Souvenirs de la vie du Père Achille Caillet lors de ses missions à Ceylan
Publié le 19 Janvier 2021
Il y a peu, j'ai reçu de la part d'une lectrice belge, un mail extraordinaire...
Extraordinaire, c'est bien le mot, car, en effet, madame Nicole Bléret me proposait de me remettre une lettre dactylographiée de 10 pages, provenant du Père Achille Caillet, écrite par lui en 1950, depuis sa première mission à Ceylan.
Cette lettre se trouvait dans les papiers de la grand-mère de madame Bléret.
Madame Bléret est la petite fille d'Albert et Marie Mayerus-Mangin d'Hussigny (Meurthe et Moselle) très impliqués dans la vie paroissiale de leur commune.
J'ai accepté ce don avec une grande joie, et à sa réception, j'ai été frappée par le récit du début de la vie de missionnaire du Père Caillet, alors qu'il avait 28 ans, texte nous la relatant avec un style vivant et passionnant.
Bien entendu, j'ai recopié cette lettre et je la ferai paraître "en feuilleton", en 9 épisodes.(comme je l'ai fait pour le récit de la famille Roy d'Aisey sur Seine).
J'illustrerai ce texte foisonnant, de photos ou cartes postales anciennes pour que le récit, très dense, du Père Achille Caillet, soit plus aéré.
En voici la première partie.
Septembre 1950
Bien chers amis,
Le 4 janvier 1947, j’arrivais à Colombo et je terminais ma petite relation de voyage en disant que « le plus beau moment c’est quand le rideau bouge et qu’on entend du bruit derrière le rideau ». C’est vrai, mais le plus beau moment, c’est peut-être celui de l’espérance.
Mais depuis ce moment-là, il y a en a eu d’autres aussi qui étaient beaux tout de même.
Et comme je n’ai pas eu le temps d’écrire à chacun de vous en particulier mes impressions de bientôt 4 années de Ceylan, je vais, à la demande de, plusieurs d’entre vous, résumer quelques-unes des impressions de cette période qui m’a parue courte parce qu’elle a été pleine, occupée et heureuse.
Après les adieux sur le bateau à tous les charmants compagnons de traversée, à ceux qui vont vers d’autres cieux, l’Afghanistan et l’Inde, aux soldats et parachutistes en particulier dont plusieurs seront morts ou mutilés quelques semaines plus tard, c’est la rencontre avec Monseigneur Cooray, l’évêque coadjuteur de Colombo et les Pères, les anciens missionnaires et les « vieilles barbes », venus à bord accueillir Monseigneur Masson.
On descend la passerelle pour la dernière fois, on saute dans la vedette qui traverse la rade à toute vitesse.
Un dernier regard à notre cher « Champollion » qui disparait bientôt derrière des dizaines d’autres bateaux et des centaines de mâts et voici la jetée.
(le Champollion en 1946)
Cette fois on y est ! La terre de Ceylan…. Cet instant qu’on a attendu depuis des années, pour lequel on a prié, lutté, il est arrivé !
La douane nous retient quelques instants, mais n’insiste pas.
Ils savent bien que nous ne sommes pas venus faire du trafic.
D’ailleurs nous marchons sous la protection de Monseigneur Masson qui est l’autorité morale la plus respectée de l’Ile et qui en impose, je vous assure.
Les reporters sont là, lui demandent ses impressions et prennent des photos qui paraitront dans quelques heures en première page dans les journaux.
Nous quittons le bâtiment de la jetée des passagers.
Il est peut-être 10 heures du matin, mais le soleil est déjà haut dans le ciel et c’est exactement là, sur cette place goudronnée et déjà surchauffée que nous recevons le « baptême du feu ».
Le sol embrasé nous renvoie au visage une bouffée de chaleur qu’on reçoit avec le sourire en se disant que c‘est loin d’être la dernière.
On saute dans une auto avec d’autres Pères français qui comptent 8,15 ou 30 ans de Ceylan.
On est tout yeux : Ah ! cette première impression, comme elle est étrange et inoubliable ! ce premier contact avec l’Orient mystérieux, bariolé, insaisissable.
De belles avenues très larges, de grands édifices, des magasins somptueux : c’est le Colombo européanisé : les grandes banques,, les Consulats et Ambassades, les agences maritimes, les bureaux du gouvernement etc…
Des tramways plutôt démodés, de luxueuses voitures américaines
et, soudain une charrette à bœufs, des bœufs qui ont des bosses et qui portent sur leurs cornes leur ration de foin pour la journée.
Dans cette apparition cocasse d’une charrette à bœufs dans les quartiers chics de Colombo, barrant le passage aux trams, aux autos, à tout sans souci ni idée du code de la route, il m’a semblé voir tout le vieil Orient tenace qui ne veut pas capituler et vient soutenir le défi au milieu de la « civilisation ».
Des trottoirs encombrés de monde, de vendeurs, de camelots, de marchands, de mendiants, de belles dames aux saris de couleurs flamboyantes, d’estropiés, que sais-je encore ?
Tout ce monde qui crie, gesticule, s’agite, passe, repasse, fait l’article, rit discute ou flâne, ces sons incompréhensibles qui vous arrivent pendant que l’auto s’arrête dans un embouteillage invraisemblable, tout cela c’est encore l’Orient et l’un de ses multiples visages.
Des cocotiers, des massifs de fleurs , des bougainvilliers passent à toute vitesse devant nos yeux.
Mon Dieu que de choses en dix minutes ! on est muet, ébahi, stupéfait et ravi devant cette richesse et cette exubérance de Colombo.
Mais nous arrivons à l’Archevêché le quartier général du Catholicisme à Ceylan.
Les Pères, tous en soutane blanche, sont venus nombreux saluer Mgr. Masson. Ils nous assaillent de questions :
« D’où êtes-vous, de quelle région de France ? Que fait-on en France maintenant ? Où étiez-vous pendant la guerre, à l’occupation ? Qu’avez-vous fait ? Connaissez-vous un tel, etc… etc… »
Tout en parlant on se dirige vers la Chapelle. Première visite à Notre-Seigneur sur la terre de Ceylan, visite combien émouvante.
On a tellement de choses à Lui dire, on a la tête si pleine de visions étranges et nouvelles que tout vient à la fois sans ordre et en vrac.
On Lui dit merci de nous avoir conduit comme par la main jusqu’ici, on Lui offre toutes ses forces et toute sa vie jusqu’au dernier souffle, on Lui parle de la France, de la Maman, de tous ceux qu’on aime, de toutes ces âmes, de toute cette masse encore païenne et on Lui demande sa force pour que notre vie serve à sa gloire.
On voudrait continuer longtemps, s’arrêter indéfiniment à parler avec Lui, de tous et de chacun, s’arrêter un peu, penser, essayer de s’analyser, de s’y reconnaître dans une pareille farandole de pensées et de visions…
Mais on vous emmène. Au passage, un sourire à la Sainte Vierge, Notre-Dame de Sanka : c’est aujourd’hui le premier samedi de l’année.
Un merci à Sainte-Thérèse de l’Enfant-Jésus, la patronne des missions.
Je pense à sa statue dans le hall de Pontmain, cette statue devant laquelle j’ai passé des milliers de fois pendant mes cinq années là-bas et je lui ai dit chaque fois que je passais : « Sainte-Thérèse, patronne des missions, faites qu’un jour j’aille en missions ».
Elle ne m’a pas déçu et c‘est toute ma reconnaissance que je fais passer dans mon regard en quittant la chapelle.