une de ses préoccupations principales à court terme : obtenir l’amnistie des déportés et prisonniers de la Commune. Dans ce combat, il a Victor Hugo comme allié au Sénat.
A partir de 1879, et à moyen terme, Clemenceau a deux objectifs « radicaux » : séparer l’église de l’Etat et supprimer le Sénat ainsi que la présidence de la République. Quant au collectivisme souhaité par les socialistes, il n’en n’est pas question. Le parti républicain est en train de se scinder entre « opportunistes » avec Gambetta et « radicaux » avec Clemenceau. Les gouvernements opportunistes se succèdent – on prend les mêmes et on recommence – avec notamment les gouvernements Waddington (1879), Freycinet (4 fois entre 1879 et 1892), Gambetta (14/11/81 – 30/1/82), Ferry (3 fois entre 80 et 85). Clemenceau en est un redoutable adversaire avec ses radicaux, dont Camille Pelletan, et son nouveau journal La Justice.
Pour Clemenceau se sont des années brillantes. Il est en habit tous les soirs. Il participe à des duels, comme témoin ou comme acteur principal. Il tire l’épée et le pistolet.
Le duel Déroulède-Clémenceau :
C’est un cavalier distingué. Il rédige le traité d’équitation (dressage) de James Fillis célèbre pour son galop en arrière et son galop sur trois jambes. Il divorce de son épouse qui retourne aux USA.
Un sujet important de désaccord avec les opportunistes est la question coloniale. En 1882, il refuse au gouvernement les crédits qui lui auraient permis de s’associer aux Anglais pour mener ensemble la répression d’une rébellion (Ahmed Urabi) et partager ( ?) le contrôle de l’Egypte. Il s’oppose aux interventions en Tunisie (1881), en Indochine (1880-1885), à Madagascar. Il n’a pas le dernier mot. Pour lui, la priorité doit être de se préparer à la revanche en Europe ; d’autre part, la conquête par la force de territoires occupées par des populations en état de faiblesse est incompatible avec les principes d’humanisme universel exposés dès 1790 et faisant intégralement partie de l’identité française.
En 1885, un grand débat au Parlement l’oppose à Jules Ferry.
Ferry expose les avantages d’une politique coloniale :
- Raisons humanitaires : apporter la civilisation à des races inférieures ou en retard de développement par des investissements de toutes nature
- Raisons économiques : trouver des débouchés pour nos produits
- Raisons politiques (patriotisme) : retrouver en Afrique ou en Asie une place que la France a perdue en Europe.
Clemenceau démonte cette argumentation et se montre alors visionnaire :
- Toutes les races sont égales et les civilisations asiatiques ont également leur valeur.
- Les équipements (ports et routes) installés à grand frais servent aux autres puissances comme aux Anglais et aux Chinois en ’Indochine
- L’important est de préparer la revanche en Europe.
Entre 1876 et 1885, Clemenceau est le tombeur des ministères opportunistes.
Le mauvais jugement sur le général Boulanger : un poulain introduit puis abandonné.
Boulanger est un camarade du lycée de Nantes, d’une année l’ancien de Clemenceau. C’est un Cyrard heureux. Campagnes brillantes en Algérie puis au Tonkin. Blessé à Champigny, il est fait colonel. En mai 71 lors de la semaine sanglante, il entre dans Paris mais est blessé au coude. Il ne participe pas au massacre. Sa réputation de général républicain est intacte. Promu général de brigade grâce à l’appui du duc d’Aumale en 1880, il travaille au ministère de la guerre.
Clemenceau renoue avec le général car il voit en lui un militaire susceptible de réformer l’armée et de républicaniser le corps des officiers. Remarqué en tant que directeur de l’infanterie, il s’occupe de la troupe, ce qui le rend populaire.
Il est nommé général de division et se voit nommé chef du corps d’occupation en Tunisie. Il y commet un impair diplomatique rapidement oublié [11].
En 1885, Freycinet, sur la recommandation de Clemenceau le nomme ministre de la guerre. Il applique la nouvelle loi sur le service militaire : les séminaristes ne sont plus dispensés (« les curés sac au dos »). Les membre des anciennes régnantes étant exclus des armées de terre et de mer, Boulanger raye des cadres des officiers le prince Murat, les ducs de Chartres, d’Alençon, de Nemours et même d’Aumale, son ancien protecteur. A l’occasion de grèves à Decazeville, il évite habilement de faire tirer sur la foule et chante la fraternité entre soldats et mineurs.
Le 14 juillet 1886, Boulanger sur son cheval noir est le héros de la fête (En revenant de la revue …Je n’ai fait qu’admirer le général Boulanger).
En avril 1887, l’affaire Schnaebele [12]. Un commissaire français est tombé dans un traquenard monté par les Allemands et se trouve emprisonné en Allemagne. Boulanger ne veut pas pousser à la guerre mais se tient prêt. Clemenceau pousse à la modération. Une semaine plus tard, le commissaire est libéré. Boulanger a fait reculer Bismarck. La popularité de Boulanger est au zénith. Il devient un général dangereux. Et Clemenceau de déclarer : « la guerre, c’est une chose trop grave pour la confier à des militaires ». En mai 1887, le gouvernement est renversé. Le nouveau, dirigé par Rouvier [13] ne compte pas Boulanger dans ses rangs.
En juillet 1887, pour qu’il ne participe pas à la revue du 14, Boulanger est envoyé à Clermont-Ferrand. Manifestation de foule à la gare de Lyon qui empêche le train de partir.
Clemenceau juge sévèrement l’engouement de la foule pour le général. Boulanger insinue que cette désapprobation est le signe que Clemenceau et son journal La Justice ne sont pas libres.
En mars 1888 Boulanger est mis en retraite d’office. On lui reproche de s’être rendu à Paris sans avoir demandé préalablement l’autorisation. Il devient éligible. Il se présente à des élections partielles Son programme : dissolution de la Chambre et révision de la constitution. Dans le département du Nord, c’est un triomphe. Les ouvriers ont voté pour lui. A la Chambre, Boulanger est soutenu par la droite, mais les Guesdistes voient dans le général une occasion de mobiliser les forces populaires et d’affaiblir le parti opportuniste. Après quelques semaines Boulanger abandonne son mandat de député. Il se bat à l’épée contre Guy Floquet alors président du conseil et se retrouve blessé. En janvier 1889, Boulanger est élu député de Paris, qui demeure une ville ouvrière où tous les excès sont possibles. Ses partisans lui proposent de marcher sur l’Elysée. Boulanger refuse. Les Républicains se ressaisissent sous le gouvernement Tirard avec Constant comme ministre de l’Intérieur. Il menace Boulanger de la Haute Cour pour complot. Boulanger fuit en Belgique puis à Londres. La Haute Cour le condamne par contumace pour menées subversives à la détention dans une enceinte fortifiée.
Les élections d’octobre 1889 amènent une majorité républicaine. Clemenceau est élu dans la Var. Ferry est battu. Le mouvement boulangiste a réussi à faire élire une quarantaine de députés (dont Maurice Barrès et Paul Déroulède) qui siègent à l’extrême gauche. En 1891 Boulanger se suicide sur la tombe de sa maitresse.
C’est le temps où Drumont publie des ouvrages antisémites qui recueillent l’approbation de nombre de boulangistes.
La chute et la traversée du désert.
Deux affaires dans lesquelles Clemenceau se trouve injustement accusé d’être mêlé vont être fatales pour le chef des radicaux socialistes : l’affaire de Panama et l’affaire Norton.
La Compagnie de Panama crée en 1880 par Ferdinand de Lesseps rencontre des difficultés financières. Pour faciliter une augmentation de capital, la Société décide d’émettre des actions à lots. Pour ce faire, une loi est nécessaire. Pour convaincre les députés des pots de vin leur sont offerts : ce sont les chèques et les chéquards. La loi est votée en 1888. Clemenceau a apporté son vote. Par ailleurs la Compagnie arrose la presse pour qu’elle écrive des articles favorables à l’avancement du projet. Le baron Reinach et Cornélius Hertz, deux financiers juifs, sont les artisans de cette opération de corruption. La Justice, le journal de Clemenceau profite de ces largesses sans pour autant diffuser de fausses informations. En 1889 la Compagnie est mise en liquidation. En 1891 une instruction est ouverte contre Lesseps et ses deux fils pour escroquerie. L’affaire traine. En septembre 1892, Drumont dans La Libre Parole - journal antisémite - raconte les dessous de l’affaire accusant Lesseps, les responsables de la compagnie mais aussi les intermédiaires financiers, juifs en général, dont le baron Reinach, son neveu Joseph, et Cornélius Herz. Reinach, pour ne plus être cité, propose à La Libre Parole de donner les noms des corrompus contre un silence le concernant. Le gouvernement ne pouvant plus reculer, Reinach est mis en accusation. Il se suicide en novembre 1892, Herz fuyant en Angleterre. Ce dernier donna une liste de 104 chéquards. Clemenceau ne faisait pas partie des chéquards mais avait dîné avec Reinach et le ministre Rouvier la veille de sa mort. Clemenceau est alors suspecté de collusion avec la Compagnie. C’était la revanche des boulangistes et plus généralement de la droite.
L’affaire Norton est plus simple. Norton est un aventurier faussaire déjà condamné pour de nombreux délits. Il assure des fonctions de traducteur à l’ambassade d’Angleterre. Il diffuse de fausses informations selon lesquelles Clemenceau et son journal seraient stipendiés par l’ambassade. C’est une période où les relations franco-anglaises sont difficiles du fait de rivalités coloniales (Madagascar, Soudan). L’ambassade de Grande-Bretagne est chargée de mener une campagne de presse défendant les vues britanniques
Au parlement, les adversaires de Clemenceau sont Déroulède [14] et Barrès. Déroulède l’accuse d’être un chéquard, d’avoir reçu de l’argent de Norton, d’avoir dîné avec Reinach la veille de sa mort et d’avoir voté en faveur les actions à lots. Aucune de ces accusations ne peut être prouvée ou représente un délit. Clemenceau sort blanchi par ses pairs.
Mais en septembre et octobre 1893, Clemenceau, victime d’une campagne de presse violente est battu aux élections à la députation dans son arrondissement du Var. La traversée du désert commence.
Les élections de 1893 marquent un changement dans l’équilibre politique. Le pape Léon XIII a accepté les institutions républicaines même s’il condamne la politique menée par les républicains. Les catholiques peuvent alors rallier les rangs des républicains opportunistes, ce qui entraine une orientation plus droitiste desdits opportunistes. De l’autre coté du spectre politique, les socialistes confrontés aux difficultés du monde ouvrier qui vit la crise des années 1880 et qui s’organise grâce à la liberté syndicale apportée par la loi de 1884, mettent en avant un programme de réformes sociales inspirées par les penseurs marxistes. Les socialistes gagnent des circonscriptions ouvrières jusqu’alors détenues par les radicaux. Le mouvement radical socialiste, ouvert aux réformes sociales, notamment l’impôt sur le revenu, est maintenant dépassé sur sa gauche. Les radicaux trouvent leurs électeurs dans la France rurale et dans les villes moyennes ; les ouvriers les ont délaissés.
Devenu écrivain [15] et journaliste par nécessité, Clemenceau met son énergie au service de deux causes : la justice sociale (impôt sur le revenu, amélioration des conditions de vie des ouvriers, développement des syndicats) et l’abolition de la peine de mort. Cette dernière question est d’actualité avec la recrudescence des attentats anarchistes.
L’affaire Dreyfus
Quand en décembre 1894 Dreyfus est condamné, Clemenceau approuve le verdict ; il regrette que la sentence ait été aussi clémente alors qu’un pauvre soldat a été condamné à mort pour avoir lancé un bouton de tunique à la tête du président d’un conseil de guerre. Le même jour Jaurès tenait un discours similaire : les sentences sont terribles pour les modestes, douces pour les privilégiés.
Dès après le procès, chacun pouvait savoir que la procédure n’avait pas été correctement appliquée : les jurés avaient eu accès à un dossier secret que l’inculpé et la défense ne connaissaient pas. Cette grave entorse au code de procédure ôtait toute légitimité à la sentence. De plus les conclusions fantaisistes et discordantes des graphologues laissaient planer un doute sur la culpabilité de Dreyfus. Mathieu Dreyfus[16] et Bernard Lazare essaient de gagner à la cause de la révision des hommes intègres comme Zola ou Scheurer-Kestner, alors vice-président du Sénat. En juillet 1895, le lieutenant-colonel Picquart – nouveau chef du service des statistiques , c'est-à-dire du contre-espionnage - acquiert la certitude que Esterhazy a écrit le bordereau et la trahison de ce dernier se trouve confirmée par la découverte du petit bleu en mars 1896.
Le colonel Henri et le Lieutenant Colonel Picquart :
La hiérarchie militaire ne veut rien savoir. Picquart est envoyé en mission d’inspection puis en Tunisie. En juin 1897, Picquart confie ses certitudes à son ami l’avocat Leblois. Ce dernier met Scheurer-Kestner dans la confidence, qui rend publics ses doutes. En novembre il rencontre le ministre de la Guerre et lui indique ses soupçons concernant Esterhazy. La nouvelle fuit dans la presse.
Scheurer-Kestner, mais aussi Lazare et Herr (bibliothécaire de l’Ecole Normale) parviennent en octobre 1897 à semer le doute dans l’esprit de Clemenceau et lui ouvre les yeux quant à l’existence d’un vice de forme. Clemenceau le fait savoir dans la presse. Le procès de décembre 94 doit être cassé. Clemenceau part en guerre contre la raison d’Etat, forme républicaine du bon plaisir royal contre lequel la Révolution française s’est élevée. Le nom d’Esterhazy commence à circuler comme étant l’auteur probable du bordereau. Clemenceau se demande publiquement qui protège Esterhazy. En fait le commandant Henry et tout l’Etat-Major, mais une enquête est lancée concernant Esterhazy. D’où l’article de Scheurer-Kestner : « La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera ». Le 28 novembre, une ancienne maitresse d’Esterhazy rend public une lettre où son amant déclarait souhaiter mourir en capitaine de uhlans sabrant des soldats français. Esterhazy passe en conseil de guerre, qui l’acquitte après un procès mené tambour battant devant un parterre d’officiers prêts à chahuter les témoins à charge (10 janvier 1898). 13 janvier : « J’accuse » dans l’Aurore ; le texte est de Zola, le titre de Clemenceau.
L’année 98 commence mal. Zola est condamné en première instance puis en appel. Les manifestations antisémites se multiplient, notamment en Algérie. Clemenceau condamne les journaux catholiques (La Croix et Le Pèlerin) qui s’associent aux campagnes anti-juives.
En mai les élections amènent une majorité modérée. Le gouvernement est présidé par Brisson avec Cavaignac au ministère de la Guerre. Ce dernier veut clore à tout jamais le dossier Dreyfus. Il confirme la culpabilité de Dreyfus en citant trois documents secrets : deux portent la lettre D pour désigner le traitre, le troisième est le faux Henry. Le discours impressionne mais l’existence d’un dossier secret est officiellement confirmée. Clemenceau demande la révision avec une insistance renouvelée. Il voit dans les anti-dreyfusards les vaincus de la République (royalistes, ultramontains, boulangistes) qui aspirent à la revanche.
Le 13 août le capitaine Cuignet découvre le faux Henry. Le 31, Henry avoue et se suicide. Cavaignac démissionne. Esterhazy s’enfuit en Belgique. En octobre la Cour de Cassation est saisie d’une demande de révision et la déclare recevable. L’arrêt de révision n’est rendu que le 3 juin 1899, du fait de manœuvres dilatoires et de la mort de Félix Faure remplacé par Loubet.
8 août ouverture du second procès de Dreyfus. Clemenceau malade n’y participe pas. Le 9 septembre, Dreyfus est condamné par le conseil de guerre de Rennes à 10 ans de détention. Se pose la question de la grâce présidentielle. Clemenceau n’est pas favorable. Ce serait accepter l’abandon d’une procédure d’appel et accepter le principe de la culpabilité de Dreyfus. Mais Dreyfus est à bout de force. A son corps défendant, Clemenceau, influencé par Jaurès, fait passer l’homme avant le principe. Le 19 septembre Loubet gracie Dreyfus. Mais Clemenceau estime que l’Affaire a dépassé son principal protagoniste, que Dreyfus a été inférieur au rôle que l’Histoire lui demandait de jouer. Le « parti » dreyfusard sort divisé de la victoire. Le 14 décembre 1900, une loi d’amnistie générale pour tous les protagonistes de l’affaire Dreyfus est votée à l’initiative de Waldeck-Rousseau. Clemenceau ne le lui pardonnera jamais.
L’Affaire a révélé un Clemenceau entièrement dévoué à une cause humaniste, loin des compromissions et des tentations du pouvoir. C’est un homme régénéré. Il est prêt à remonter sur la scène politique. En mars 1902, Clemenceau est élu sénateur du Var à la suite d’une élection partielle.
Clemenceau sur les marches du pouvoir puis au pouvoir.
Au tournant du siècle, la grande question est le rôle de l’Eglise dans la vie sociale et politique : pratiquement c’est le rôle des congrégations qui, selon Clemenceau, enseignent la théocratie romaine. Clemenceau est partisan de la dissolution des congrégations non autorisées et en même temps de la liberté d’enseigner, signe de liberté de penser et de s’exprimer et gage de pluralité des méthodes d’enseignement.
A partir de 1905, le contexte international se tend. En mars 1905, Guillaume II a manifesté son intérêt pour soutenir le Maroc contre les initiatives françaises tendant à mettre le pays sous tutelle militaire (sécurité des biens et des personnes) et administrative (mise en ordre des finances). Clemenceau est opposé à toute politique coloniale au motif que sa légitimité repose sur le droit du plus fort. Il s’oppose violemment à Delcassé le ministre des Affaires étrangères qui ne veut pas de négociations avec l’Allemagne sur le Maroc [17]. En définitive, c’est une conférence internationale, la conférence d’Algésiras (janvier 1906) organisée grâce à l’entremise de Theodore Roosevelt qui sera chargée de régler le problème. Cette conférence sera un succès diplomatique pour la France qui obtient carte blanche pour administrer les ports du Maroc.
Cette affaire marocaine a rapproché Jaurès et Clemenceau, tous deux anticolonialistes, mais Jaurès faisait confiance à l’Allemagne, alors que Clemenceau redoutait son impérialisme. En avril 1905 était fondée la SFIO d’inspiration marxiste refusant de soutenir des gouvernements bourgeois.
Jean Jaurès en 1904 :
La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat convenait à Clemenceau. Il y avait l’article 4 disposant que les biens de l’Eglise seraient attribués à des associations cultuelles. Ces associations pouvaient devenir l’amorce de schismes au sein de la catholicité française. D’où un tollé général de la part de la hiérarchie ecclésiastique. Briand accepta alors de préciser que les associations cultuelles se conformeraient « aux règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice ». C’était accepter que les associations soient contrôlées par la hiérarchie [18]. Clemenceau ne voulait pas de cette précision, mais vota tout de même la loi en novembre 1905. En fait Clemenceau n’avait pas compris qu’une séparation adaptée à un pays majoritairement catholique ne pouvait découler d’une loi de combat. Jaurès sentait mieux les réalités populaires. Dès février 1906, le pape Pie X condamnait la séparation par l’encyclique vehementer vos.
L’application de la loi impliquait l’inventaire des biens de l’Eglise. Ces inventaires se passent mal, avec des heurts entre catholiques défendant l’entrée des églises et forces de l’ordre. Un incident mortel le 6 mars eut lieu à Boeschepe une petite commune du nord de la France. L’incident fut monté en épingle. Le président du conseil dut démissionner. Sarrien le remplaça en mars 1906 avec Clemenceau au ministère de l’Intérieur. C e dernier calme les ardeurs des anticléricaux au sujet des inventaires : « La question de savoir si l’on comptera ou ne comptera pas les chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine ». Les inventaires ne sont pas poursuivis là où ils nécessiteraient l’emploi de la force.
Dès arrivé au ministère [19], Clemenceau est confronté à une grève de mineurs à Lens (mars 1906), faisant suite au dramatique accident de Courrières (1100 morts).
Clemenceau refuse d’envoyer la troupe de manière préventive ainsi que c’était alors l’usage. Mais les heurts entre grévistes et jaunes sont sanglants. Clemenceau doit tout de même envoyer la troupe. Un officier de dragons est lapidé. L’accident de Courrières a pour conséquence une augmentation des salaires, une prise en charge, par la compagnie des mines, de rentes pour les veuves et, plus généralement, l’instauration du repos hebdomadaire.
A Paris, le 1er mai 1906 suscite les plus grandes inquiétudes. Clemenceau fait arrêter les chefs de la CGT par précaution. La troupe est cantonnée dans Paris. La journée se passe sans heurts.
C’est le moment où il s’oppose à Jaurès dans des joutes oratoires qui sont restées célèbres. Jaurès est alors l’homme de la table rase, de la confiscation des moyens de production, en fait de la révolution ; Clémenceau de la réforme : l’émancipation des travailleurs peut s’appuyer sur la grève mais pas sur des voies de fait. Les deux veulent le progrès social et la justice sociale. Clémenceau aura les socialistes contre lui. Une question qui sépare socialistes et radicaux : le droit de grève des fonctionnaires. Clemenceau y est farouchement hostile.
En octobre 1906, Sarrien démissionne pour des raisons de santé. Clemenceau lui succède. Innovation importante : la création d’un ministère du travail qui est confié à Viviani, issu des rangs socialistes, mais indépendants (pas SFIO).
Deux conflits sociaux marquent la présidence de Clemenceau. Chaque fois il fait rétablir l’ordre. Les ouvriers et leur syndicat peuvent manifester et se mettre en grève, mais dans l’ordre, sans violences ni déprédations. Les socialistes ne le soutiennent pas.Le bloc des gauches qui a fait la séparation de l’Eglise et de l’Etat n’existe plus.
- En 1907, les vignerons du midi. Ils sont confrontés à une surproduction et souhaitent limiter la chaptalisation. Au cours des manifestations la troupe sensée rétablir l’ordre pactise avec les manifestants, souvent cousins des soldats. D’où l’envoi des appelés du contingent loin de leur lieu d’origine. L’affaire se calme par une taxe sur le sucre utilisé pour la chaptalisation.
- En 1908 une grève dans les sablières de Draveil. Il y a des morts. Les responsables de la CGT sont arrêtés. Le syndicat est désorganisé pour un temps. D’aucuns ont dit que Clemenceau avait utilisé des agents provocateurs pour créer des incidents qui permettraient de décapiter la CGT.
Pendant ses années au ministère de l’Intérieur, Clemenceau a pu compter sur le concours du préfet de police Lépine. Ce dernier a initié d’importantes réformes : meilleur recrutement, meilleur salaire, meilleur uniforme, création des unités à bicyclette, création d’un service centralisé d’archives permettant de suivre les condamnés.
Le Préfet de Police Lépine et Georges Clémenceau :
En juillet 1909,il s’oppose à Delcassé sur la façon dont avait été traitée l’affaire du Maroc. Il révèle alors que la France n’était pas prête à entrer en guerre. C’était la révélation d’un secret militaire. Il est mis en minorité et doit démissionner. C’était une embûche parlementaire. Il avait été président du conseil près de 3 années.
Avant la tourmente.
Retrouvant sa liberté, Clemenceau fait une tournée de conférences en Amérique latine. Il y est accueilli en chef d’Etat. Il se fait opérer de la prostate, opération à cette époque délicate et dangereuse. Il crée un nouveau journal, L’Homme libre. Il se préoccupe de l’élection du président de la République qui succède à Fallières. Ce sera Poincaré que Clemenceau n’aime pas et qui n’est pas son candidat. Enfin le grand problème est celui des relations avec l’Allemagne qui semble plus redoutable que jamais [20]. La durée du service militaire est portée à 3 ans en juillet 1913, contre l’avis des socialistes [21]. Ces derniers croient en les réactions pacifistes des socialistes allemands (SPD). La mesure fait passer les effectifs de l’armée de 480000 à 750000 soldats (en Allemagne : 875000). Se pose le problème de l’armement. Mis à part le canon de 75, l’armement français est inférieur.
Le Tigre au début de la guerre
Clemenceau préparait la guerre mais ne la voulait pas. Juridiquement les Allemands sont dans leur tort : ils ne sont pas parvenus à convaincre leurs alliés autrichiens de ne pas faire la guerre à la Serbie après l’attentat de Sarajevo.
En août 14, avant la bataille de la Marne, le gouvernement s’installe à Bordeaux. Clemenceau suit ; les souvenirs de 71 l’assaillent.
Ses principes sont simples : faire la guerre pour vaincre
- Le pouvoir militaire est subordonné au Gouvernement et le Gouvernement est contrôlé par le Parlement.
- Il veut bien être chef du Gouvernement, pas un simple ministre de l’Union sacrée.
Pratiquement il participe puis préside la commission sénatoriale de l’armée devant la quelle les ministres sont invités à expliquer leurs politiques. Il visite les troupes.
Il s’efforce alors d’identifier les dysfonctionnements des services de l’administration militaire ou civile, les services de santé par exemple. A cala s’ajoute des articles dans son journal qui a pris le nom de L’Homme enchainé depuis que la censure interdit la parution de certains numéros ou caviarde les textes.
Le Tigre retrouve le pouvoir.
En 1917, chacun est las de la guerre. Les pacifistes souhaitent une paix blanche. Les mutineries [22] jettent le trouble dans les esprits. Clemenceau, lui, ne pense qu’à la victoire.
En mars 1917 le tsar est renversé. La démocratie s’installe en Russie qui va continuer la guerre. En avril, les USA entrent en guerre, à la suite du torpillage du Lusitania. Deux bonnes raisons pour rendre Clemenceau optimiste.Mais il va déchanter : l’offensive Nivelle – le Chemin des Dames – est un échec.150000 soldats hors de combat ; 40000 morts. En novembre, Lénine qui a pris le pouvoir décide de faire une paix séparée avec l’Allemagne. L’armistice de Brest- Litovsk est signée le 15 décembre 1917 [23]. Sur le front mutineries ; à l’intérieur grèves, des ouvrières notamment. Clemenceau s’insurge devant la mollesse de Malvy [24], ministre de l’Intérieur, qui tolère des propos défaitistes et des initiatives pacifistes (réunion de mouvements socialistes pacifistes).
Le 14 novembre 1917, Poincaré demande à son adversaire de toujours de prendre la tête du gouvernement. Son équipe est formée de seconds couteaux, Pams (Intérieur), Pichon (Aff. Etr.) Klots (Finances). Son seul objectif : faire la guerre. La paix sera la conséquence de la victoire. Son journal redevient L’Homme libre. Les socialistes se retirent du gouvernement. Epuration parmi les hauts fonctionnaires quand ils sont jugés pacifistes. Malvy et Caillaux [25] sont jugés et condamnés, le premier pour forfaiture, le second pour avoir entretenu des relations avec des pacifistes étrangers.
L’armée manque d’effectifs. On fait la chasse aux planqués (embusqués). On fait venir des africains (65000). Les forces américaines arrivent lentement, 30000/mois. Il faut les instruire. Dans les usines, la main d’œuvre manque : on fait venir des Italiens.
Clemenceau est également ministre de la guerre. Il s’installe rue Saint Dominique. Il mène une vie d’ascète. Beaucoup le trouvent mal organisé [26], mais d’une extraordinaire vitalité et volonté.
Clemenceau réorganise le haut état-major. Il n’aime pas Pétain qu’il trouve pessimiste [27], mais lui, donne le commandement du 9egroupe d’armées (nord-est). Foch peu à peu acquiert sa préférence.
Les relations avec les alliés sont délicates en raison du désir d’autonomie de chaque pays. En décembre 1917 un conseil supérieur de guerre est créé qui réunit Clemenceau, Lloyd George, Orlando et House, représentant de Wilson.
En mars 1918, 172 divisions alliées ; 20 de plus du coté allemand. Le 21 mars commence la seconde bataille de la Marne. Les forces anglaises doivent se replier. Le 26 mars, Foch est chargé de coordonner les armées anglaises et françaises. Ce n’est pas encore le commandement unique. Le 14 mai seulement, Foch est nommé « Commandant en chef des armées alliées en France ». 15 juillet, dernière offensive allemande.
Le 5 octobre, Poincaré apprend que les Allemands sont disposés à engager des pourparlers en vue d’un armistice sur les bases des 14 propositions de Wilson. Clemenceau est prêt à négocier pour hâter la fin des hécatombes ; Poincaré lui veut aller d’abord à Berlin. D’où une querelle [28] qui amènera Clemenceau à proposer sa démission.
L’armistice et le traité de paix.
Il y a deux négociations : celles de l’armistice et celle de la paix.
Vers l’armistice
Dès la mi-juillet 1918, Ludendorff estime que les forces allemandes ne parviendront pas à enfoncer le front et gagner la guerre. Il faut résister et engager des négociations à la faveur d’un succès local, tant que les forces allemandes occupent le terrain. Une paix à l’avantage de l’Allemagne pourra alors être envisagée. Ludendorff reste en fonction jusqu’au 26 octobre 1918.
L’armistice de novembre 1918 est conclue sur la base des 14 points du président Wilson [29]. Les conditions d’armistice sont d’abord négociées entre les Américains et les Allemands, les Alliés n’étant pas partie prenante. Les Etats Unis [30] engagent des négociations avec l’Allemagne sur la base des 14 points de Wilson. Ces 14 points sont acceptés par l’Allemagne dès le 6 octobre, les Allemands demandant un armistice sur ces bases.
Le 23 octobre Wilson envoie aux Alliés (Français et Britanniques) une note faisant le point des négociations. Il appartient alors aux Anglais, Français et Italiens de se mettre d’accord en complétant les dispositions indiquées par Wilson. Pour les Français, l’opportunité d’un armistice n’est pas évidente. Certains, dont Poincaré, souhaitaient la capitulation de l’Allemagne, donc aller à Berlin s’il le fallait. Foch prépare une attaque de grande ampleur pour le 15 novembre. D’autres, dont Clemenceau, avaient conscience de la fatigue des soldats. L’armistice devait être obtenue au plus tôt. Le point de vue de Clemenceau prévalut. Haig était partisan d’un arrêt des combats rapides. Il ne voulait pas que ses soldats combattent pour un agrandissement de la France sur la rive gauche du Rhin.
Les conditions militaires de l’armistice furent définies par Foch.
Elles comportaient l’évacuation, conformément à un calendrier serré, par les forces allemandes des territoires sur la rive gauche du Rhin, dont l’Alsace Lorraine, ainsi qu’une bande de 40km sur la rive droite. Également des livraisons importantes de matériel militaire (canons, mitrailleuses) et civil (locomotives, wagons, camions).
Ces termes de l’armistice furent présentés à la délégation allemande dirigée par Matthias Erzberger (assassiné en 1921) qui n’obtint que très peu d’amendements.
Vers le traité de paix
Wilson décide de présider la délégation américaine.
Woodrow Wilson :
Au demeurant les élections à mi-mandat de 1918 ne sont pas favorables aux démocrates. Wilson ne dispose pas du soutien de la Chambre des Représentants. Il en va différemment pour Lloyd George (libéral mais radical) qui remporte une victoire éclatante aux élections de 1918 et pour Clemenceau qui bénéficie du soutien du Parlement et de l’opinion.
Les positions des Alliés sont les suivantes :
- Avec ses 14 points, Wilson estime que la SDN sera en mesure de régler les problèmes internationaux qui résulteront de la paix. Wilson est sensible à la nécessité de ne pas humilier l’Allemagne. Il veut une paix sans vainqueur. Il craint que l’Allemagne ne tourne au bolchevisme.
- La Grande Bretagne ne veut surtout pas que la France s’étende à l’ouest du Rhin. Elle refuse le principe de la liberté des mers qui empêcherait toute forme de blocus, un des atouts de la Navy, maitresse des mers. Quand on vient à parler des réparations, Lloyd George demande que les pensions des anciens combattants soient inclues dans les réparations.
- En France :
- Foch est partisan d’extraire la Rhénanie (Allemagne à l’ouest du Rhin) du nouvel Etat d’Allemagne. La Rhénanie devrait d’abord être occupée puis faire l’objet d’Etats autonomes. C’est en fait le vieux rêve des frontières naturelles. Les USA et la Grande-Bretagne ne veulent pas entendre parler de telles propositions. Foch veut également réduire considérablement la puissance de l’armée allemande (30 divisions au lieu de 210 ; pas d’artillerie lourde ; pas d’aviation ni de tanks). Cette position dure est partagée par Poincaré qui soutient Foch ce qui ne contribue pas à améliorer les relations entre Poincaré et Clemenceau.
- Clemenceau a priori n’a pas de projets précis. Il entretient sur l’Allemagne et son peuple, qu’il connait bien pour s’y rendre chaque année (eaux de Carlsbad), un solide préjugé : « Les Allemands sont un peuple servile qui a besoin de la force pour soutenir un argument. …… Il faut être justes envers les Allemands. …… Je puis vous dire que leur notion de justice n’est pas la nôtre. » De plus il a peur de la proximité de l’Allemagne. « Vous êtes les uns et les autres à l’abri. Nous ne le sommes pas ».
- Pour reconstruire le nord-est de la France détruite par les Allemands au moment de leur retraite, des réparations sont prévues. Elles sont légitimes car les Empires centraux sont considérés comme responsables de la guerre et desdommages subis par les populations [31].
- Quant à la Société des nations, une formule résume sa position : « J’aime la Société des nations, mais je n’y crois pas ».
- Clemenceau propose en définitive une occupation provisoire de la Rhénanie. Pour la Sarre, elle sera administrée par la SDN pendant 15 ans (jusqu’à 1935). Ensuite un referendum décidera si les Sarrois veulent être rattachés au Reich [32]. Les mines de Sarre deviendront propriété française à titre de réparations. Elles seront ultérieurement rachetées par l’Allemagne. Cette proposition fait l’objet d’un baroud d’honneur de Foch et de Mangin qui, chef des armées d’occupation, a tendance à favoriser un mouvement autonomiste rhénan. Clemenceau se contente de deux dispositions :
- La « garantie » solidaire de la Grande-Bretagne et des USA de venir en aide à la France en cas d’attaque allemande. C’est une garantie solidaire, or … les USA ne ratifièrent jamais le traité de Versailles, …donc la garantie devient invalide !
- La possibilité pour la France et les Alliés d’occuper la Rhénanie si les engagements n’étaient pas tenus par l’Allemagne (paiement des réparations), ce qui sera le cas.
Clemenceau est placé entre deux positions extrêmes : celle de Foch et celle de Wilson. Sa ligne de conduite sera moyenne : occupation de la Sarre pendant 15 ans, occupation temporaire de la Rhénanie, réduction d’astique de l’armée allemande, mais non-annexion de la rive gauche du Rhin, création de micro-Etats en Europe balkanique, création de la Société des Nations. En plus des réparations financières qui permettent de ne pas envisager une politique de rigueur.
On a reproché à Clemenceau d’avoir été trop dur, trop faible et léger
- Trop dur en imposant une occupation provisoire à la Rhénanie, en liant les réparations à une responsabilité, en demandant des réparations inconsidérées, sans comprendre que ces réparations seraient moins profitables que le commerce avec une Allemagne démocratique et prospère
- Trop faible en ne parvenant pas à imposer que les frontières occidentales de l’Allemagne s’arrêtent au Rhin (point de vue de Foch et de Poincaré)
- Léger en acceptant une garantie de défense apportée solidairement par la Grande-Bretagne et les USA, sans avoir la certitude que le traité qui donnait vie à cette garantie soit ratifié par le Sénat et la Chambre des Représentants des USA. De plus le montant de ces réparations n’étaient pas précisées de façon claire.
Les négociations de la paix commencent le 18 janvier 1919 et s’achèvent le 28 juin. 27 nations sont représentées. Lloyd George, Orlando et Clemenceau négocient pour des intérêts ; Wilson pour l’éthique, la justice et le droit.
Lloyd George, Vittorio Orlando, Clémenceau et Woodrow Wilson :
Clémenceau et les puissances de moindre importance.
Italie
Après avoir hésité entre se ranger du côté des Empires centraux ou du côté de la Triple Entente, l’Italie signe en mai 1915 le traité de Londres. En cas de victoire, l’Italie recevrait le Trentin, le Haut-Adige, l’Istrie, la Dalmatie. La guerre a été dure pour l’Italie – défaite de Caporetto en octobre 1917, résistance sur la Piave, offensive en octobre 1918, armistice du 4 novembre 1918 – et a couté 650000 tués.
Clemenceau a une sympathie moyenne pour Orlando le Premier Ministre italien et, à tort, peu d’estime pour l’armée italienne. Il ne soutient pas les demandes italiennes en se rangeant du côté de Wilson, qui, n’ayant pas signé le traité de Londres ne souhaite pas accorder à l’Italie des territoires à l’est de Trieste (Istrie avec Fiume et Dalmatie). Les Italiens ne sont sensés recevoir que 10% des réparations devant être payées par l’Allemagne ; ils sont furieux, ce qui aura de graves conséquences pour l’avenir des relations franco-italiennes.
Belgique
Clemenceau prouve de l’estime pour le peuple belge et de l’amitié pour le roi Albert Ier.
Russie des Bolcheviks.
Clemenceau n’avait pas de sympathie pour la Russie tsariste du fait de son caractère ultra-conservateur. Il n’a pas plus de sympathie pour le régime bolchevik qui ne respecte pas la propriété privée et qui a signé l’armistice de Brest-Litovsk le 15 décembre 1917 et la paix en mars 1918. Conséquence de la défection d’un allié, le transfert vers le front ouest d’une quarantaine de divisions allemandes (environ 750.000hommes). Pendant toute la, période de la guerre, Clemenceau se préoccupe de conserver un front à l’est en aidant les armées embryonnaires finlandaises, roumaines, ukrainiennes, également tchécoslovaque et polonaise.
Quant à l’URSS, les alliés sont partagés. Wilson et Lloyd George redoutent l’extension du bolchevisme en Europe Centrale, point de vue que Clemenceau ne partage pas. Les premiers sont prêts à négocier avec les Russes ; le second est prêt à leur faire la guerre[33]. La France apporte un soutien à Wrangel en Sibérie et à Denikine dans le Caucase. Une flotte française entre en Mer Noire et occupe Odessa. A la suite d’une mutinerie (avril 1919) et du manque de moyens financiers, ces opérations visant à affaiblir le régime bolchevik sont mises en sommeil. En fait Clemenceau n’avait pas de politique vis-à-vis de la Russie et n’a pas réussi à préserver l’alliance franco-russe d’avant la guerre.
Tchécoslovaquie, Pologne.
Pendant la guerre, Clemenceau crée une légion tchécoslovaque appelée ensuite brigade tchécoslovaque à partir des Tchèques et Slovaques servant dans la Légion étrangère ainsi que de prisonniers capturés par les troupes russes. Clemenceau soutient la nouvelle Tchécoslovaquie[34] avec Benes et Masaryk.
La Pologne est chère au cœur de Clémenceau à l’instar de beaucoup de Français. Depuis Michelet, chacun savait que la Pologne avait été victime d’une injustice fondamentale. Un Comité National Polonais est créé à Paris en août 1917 qui est à l’origine d’une Légion polonaise. Les interlocuteurs de Clemenceau sont Sienkiewicz (auteur de Quo Vadis) et le pianiste diplomate Paderewski. Clemenceau se préoccupe du sort réservé aux minorités allemandes, ukrainiennes et juives.
Clémenceau dans son bureau en 1919 :
La paix et la fin de la carrière politique
Les mois qui suivent l’armistice sont difficiles. Les soldats veulent être démobilisés, mais ils ne le seront qu’une fois la paix signée. Le nord du pays a été ravagé ; il faut reconstruire. La vie est chère. La guerre a ruiné les épargnants. Les dettes sont immenses. L’Etat est endetté vis-à-vis des Français ; également vis-à-vis de l’étranger. La guerre terminée, l’Union sacrée a fait long feu. Les revendications ouvrières portent sur la semaine de 8h et sur l’augmentation des salaires. Les grèves se multiplient. Souvent violentes.
Clemenceau prend les devants : il fait voter la semaine de 8h. Mais il interdit les manifestations prévues le 1er mai 1919. Les heurts avec les forces de l’ordre sont rudes : 300 blessés du côté des manifestants, 400 du côté des forces de l’ordre. Clemenceau est redevenu le Premier Flic de France. Les socialistes ne le lui pardonnent pas. Au demeurant, il conserve une majorité à la Chambre des Députés.
Le 19 février 1919, l'anarchiste Émile Cottin fait feu à neuf reprises sur l'automobile du président du Conseil. Celui-ci est atteint par trois projectiles, sans être blessé mortellement.
Les élections des députés ont lieu en novembre 1919 selon un scrutin à la proportionnelle sur des listes départementales. Les socialistes perdent des sièges. La Chambre bleue horizon incarne un coup de barre à droite. Clemenceau ne se représente pas au Sénat. Il est prêt, après hésitations, à ce que ses amis le poussent à la présidence de la république. Il se laisse manœuvrer par Briand qui fait élire Deschanel. La question des relations diplomatiques avec le Vatican est au centre du débat. Deschanel est plus conciliant.
Le 18 janvier 1920 Clemenceau présente sa lettre de démission à Poincaré. Comme le remarque Lloyd George : « Cette fois, ce sont les Français qui ont brûlé Jeanne d’Arc ».
La retraite du Tigre.
Clemenceau retrouve sa Vendée natale en résidant, face à l’océan, dans la « bicoque » de Saint-Vincent sur Jard qu’un admirateur a mis à sa disposition. Il fait aussi de grands voyages : l’Egypte, où il est étonné par la richesse de la faune, puis l’Inde où il réussit à tirer trois tigres.
Clémenceau en Inde :
Ces voyages sont autant d’occasions d’approfondir les civilisations et les philosophies orientales. En Egypte il prend conscience du nationalisme et prévoit que les Britanniques devront quitter le Pays. Il est enthousiasmé par l’Inde.
A son retour, la situation a changé : Deschanel a dû démissionner pour cause de santé mentale. Les USA n’ont pas signé le traité de Versailles, mais conclu une paix séparée avec la jeune République de Weimar. Ils n’ont pas non plus adhéré à la SDN et pourtant c’était le président Wilson qui l’avait lancée. Avec le président Warren Harding, les Républicains ont retrouvé leur politique isolationniste.
En novembre 1922, Clemenceau fait une tournée de conférences aux USA. C’est en personne privée qu’il prend la parole devant des auditoires considérables. Il s’efforce de justifier le soi-disant militarisme français par la nécessité de se défendre compte tenu du manque de garanties offertes par les Alliés.
En 1923 il fait la connaissance de Mme Marguerite Baldensperger. Elle a 40 ans, lui plus de 80. Elle lui demande de rédiger un Démosthène pour les jeunes. Il lui adresse 668 lettres.
Sa retraite est consacrée à l’écriture : La France devant l’Allemagne, Embuscades de la vie, Démosthène.En 1922 il fonde un nouveau journal L’Echo national.
Il parvient à convaincre Monet de terminer les panneaux des Nymphéas qui ornent le musée de l’Orangerie. Ce musée ne sera ouvert qu’en 1927 un an après la mort du peintre.
Claude Monet et Georges Clémenceau :
Son enterrement se déroule dans la plus stricte intimité. « Pour mes obsèques, je ne veux que l’essentiel, c'est-à-dire moi » ; « Ni manifestation, ni invitations, ni cérémonie ».
L’estimation de ses biens à sa mort représente environ 277.000 euros en 2007.
La vie privée de Clemenceau
Pour Clemenceau, la famille est essentielle. C’est vers que l’on se tourne au temps des épreuves.
Son père Benjamin meurt en 1897 et sa mère née Emma Gautreau en 1903. Ses sœurs et frères :
- Emma née en 1840. Epouse un voisin de campagne. Un de ses fils est chef de clinique à la Salpêtrière.
- Adrienne née en 1850 avait un pied bot. Elle ne se maria pas.
- Sophie née en 1854, intelligente et évoluée épouse un Autrichien juif correspondant à Paris d’un grand journal viennois. Elle tue son mari après l’avoir trouvé au lit avec la bonne. Elle fut déclarée démente.
- Paul né en 1857. Ingénieur de Centrale est ingénieur puis président de la Compagnie française de Dynamite (filiale de Nobel). Possède une belle fortune. Il épouse Sophie[35]Szeps, fille d’un journaliste autrichien, juif, célèbre, de tendance socialisante. Son salon « était le plus germanophile de Paris ». Georges se brouilla avec son frère Paul , vraisemblablement en raison des interventions de Berta, sœur de Sophie, en faveur de conditions d’armistice plus douces pour l’Autriche.
- Albert né en 1861 était très lié à son frère ainé. Avocat, d’abord sans cause fut lancé par le procès de Zola.
De son mariage avec Mary, Clemenceau a trois enfants :
- Madeleine, qui épouse un homme riche et plus âgé qu’elle : Numa Jacquemaire. En 1900 à 30 ans elle tient un des salons les plus brillants de Paris. Elle est grande, svelte et a une vie sentimentale compliquée. C’était une femme de lettres qui écrivit plusieurs romans
- Thérèse qui se maria deux fois. Elle vécut une partie de sa vie chez son père.
- Michel ingénieur agronome qui entretint avec son père des relations parfois difficiles en raison d’affaires commerciales malheureuses lancées par Michel et qui nécessitèrent l’intervention financière du père.
[1] Principales mesures sociales concernant les enfants :
- Villermé. Enfants < 12 ans : 8h/j. <16 ans 12h/j
- 12h/j. 84h/semaine après une éphémère loi de 10h
- <12 ans pas de travail. La défaite est due à un mauvais état général résultant d’un travail précoce.
1880-81. Ecole obligatoire de 6 à 13 ans
- Durée maximale 10h/j. 70h/semaine pour tous
- Repos hebdomadaire dimanche
- 8h/jour. 48h/semaine.
[2]Boulanger est un général républicain, issu du peuple, courageux et ambitieux, soutenu un temps par le duc d’Aumale. Comme ministre, il réorganise l’armée : plus de tirage au sort, plus de dispense pour les curés, adoption du fusil Lebel, amélioration des conditions de vie des soldats et des sous-officiers. Il veut rapprocher le peuple de son armée. Il est le porte-drapeau des revanchards (affaire Schnæbelé) et incarne un faisceau de mécontents (droite républicaine nationaliste, républicains déçus par les affaires – décorations – Bonapartistes, Orléanistes). A ce titre il fait peur. En 1887 il est nommé à Clermont-Ferrand. Il entre en politique et se fait élire dans plusieurs départements dont Paris le 27 janvier 1889. Ce jour-là il renonce à marcher sur l’Elysée. Le gouvernement (Constant ministre de l’Intérieur) prend peur et mena ce de l’arrêter. Il quitte la France et s’installe à Bruxelles avec sa maitresse. Il se suicide en 1891.
[3]Clemenceau épouse Mary Plummer en 1869. Les époux se séparent en 1876 et divorcent en 1891. Mary est prise en flagrant délit d’adultère. Elle est mise en prison pendant deux semaines puis renvoyée aux USA avec un billet de 3ème classe. Elle est déchue de sa nationalité française. Elle revient en France où elle meurt seule en 1922.
[4]Paris est investi dès le 18 septembre. Le 5 novembre, les élections municipales ont lieu. Seuls les maires d’arrondissements et les conseillers municipaux sont élus. De novembre 1870 à la fin de la Commune (18 mars-28 mai 1871) Paris dispose d’un maire, mais il est nommé par le gouvernement. Clemenceau avait démissionné avec Arago avant novembre 1870. Il est réélu maire du XVIIIe le 5 novembre.
[5]Sur la même liste : Garibaldi, Gambetta, Edgard Quinet, Victor Hugo
[6]A Paris, le pouvoir local était entre les mains du Comité central de la Garde Nationale. Celui-ci accepta la proposition de Clemenceau de demander à l’Assemblée nationale le droit d’organiser l’élection d’un conseil municipal. Thiers s’opposa à cette proposition. Clemenceau, qui l’avait présentée à Versailles fut considéré comme responsable. Il fut alors démis de ses fonctions de maire du XVIIIe. Des élections municipales eurent tout de même lieu (26 mars). Clemenceau ne fut pas élu. Il démissionna alors de ses fonctions de député (27 mars).
[7]Pendant ce temps les « Versaillais » investissent Paris. C’est la semaine sanglante du 21 au 28 mai qui fait 20.000 exécutions sommaires, 45.000 arrestations, 13.500 condamnations, notamment au bagne en Nouvelle Calédonie (Louise Michel). L’opposition révolutionnaire est décapitée pour une génération jusqu’à la relève assurée par les socialistes Jaurès et Guesde.
[8]La fonction est à ce moment bénévole. Clemenceau vit de son métier de médecin.
[9]A cette époque, Paris est administré par le préfet de la Seine et le préfet de police, assistés du Conseil de Paris qui joue le rôle à la fois de conseil municipal et de conseil général, ce dernier étant augmenté des conseillers de Sceaux et Saint-Denis.Le rôle du conseil de Paris est limité. Son président a surtout une fonction honorifique.Dans chaque arrondissement, un maire et trois adjoints (non membres du Conseil de Paris) assurent la gestion quotidienne.
[10]En 1876, Mac Mahon,qui avait été élu président de la République en mai 1873, accepte un gouvernement républicain comprenant Dufaure et Jules Simon. Le 4 mai 1877, il demande à Jules Simon de démissionner(coup d’Etat du 16 mai 1877), pour le remplacer par le duc de Broglie. Il convainc le Sénat de dissoudre la Chambre. En octobre les élections amènent une chambre républicaine. Mac Mahon essaie d’imposer un fonctionnaire – général de la Rochebouet - comme président du Conseil. Les députés refusent de le rencontrer. Mac Mahon doit se soumettre et accepter Dufaure. En janvier 1879, les élections sénatoriales amènent une majorité de gauche à la chambre haute. Mac Mahon ne dispose d’aucun soutien parlementaire. Il démissionne. Le 30 janvier 1879 Jules Grévy lui succède.
[11]Il recommande à ses hommes d’utiliser leurs armes s’ils sont agressés par des civils italiens.
[12]Schnaebele est un commissaire chargé de la sécurité dans les trains.
En fait c’est aussi un espion. Boulanger, sans consulter les autres ministres avait mis en place une organisation d’espionnage reposant sur des Alsaciens bilingues ayant choisi de s’installer en France.
[13]Rouvier a passé un accord tacite avec la droite : la droite lâche Boulanger et lesmodérés ralentissent la laïcisation de la société.
[14]Le différend avec Déroulède se termine par un duel au pistolet. Chaque adversaire tire 6 balles. Personne n’est blessé.
[15]Par ailleurs, d'août 1894 à 1902, il écrit dans La Dépêche de Toulouse, contrôlée par Maurice Sarraut, d'abord des chroniques littéraires, puis des articles politiques73. Il collabore également au Journal (de 1895 à 1897), à L'Écho de Paris (1897), devient éditorialiste à L’Aurore et à l'hebdomadaire Le Bloc73. Il publie des recueils d'articles : Le Grand Pan (1896), dans lequel il fait l'apologie du paganisme précédant le judéo-christianisme ; Au fil des jours (1900) et Les Embuscades de la vie (1903). Il s'essaie même au roman, avec Les Plus Forts (1898). Ses essais littéraires, qui ne remportent guère de succès populaire, sont raillés par Maurice Barrès, Charles Maurras étant plus indulgent. En revanche, Léon Blum est élogieux pour Le Grand Pan ainsi que pour son roman73. Il écrit aussi une pièce de théâtre, Le Voile du Bonheur, jouée au théâtre Récamier en 1901, mais sans grand succès.
[16]Clemenceau éprouvait une sincère estime à l’égard de Matthieu Dreyfus qui avait tout sacrifié pour sauver son frère. Ce caractère chevaleresque lui plaisait. Entre 1897 et 1899, Clemenceau rencontre Lazare tous les jours.
[17]En avril 1905, Clemenceau interpelle Delcassé le ministre des Affaires étrangères : « Les politiques républicains, trouvant plus aisé de remporter des victoires sur les populations désarmées de l'Afrique et de l'Asie que de s'adonner à l'immense labeur de la réformation française, envoyaient nos armées à des gloires lointaines, pour effacer Metz et Sedan, trop proches. Une effroyable dépense d'hommes et d'argent, chez une nation saignée à blanc, où la natalité baissait. (…) Partis de France dans l'illusion qu'à la condition de tourner le dos aux Vosges, le monde s'ouvrait à nous, nous rencontrons l'homme de l'autre côté des Vosges devant nous à Tanger »
[18]Or la hiérarchie ecclésiastique relève du pape donc d’une autorité étrangère. Clemenceau ne pouvait le tolérer. La même question s’était posée pour les congrégations suite à la loi de 1901. Les associations doivent être déclarées. Les congrégations autorisées, pour la même raison d’autant que les moines ont fait vœu d’obéissance. L’autorisation est donnée par la loi, congrégation par congrégation. En revanche les établissements dépendant des congrégations, en général des écoles, sont autorisés par décret, donc par le pouvoir exécutif.
[19]C’est une période d’expansion. Les ouvriers mieux informés prennent conscience de leur situation misérable. C’est le moment des grandes grèves.
[20]Les relations avec l’Allemagne étaient passées par une crise en 1911 lorsque Guillaume II avait envoyé une canonnière devant Agadir. La crise avait trouvé une solution dans une convention franco-allemande de 1912 qui échange le droit d’intervention au Maroc contre un accroissement du Cameroun allemand aux dépens du Gabon français. Caillaux est l’artisan de cet accord.
Clemenceau aurait souhaité un rapprochement avec l’Autriche-Hongrie. Il avait approché l’archiduc Rodolphe dans cet esprit. L’annexion de la Bosnie-Herzégovine en 1908 mit un terme définitif à cet espoir.
[21]Les socialistes par la voix de Jaurès prônent une armée à la Suisse : les milices ayant uniquement une mission défensive. En cas de déclaration de guerre, Jaurès demande la grève générale qui serait également suivie en Allemagne. Le 31 juillet, Jaurès est assassiné par Vilain. Clemenceau salue la noblesse de son allié durant l’affaire Dreyfus et son adversaire depuis 1906.
[22]Des mutineries – refus d’obéissance – ont été fréquents en 1914 et 1915. Elles ont été sévèrement réprimées. En 1917, après l’échec des offensives Nivelle (Chemin des Dames) d’avril, les mutineries se reproduisent sur une échelle plus vaste et traduisent un « ras le bol » général. Elles s’accompagnent d’un mouvement de grèves et de manifestations pacifistes. Sur le front, 3500 soldats ont été condamnés, 1381 aus travaux forcés, 554 à mort et 49 exécutés dont 26 pour rébellion collective. Le président de la République a gracié 90 à 95 % des condamnés à mort. En France, du fait du gouvernement d’Union nationale, les mutineries n’ont pas été relayées à l’arrière par une organisation politique. En Russie et en 1918 en Allemagne, la situation était différente. D’où la chute des deux empires.
[23]40 divisions de l’Axe seront transférées vers le front ouest.
[24]Malvy est un radical socialiste. En 1917, il sert de bouc émissaire car il a préféré contrôler les mouvements pacifistes plutôt que de les enfermer. Il sera condamné à 5 ans de bannissement.
[25]Inspecteur des finances. Croit au rapprochement franco-allemand. Pendant la guerre, entretient une correspondance avec des amis allemands. Il sera condamné pour cela, puis blanchi après la guerre.
[26]Notamment Paul Cambon, ambassadeur à Londres.
[27]En mars 1918, Pétain aurait déclaré : « Les allemands battront le Anglais en rase campagne ; ensuite, ils nous battront ».
[28]Poincaré reproche à Clemenceau sa position favorable à l’ouverture de pourparlers. Ce comportement risquerait de « couper les jarrets » des troupes en pleine marche en avant. Clemenceau est sensible à la fatigue des soldats et l’inutilité de mener des hommes à la mort.
[29]Plus de diplomatie secrète, les institutions élues étant informées du contenu des traités. Liberté des mers. Abaissement des barrières commerciales. Désarmement général et contrôlé. Interdiction de la guerre sous-marine. Instauration d’un régime démocratique (république) en Allemagne. Réformes en faveur des populations coloniales. Restitution de l’Alsace-Lorraine. Indépendance de la Belgique. Société des Nations. Autres dispositions régionales.
[30]Les Etats Unis se considèrent comme associés aux Alliés, et, dans les périodes difficiles des négociations, menacent de négocier une paix séparée avec l’Allemagne. C’est du reste ce qui arrivera.
[31] La culpabilité de l’Allemagne figure à l’article 231 du Traité de Versailles qui stipule que l’Allemagne et ses alliés sont responsables des dommages de la guerre.
En voici le texte :« Les gouvernements alliés et associés déclarent et l'Allemagne reconnaît que l’Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre qui leur a été imposée par l’agression de l’Allemagne et de ses Alliés ». Cet article a été ressenti comme une humiliation.
Le montant des réparations a été fixé par la commission interalliée des réparations en mai 1921. Il s’élève à 132Md de marks-or, soit 3 fois le PNB allemand en 1913. Le montant dont la seule Allemagne était redevable s’élevait à 52Md de marks-or. En 1931, quand les paiements cessèrent, seuls 20Md avaient été payés.
[32]Ce fut le cas en 1935 : 90,5% des voix pour le rattachement au Reich. A noter que le principe d’une indemnité était contraire à Wilson qui la considérait comme un abus des vainqueurs. L’Allemagne étant dans l’incapacité de payer d’autant que la Ruhr est occupée par les armées belges et françaises.
[33]Clemenceau soutient l’Ukraine dans ses tentatives de se débarrasser de l’emprise russe. Cette initiative est mal vécue par les Russes Blancs qui tiennent à conserver l’intégralité de la Russie tsariste. Foch se dit prêt à mater la révolution bolchevique avec 200 ou 250.000 hommes. Mais ce ne peut-être que des volontaires, pas si faciles à réunir. De plus les fonds manquent.
[34]Le Tchécoslovaquie nait aux Etats-Unis lorsque Masaryk le 18 octobre 1918, sur les marches de l’Indépendance Hall de Philadelphie, déclare l’indépendance de la Tchécoslovaquie. L’accord de Wilson avait été durement acquise.
[35]Sophie avait une sœur, Berta, dont Clemenceau semble avoir été épris.
Notes de lectures
Anti portraits Alain Minc ; Clemenceau de Duroselle ; Clemenceau de Michel Winock
Comme Mitterrand, Clemenceau n’a pas une vision économique de la société. Il a le point de vue des hommes de la Révolution, des Lumières.
Quelques éléments d’un programme idéal de réformes politiques pour Clemenceau, celui d’un jacobin anticlérical.
- Enseignement laïc, gratuit, obligatoire. Ferry s’en était chargé, avec la séparation de l’Eglise et de l’Ecole.
- Suppression de la Présidence de la République, du Sénat, de l’armée permanente, de la peine de mort
- Libertés de la presse, de réunion, d’association
- Election des maires et « décentralisation » (un reste des Girondins)
Au plan économique
- Suppression du livret ouvrier
- Gestion des caisses ouvrières par les ouvriers
- Interdiction du travail des enfants de moins de 14 ans, réduction à 6h de la journée de travail des enfants de moins de 18 ans [1]
- Liquidation des grandes compagnies de chemins de fer, des canaux, des mines
- Impôt sur le revenu (sera établi en 1917)
- Mais défense absolue de la propriété privée: en cela il s’oppose à Jaurès.
Quelques erreurs dues à des réactions impulsives.
« Clemenceau, très impulsif, forcément absorbé par d’autres soins, connaissant fort mal beaucoup de grandes questions et pas du tout les dossiers, se fait des opinions rapides et irréfléchies comme il lui est arrivé toute sa vie ». (Poincaré)
Boulanger. En 1886, Clemenceau recommande le général Boulanger [2] à Freycinet qui en fait son ministre de la guerre. Un an plus tard, Clemenceau voit le danger. Il sera sans pitié. D’où son épitaphe : ‘Il est mort comme il a vécu : en sous-lieutenant ».
Dreyfus. En décembre 1894, lors du premier procès de Dreyfus, Clemenceau ne peut mettre en doute la qualité de la justice militaire. De plus Dreyfus est un bourgeois et un juif ; or chez Clemenceau, il y a un fond d’antisémitisme. Il sera convaincu par Mathieu Dreyfus que le procès n’a pas été mené honnêtement. Pour lui l’important est que la justice soit rendue sans tricherie. Il a du mal en 1898 à accepter la grâce présidentielle. Dreyfus aurait dû être à la hauteur de son destin. De plus la poursuite du combat judiciaire pourrait être un tremplin pour ses ambitions politiques. Les principes et son intérêt passent avant la vie d’un individu. Clemenceau ne connait pas la modération.