blog d'une châtillonnaise
La trahison
Fidèle jusqu'alors aux ordres reçus, Marmont, circonvenu par Talleyrand, le ministre des affaires étrangères, fidèle jusque dans la dernière bataille avant Paris, de laquelle il retire ses troupes, 20 000 hommes sur les hauteurs de l'Essonne, la rivière. La trahison est consommée !
Marmont joue là un rôle politique qui, sans doute justement, est stigmatisé comme celui d'un ingrat et d'un traître. Une convention secrète est conclue avec l'ennemi, et le corps de Marmont se rend à l'ennemi. De son titre, on forma d'ailleurs le mot « ragusade » pour signifier trahison.
Voilà ce qui se passa :
Le 1er avril, un incident marqua la revue que l'EMPEREUR passa à ESSONNES du 6e Corps, provoqué par le Général de Cavalerie CHASTEL, avec lequel MARMONT s'était disputé la veille aux portes de PARIS, cet officier le Général CHASTEL ayant refusé de cesser le combat : « Sire, dit MARMONT, qui voulut venger l'affront qu'il avait reçu devant les Troupes : Demande la mise en jugement immédiate du Général CHASTEL.
« Et moi. Sire, s'écria CHASTEL, je le répète devant vous ; depuis DRESDE, Sire, on vous trahit à chaque combat … ! ».
NAPOLEON calma avec douceur le Général CHASTEL et conserva sa confiance au Maréchal MARMONT qu'il traitait presque comme un fils.
Dès le lendemain, MARMONT, qui commandait l'Avant-Garde de l'Armée, est entrepris, d'abord oralement par un de ses anciens aides de camp, MONTESSUIS, qui se présente aux avant-postes costumé en Cosaque ; puis il reçoit une lettre du Prince de SCHWARTZENBERG, Généralissime des alliés, qui l'engage à se « ranger sous les drapeaux de la bonne cause FRANCAISE » et « au Nom de la Patrie et de l'Humanité, à écouter les propositions qui doivent mettre un terme à l'effusion du sang précieux des Braves qu'il commande ».
Extrêmement orgueilleux, MARMONT se voit soudain l'arbitre des destinées de la FRANCE ; il réunit ses Généraux — SOUHAM, BORDESSOULE, JOUBERT, MERLIN, DIGEON, LEDRU des ESSARTS et le Chef d'État-Major MEYNADIER, il leur expose la situation et, après quelques résistances, tous tombent d'accord pour entrer en négociations avec l'ennemi, à l'insu de l'EMPEREUR.
Marmont écrit donc au Prince AUTRICHIEN pour régler avec lui les modalités de la défection de son Corps qui, de nuit, à travers les lignes ennemies, doit être amené en Normandie où il sera neutralisé.
Mais le 4, apprenant l'abdication de l'EMPEREUR par NEY, MACDONALD et CAULAINCOURT, qui se rendent à PARIS en plénipotentiaires auprès des alliés, MARMONT s'empresse de rapporter des ordres qui n'ont plus de raisons d'être et, après avoir enjoint aux Généraux Divisionnaires SOUHAM et BORDESSOULE de ne faire aucun mouvement avant son retour, il se rend auprès de SCHWARTZENBERG pour annuler la Convention.
Or, tandis que les trois « traîtres » Maréchaux plénipotentiaires discutaient avec ALEXANDRE, on vint avertir le TSAR que le 6' Corps était passé à l'ennemi. Cette défection modifiait complètement la position des négociateurs.
Après le départ de MARMONT, le Général SOUHAM, persuadé, par suite de l'arrivée inopinée du Colonel GOURNAUD, aide de camp de l'EMPEREUR, que NAPOLEON avait eu vent du traité conclu avec SCHWARTZENBERG, et redoutant « la colère du maître », avait réuni les autres Généraux et les avait décidés à exécuter la manœuvre prévue, en dépit du contre-ordre du Maréchal : « MARMONT s'est mis en sûreté, déclara SOUHAM, je suis de haute taille, moi, et je n'ai nulle envie de me voir raccourcir de toute ma tête ».
Les Généraux BORDESSOULE, JOUBERT, MERLIN, DIGEON, LEDRU des ESSARTS et MEYNADIER approuvèrent SOUHAM, qui avertit SCHWARTZENBERG de ses dispositions ; puis, sans informer leurs subordonnés et en laissant croire aux Soldats qu'ils allaient attaquer, les Généraux prirent la tête de leurs Troupes et leur firent traverser de nuit les lignes ; lorsque le jour se leva, la colonne était environnée d'ennemis qui présentaient les armes...
MARMONT, qui s'était fait rendre « sa parole » par SCHWARTZENBERG, apprend à PARIS la désobéissance de ses subordonnés et reste atterré : « Je donnerais un bras, dit-il, pour que cela ne soit pas arrivé … ! ».
« Un bras, riposte NEY, brutal, dites la tête : ce ne serait pas de trop … ! ».
MARMONT apprend de plus qu'arrivés à VERSAILLES les troupes se sont révoltées et que les Colonels ont pris le commandement des Régiments pour les ramener à FONTAINEBLEAU ; il accourt, rejoint les colonnes à TRAPPES, les harangue et parvient à les arrêter en confirmant l'abdication de NAPOLEON et « en rappelant pathétiquement ses services et ses blessures ».
Lorsqu'il apprit la défection du 6" Corps, NAPOLEON s'écria : « Un fait pareil de MARMONT, un homme avec qui j'ai partagé mon pain, que j'ai tiré de l'obscurité... l'ingrat … ! Il sera plus malheureux que moi … ! ».
« On ne peut oublier, remarque THIERS, que MARMONT était revêtu de la confiance personnelle de NAPOLEON, qu'il était sous les armes et qu'il occupait sur l'ESSONNE une position capitale ».
En dépit de tous ses Glorieux faits d'Armes, le Maréchal MARMONT ne se releva jamais de sa trahison. La Compagnie des Gardes du Corps, dont LOUIS XVIII lui donna le commandement, fut baptisée « la Compagnie de JUDAS » et « TROMPER » dans le langage Populaire se dit désormais « RAGUSER ».
En 1815, au retour de l'Ile d'ELBE, MARMONT suivit à Gand le Roi LOUIS XVIII qui lui fit sur sa cassette personnelle un don de 450 000 francs.
NAPOLEON, reprenant le pouvoir, le raya de la liste des Maréchaux.
Lorsqu'en 1830 CHARLES X fut chassé de PARIS par la Révolution des « TROIS GLORIEUSES », MARMONT, qui avait reçu le commandement des troupes Royales contre les émeutiers, dut s'entendre dire par le Dauphin exaspéré :
« Vous êtes un traître, Monsieur, et vous nous avez trahis, comme vous avez trahi l'autre … ! ». MARMONT ne rentra jamais en FRANCE après 1830 et mourut en exil âgé de soixante-dix-huit ans à VENISE, où il vécut ses dernières années, les gamins qui regardaient passer le vieux Maréchal sur le quai des ESCLAVONS le montraient du doigt en criant : « Voici celui qui a trahi NAPOLEON … ! ».
(source « les amis du patrimoine Napoléonien »)
Peu de noms de la période de l'Empire sont autant frappés d'opprobre que celui de Marmont (pour ceux qui s'en souviennent). Raguser, ragusade sont des mots devenus désuets, mais qui ont eu longtemps un terrible sens. Comme le disait Napoléon à Ste-Hélène :
"Tout le monde regarde Marmont comme un traître, mais il y a des gens plus coupables que lui [...] Marmont sera un objet d'horreur pour la postérité. Tant que la France existera, on ne pourra entendre le nom de Marmont sans frissonner d'horreur. Il le sent; et c'est sans doute maintenant l'homme le plus misérable qui soit au monde. Il ne saurait se pardonner à lui-même et il terminera sa vie comme Judas."
En effet, Marmont passera le reste de sa vie à essayer de justifier sa trahison de 1814, d'autant plus inexcusable qu'il était un ami intime de longue date de Napoléon.