Michel Lagrange a proposé un itinéraire poétique tout au long de la Seine, sous les auspices de Châtillon-Scènes
Publié le 30 Octobre 2016
Yolande Estrat a présenté la conférence poétique sur la Seine de Michel Lagrange, et a annoncé la tenue d'une exposition de travaux d'écoliers et de collégiens les 19, 20 et 21 novembre, salle des mariages de l'hôtel de Ville.
Michel Lagrange a présenté les textes qu'il a recherchés en nous expliquant que chacun d'entre eux contient plusieurs voix : celle des images, de la musicalité, des sentiments.
Il a demandé aux auditeurs de n'être pas seulement consommateurs, mais co-acteurs.
Ces textes nous parlent du fleuve et de l'homme dont les destinées sont finalement proches : comme l'homme, le fleuve naît, a des accidents de la vie et meurt....
Voici les poèmes et les textes en prose recherchés et lus par le conférencier.
Tout d'abord un poème de Michel Lagrange sur les ex votos exposés au Musée archéologique de Dijon.
Un autre de ses poèmes sur Saint-Vorles
Un poème d'André Mary, écrivain châtillonnais qui composa "Le cantique de la Seine"
Un extrait en prose de "L'éducation sentimentale" de Gustave Flaubert.
Louis Aragon (poème de jeunesse de 1915, il avait 18 ans)
La Seine...Les pontons s'en vont vers la colline
Qui borne l'horizon d'un profit bleuissant.
Le fleuve tourne au pied du coteau frémissant
De l'Avril qui renait au sein de l'aubépine
Dans le rouge reflet du soleil qui descend,
Monte, noire, fumeuse et vivante, l'usine.
La fumée et le ciel se teintent de sanguine ;
Une maison se dresse et sourit au passant.
Comme de ce vallon monte la vie, et comme
L'oeuvre de la nature et le travail de l'homme
S'unissent, dans un ton de rouille vespéral !
On devine, parmi la paix et le silence,
La chanson des oiseaux qui sortira du val
Pour apporter l'amour à l'humaine souffrance.
Francis Carco
Au pied des tours de Notre-Dame
La Seine coule entre les quais
Ah ! le gai, le muguet coquet !
Qui n'a pas son petit bouquet ?
Allons, fleurissez-vous, Mesdames,
Mais c'était toi que j'évoquais
Sur le parvis de Notre-Dame
N'y reviendras-tu donc jamais ?
Voici le joli mois de mai
Je me souviens du bel été
Des bateaux-mouches sur le fleuve
Et de nos nuits de la Cité
Hélas ! qu'il vente, grêle ou pleuve
Ma Seine est toujours toute neuve
Elle chemine à mon côté
Dans le jardin du Luxembourg
Les feuilles tombent par centaines
Et j'entends battre le tambour
Tout en courant la prétentaine
Parmi les ombres incertaines
Qui me rappellent nos amours
De ma chambre, Quai aux Fleurs,
Je vois s'en aller sous leurs bâches
Les chalands aux vives couleurs
Tandis qu'un petit remorqueur
Halète, tire, peine et crache
En remontant à contrecœur
L'eau saumâtre de ma douleur
Guillaume Apollinaire
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Guy de Maupassant
(Extrait de "la nuit")
Quelle heure pouvait-il être ? Je marchais, me semblait-il, depuis un temps infini, car mes jambes fléchissaient sous moi, ma poitrine haletait, et je souffrais de la faim horriblement.
Je me décidai à sonner à la première porte cochère. Je tirai le bouton de cuivre, et le timbre tinta dans la maison sonore ; il tinta étrangement comme si ce bruit vibrant eût été seul dans cette maison.
J'attendis, on ne répondit pas, on n'ouvrit point la porte. Je sommai de nouveau ; j'attendis encore, - rien.
J'eus peur ! Je courus à la demeure suivante, et vingt fois de suite je fis résonner la sonnerie dans le couloir obscur où devait dormir le concierge. Mais il ne s'éveilla pas, - et j'allai plus loin, tirant de toutes mes forces les anneaux ou les boutons, heurtant de mes pieds, de ma canne et de mes mains les portes obstinément closes.
Et tout à coup, je m'aperçus que j'arrivais aux Halles. Les Halles étaient désertes, sans un bruit, sans un mouvement, sans une voiture, sans un homme, sans une botte de légumes ou de fleurs. - Elles étaient vides, immobiles, abandonnées, mortes !
Une épouvante me saisit, - horrible. Que se passait-il ? Oh ! mon Dieu ! que se passait-il ?
Je repartis. Mais l'heure ? l'heure ? qui me dirait l'heure ? Aucune horloge ne sonnait dans les clochers ou dans les monuments. Je pensai : "Je vais ouvrir le verre de ma montre et tâter l'aiguille avec mes doigts." Je tirai ma montre... elle ne battait plus... elle était arrêtée. Plus rien, plus rien, plus un frisson dans la ville, pas une lueur, pas un frôlement de son dans l'air. Rien ! plus rien ! plus même le roulement lointain du fiacre, - plus rien !
J'étais aux quais, et une fraîcheur glaciale montait de la rivière.
La Seine coulait-elle encore ?
Je voulus savoir, je trouvai l'escalier, je descendis... Je n'entendais pas le courant bouillonner sous les arches du pont... Des marches encore... puis du sable... de la vase... puis de l'eau... j'y trempai mon bras... elle coulait... elle coulait... froide... froide... froide... presque gelée... presque tarie... presque morte.
Et je sentais bien que je n'aurais plus jamais la force de remonter... et que j'allais mourir là... moi aussi, de faim - de fatigue - et de froid.
Michel Lagrange a rendu un hommage à Paul Celan qui se suicida en se jetant dans la Seine. puis un poème de :
Jacques Prévert
Chanson de la Seine.
La Seine a de la chance
Elle n’a pas de souci
Elle se la coule douce
Le jour comme la nuit
Et elle sort de sa source
Tout doucement, sans bruit,
Et sans se faire de mousse
Sans sortir de son lit
Elle s’en va vers la mer
En passant par Paris
La Seine a de la chance
Elle n’a pas de soucis
Et quand elle se promène
Tout le long de ses quais
Avec sa belle robe verte
Et ses lumières dorées
Notre-Dame jalouse
Immobile et sévère
Du haut de toutes ses pierres
La regarde de travers
Mais la Seine s’en balance
Elle n’a pas de soucis
Elle se la coule douce
Le jour comme la nuit
Et s’en va vers le Havre
Et s’en va vers la mer
En passant comme un rêve
Au milieu des mystères
Des misères de Paris.
Paul Verlaine
Toi, Seine, tu n'as rien. Deux quais, et voilà tout,
Deux quais crasseux, semés de l'un à l'autre bout
D'affreux bouquins moisis et d'une foule insigne
Qui fait dans l'eau des ronds et qui pêche à la ligne
Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin
Les passants alourdis de sommeil et de faim,
Et que le couchant met au ciel des taches rouges,
Qu'il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges
Et, s'accoudant au pont de la Cité, devant
Notre-Dame, songer, cœur et cheveux au vent !
Les nuages, chassés par la brise nocturne,
Courent, cuivreux et roux, dans l'azur taciturne;
Sur la tête d'un roi du portail, le soleil,
Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.
L'hirondelle s'enfuit à l'approche de l'ombre
Et l'on voit voleter la chauve-souris sombre.
Tout bruit s'apaise autour. A peine un vague son
Dit que la ville est là qui chante sa chanson.
Un extrait du roman d'Emile Zola "l'oeuvre" où le peintre Claude Lantier décrit à son épouse le paysage de la Seine à Paris qu'il veut peindre
Louis Ferdinand Céline, un extrait de "voyage au bout de la nuit"
Un poème de Michel Lagrange : Honfleur que les auditeurs ont demandé une deuxième fois !
Un texte de Balzac, extrait de "Modeste Mignon"
et un superbe poème final de Michel Lagrange : "Leçon d'un paysage"
Avec tous ses roseaux, la Seine
A dû se mettre aux traductions du celte
En grec, en italien, en parlers germaniques,
En Espérance…
Une princesse au bois dormant
Rêveuse dans sa tombe…
Un peuple, une fraternité
M’ont offert leur illustration capitale et majeure…
Un vase issu des ateliers de l’Italie du Sud
En dit long sur la route ancienne
Encore passante.
Autour de ce Cratère,
Un lancinant manège de chevaux
Illustre l’éternel retour
Offert aux vivants et aux morts
Par la magie du bronze
Et de la beauté vive.
En tout événement, il y a ce qui meurt
Et ce qui s’affranchit du temps.
Pas étonnant qu’un laboureur
Éveille au creux de son sillon
Quelque gisant qui rêvait de l’éternité.
Je connais un « Chemin des Morts »
Qui mène à des maisons vivantes.
D’Alger à Istanbul,
Droits de l’homme et de l’au-delà…
Les ouvriers sont venus découvrir
Leur travail en relief
Pour réussir à la force des muscles
Et du sang de la sueur.
Les Franciscains venus d’Assise
Et de Pérouse…
Odeur de sainteté
Flottante.
L’homme et le paysage à la fin se ressemblent,
Ayant l’un sur l’autre déteint.
Entre les reflets du soleil
Et la profondeur animée,
Je coïncide avec les rythmes du silence.
Ils sont les vents de notre éternité.
Je reste au bord d’une eau
Qui se conjugue à tous les temps
Et coule dans les lignes de ma main.
La poésie de l’absence habitable
Est chez elle au milieu
De tous ces carrefours possibles.
Elle a choisi des vêtements de bure
Et des regards sans pesanteur
Pour imiter le vol vibré d’un faucon crécerelle.
En mal et bien le siècle tourne
Et change autour de nous,
En nous.
Mais les projets ont la vie dure
En dépit des constats cruels.
Le pays séduit, se restaure,
Accueille en sa communauté
Les curieux de l’intelligence
Et les tenants de la fidélité.
En dépit de sa solitude,
Une Princesse au bois dormant
Attend l’apparition des successeurs
Pour un sourire
Usé par l’âge.
Elle est heureuse,
Ayant vécu passionnément
Les trésors d’une vie où rien ne la déçoit.
Le front collé à sa fenêtre,
Elle observe intensément l’horizon.
Chaque pensée apporte une éclaircie
Aux revenants de sa mémoire.
Il fait jour dans son espérance.
Au courant de mon émotion,
La Seine insiste auprès de mes silences
Et va porter, plus loin que l’embouchure,
A la hauteur du ciel
Où elle attend son évaporation,
Ce que nous aurons découvert,
La ville et moi.
Ici, nous vieillirons ensemble.
Et nous continuerons, chacun à sa manière,
Une aventure hors du présent commun.
Pour remercier Michel Lagrange, Châtillon-Scènes, par l'intermédiaire de sa Présidente Yolande Estrat, a remis un livre à Michel Lagrange, qui a été très ému.
Madame Lagrange a eu une belle attention pour le public : elle a offert un poème de son mari,"Dea Sequana", tiré par elle-même, aux nombreux auditeurs présents qui en ont été ravis.