Dominique Masson m'envoie un très bel article qu'il a écrit au retour de son voyage à Stuttgart. Merci à lui pour sa contribution au blog !
Courage civique et nazisme
Tel était le thème préparé cette année par les professeurs du lycée Hölderlin de Stuttgart pour les 22 élèves des classes de première et de terminale du lycée Désiré Nisard de Châtillon, encadrés par madame Bongard, professeur d’allemand et monsieur Denivelle, professeur d’histoire-géographie, ainsi que par monsieur Masson, lors de leur séjour, du 26 au 30 septembre.
L’expression « courage civil » (courage des individus d’avoir leur propre opinion) et «courage civique » (courage en tant que citoyen de l’état), en usage depuis le XIXe siècle, a des origines françaises, mais cette notion existait déjà à l’époque grecque.
Le chancelier Bismarck unit en 1847 les deux concepts dans un mot : « Zivilcourage », tout en reconnaissant que c’était une vertu rare en Allemagne. Faire preuve de courage civique, c’est avoir le courage de s’interposer dans un contexte non guerrier. Le citoyen courageux s’expose délibérément à un danger dés lors qu’il s’agit de préserver des relations pacifiques au sein de la société. Attentif, il intervient quand quelqu’un est traité injustement sans se soucier s’il doit prendre certains risques pour rétablir la situation. Par exemple, en présence de deux personnes qui se disputent, il ne détournera pas les yeux. A l’opposé, le citoyen sans courage, lui, détourne les yeux, ne prend pas position, n’intervient pas et ne vient pas en aide. Certes, il échappe momentanément à un certain danger, mais, en fait, il encourage indirectement ces forces au sein de la société qui finiront par troubler sa propre tranquillité.
A la « Maison de l’histoire », élèves français et allemands ont cherché ensemble des exemples de courage civique et ont joué de petites scènes montrant une non-intervention de la part des passants.
(Scène dans une salle du musée Haus der Geschiste)
Une visite a été ensuite organisée au Killesberg, colline de Stuttgart où de grands bâtiments servirent au troisième Reich à parquer les juifs, qui étaient ensuite dirigés vers la gare nord de Stuttgart pour être déportés.
(Stèle érigée au Killesberg)
(détail de la stèle)
(L'ancienne gare du Nord)
(Un des panneaux de la gare du Nord montrant les juifs en attente de départ)
(Monument de la gare indiquant les noms de déportés juifs st tziganes, ainsi que leur destination )
L’association « Lernort Gedenkstätte » est chargée de montrer comment, au travers de deux stèles érigées là, la ville de Stuttgart a pris lentement en compte le génocide juif. Les habitants à l’époque qui voyaient passer les files de juifs partant vers la gare ne sont pas intervenus. Cette association, composée de dix membres, bénévoles, est patronnée par la ville de Stuttgart, qui met en œuvre un programme afin d’établir un lien entre passé, présent et avenir, afin que les jeunes connaissent l’histoire et soient formés à la démocratie active.
(Quelques membres de l'association Lernort Gedenkstätte qui nous ont guidés)
(L'un des panneaux du chemin de mémoire établi dans la ville de Leonberg)
Ensuite eut lieu la visite du camp de concentration de Leonberg, à 17 km de Stuttgart.
Au printemps 1944, un camp annexe au camp du Struthof-Natzweiler fut installé à Leonberg (le camp du Struthof avait sous sa responsabilité 60 camps annexes). Dans les baraques étaient enfermés des détenus de 24 pays européens, avant tout de la Pologne, de l’URSS, de la France, de la Hongrie, des Balkans et de l’Allemagne. Les déportés durent aménager deux tunnels autoroutiers pour abriter l’usine Messerschmitt d’Augsbourg endommagée par les bombardements de 1943/1944.
(Maquette montrant une partie du camp et les tunnels)
(Le tunnel aujourd'hui transformé en musée)
A l’intérieur de ces tunnels seront fabriqués des ailes d’avions à réaction Me-262 (un seul de ces tunnels existe encore aujourd’hui).
(Panneau du chemin de mémoire montrant la production des ailes de Messerschmitt)
Peu de jours avant l’arrivée des français, le 11 mars 1945, 248 déportés sont transférés vers Bergen-Belsen et près de 2 000 autres déportés partent à pied vers Allach, annexe de Dachau. Au total, le camp vit passer environ 2500 déportés ; il y aura environ 400 décès. A l‘époque, beaucoup d’habitants de Leonberg essayérent d’ignorer l’existence du camp et détournaient leur regard quand ils croisaient les détenus marchant dans les rues. Seulement peu d’entre eux aidérent les prisonniers, risquant à leur tour de lourdes peines. Ce n’est qu’en 1999 qu’une association fut créée, afin de préserver le tunnel, établir le contact avec les anciens détenus encore vivants et faire connaître cet épisode de l’histoire allemande aux plus jeunes.
(Monument du souvenir, érigé devant l'entrée du tunnel)
En 2013, la conservatrice du Musée d’Histoire allemande de Berlin soulignait que « le nom d’Hitler exerce un charisme négatif. L’empereur Guillaume II et Bismarck n’attirent pas autant de monde. C’est un fait. Mais cet intérêt a aussi trait au Sonderweg, au chemin particulier des allemands qui n’ont pas été capables de se libérer par eux-mêmes du Führer et n’ont donc aucun motif de fierté. Ils cherchent encore et toujours à comprendre comment cela a été possible et s’interrogent sur le courage civique qui a fait défaut à leurs aïeux ».
Ces échanges annuels entre jeunes allemands et jeunes français servent à leur faire mieux comprendre ce qu’est la démocratie active.
(Elèves allemands et français après leur travail sur le nazisme aux Archives Fédérales de Ludwigsburg)
(D.Masson)