Dominique Masson nous propose un notule sur le château de Gurgy la Ville, qu'il en soit remercié.
Notule d’histoire :
le château de Gurgy-la-Ville
Le « château des hirondelles », tel est le « surnom » donné au château de Gurgy-la-Ville par ses actuels propriétaires.
S’il n’avait pas été racheté en 2005 par M. Jean-Philippe Guerra et sa femme, Eliane, un entrepreneur en maçonnerie-taille de pierre spécialisée dans la restauration du patrimoine et ancien compagnon du devoir, le château allait s’écrouler dans les mois à venir.
Pour ce sauvetage, ils ont obtenu en 2014 dans la catégorie « patrimoine bâti parcs et jardins » un premier prix régional du patrimoine pour ce sauvetage.
A son départ en retraite, les ouvriers de son entreprise lui ont offert une truelle géante, qu’il a mise comme enseigne sur l’une des tours ; le château aurait pu aussi bien être surnommé « à l’enseigne de la truelle ».
Figure 1 :La truelle géante fichée dans le mur de l'une de ses tours.
Peu de distance sépare « Gurgeium Villa » de « Gurgeium Castrum », mais ces deux villages, tous deux dans la province de Champagne avant la Révolution et du bailliage de Langres, ont une histoire bien différente.
Figure 2 : Carte du duché de Bourgogne par Delisle début XVIIIème siècle. Gurgy-la-Ville et Gurgy-le-Château se trouvent en Champagne, mais entre Châtillon et Arc en Barrois qui sont à l'époque en Bourgogne.
Gurgy-le-Château (ou Gurgy-le-Châtel) apparaît dans les textes en 1106, tandis que Gurgy-la-Ville apparaît un peu plus tard, en 1185.
En 1199, l’abbé de Clairvaux, Guy, intervient dans une dispute entre l’abbaye d’Auberive et celle de Longuay, concernant l’étendue de leurs pacages respectifs ; à l’avenir, la première disposera pour elle seule de tous ceux de Buxerolles, Gurgy-le-Château et Faverolles, sans outrepasser du côté de Longuay la voie antique conduisant de Gurgy-le-Château à La Chaume ; et la seconde disposera de tous ceux de Gurgy-la-Ville, Lucey et La Chaume, sans dépasser cette voie du côté de la grange de Val-Serveux et Faverolles
[i]. En 1231, Henri de Nogent reconnaît avoir cédé à l’évêque de Langres, pour 30 livres, la moitié des dîmes de Gurgy-la-Ville et sa part dans celles de Gurgy-le-Château ; car les cures de chacun des villages sont à la collation de l’évêque de Langres
[ii]. Ce sont tous les deux des seigneuries, mais avec des seigneurs différents et il n’est pas évident de savoir quel seigneur est de l’un ou l’autre village.
Cependant, en 1270, la seigneurie de Gurgy-le-Château est vendue à l’évêque de Langres, avec le château, et sera alors une seigneurie ecclésiastique, alors que la seigneurie de Gurgy-la-Ville restera toujours une seigneurie laïque.
En 1236, Simon, seigneur de Châteauvillain, atteste que Guillaume de Gurgy a rendu hommage à l’évêque de Langres
[iii], mais il est difficile d’en savoir plus sur les seigneurs de Gurgy au moyen-âge. Certains citent Robert de Gurgy en 1201 et Jean de Gurgy en 1340
[iv]. Un peu avant 1400, eut lieu le partage de la seigneurie de Gurgy ; Simone de Saint-Balo avait deux filles. L’une, Simone de Chauffour, épousa Oudot de Senailly et eut la maison forte et la moitié de la justice ; l’autre fille, Jeanne de Chauffour (ou Jeannette), épouse d’Arnoult (Arnould) de Dampierre, écuyer, eut « les basses maisons de la maison forte » et probablement l’autre moitié de la justice du lieu
[v].Pour la branche « Dampierre », on trouve ensuite Pierre Pignard, marchand, seigneur de Dampierre et de Gurgy en partie, procureur à Langres de 1487 à 1491, mort en 1518 (fils de Guyot, seigneur de Dampierre, il fut marié à Catherine Girault) ; son fils, Guy, seigneur de Gurgy en partie, fut bailli à Langres en 1520, puis secrétaire du roi (mort avant 1541, il était marié à Raimonde Ribotteau).
Puis c’est la branche « Gurgy » de la famille Legoux. Guillaume Legouz, écuyer, seigneur de Vellepesle, est aussi seigneur de Gurgy et La Villeneuve, conseiller du roi en ses conseils d’état et son premier avocat général au parlement en 1586.
On voit alors que Gurgy est plus du côté bourguignon que champenois.
Il avait épousé Renée Levallois, dont il eut Bernard Legoux, écuyer, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi en 1618 ; de son mariage, en 1623, avec Anne Morin, il eut une fille, Odette, qui épousa Henry François Garnier et lui apporta Gurgy.
Leur fils, Georges, écuyer, seigneur de Gurgy en partie, né vers 1666, épousa Anne Febvre, née vers 1658, fille de Richard Febvre et Claude Becquet.
[i]Archives de Haute Marne-ADHM ; 1 H 36 ; cité dans : « Benoît Chauvin : le Val-Serveux et l’abbaye d’Auberive » ; Les Cahiers Haut-Marnais ; n° 307, 2023/2
[ii]Roserot Alphonse :
[iii] ADHM ; G 303
[iv]Nicolle Adolphe : « monographie de la commune de Gurgy-la-Ville, 1888 » (Cahiers du Châtillonnais, n° 70) ; l’abbé Jacques Denizot parle de Euvrard, écuyer, et son frère, Huo, qui sont seigneurs en 1183 (Bibliothèque de Dijon, Ms 1727-1732) ; certains parlent également de Jobert de Gurgy en 1185
[v] ADHM ; G 303
Figure 3 : Armorial général par d'Hozier 1696
Puis leur fils, Henry François, seigneur de Gurgy en partie, eut une fille, Jeanne, qui épousa à Germaines, le 25 juillet 1690, Simon Fornier de Germaines, écuyer, ancien garde du corps, lieutenant des chasses et plaisirs de S.M au bailliage de Langres.
Suivre l’autre partie de la seigneurie, dont faisait partie le château, est plus difficile.
En 1440, le fils de Simone et Oudot de Senailly, Jean, donne son dénombrement, notamment pour la maison forte.
C’est lui qui va subir les désastres de la guerre entre les Bourguignons et les Français.
Le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, était en guerre avec le roi de France, Louis XI.
Les troupes royales, mêlées à beaucoup de Liégeois révoltés contre le duc, se jetèrent, au commencement de 1472, sur la Bourgogne ; Gurgy-le-Haut (le Château) et Gurgy-le-Bas (la Ville), furent brûlés ; mais le duc reprit l’offensive et chassa les troupes royales.
En 1473, Jean de Senailly, en considération des désastres des dernières années, où en particulier le château fut brûlé, accorde une taille abonnée aux habitants du lieu pour qu’ils reviennent y demeurer[i].
C’est probablement lui, ou son fils, qui va reconstruire le château tel qu’il est aujourd’hui, dans ses grandes lignes.
(i]« Vidimus de 1485 », ADHM, G 303 ; cité par Mouillebouche Hervé : « les maisons-fortes en Bourgogne du nord du XIIIe au XVe siècle »; Dijon, 2002
Figure 4 : La façade externe du château avec les traces du pont-levis
Le château, ou plutôt la maison forte, s'organise aujourd’hui sur une plate-forme carrée, fermée à l'est par un corps de logis à un étage carré sous toit à croupe, au nord par une grange, au sud par un bâtiment de courtine au droit du côté du logis et par un simple mur à l'ouest.
Le corps de logis principal à l’est est composé d’un rez-de-chaussée, d’un étage carré et d’un étage de comble couvert d’un toit à croupe, avec trois lucarnes en œil-de-bœuf ; ce logis était percé à l’est d'une porte charretière plein-cintre accostée d'une porte piétonne à gauche, avec trois rainures de flèches de pont-levis; à l'aplomb de la porte charretière, se trouvent trois blasons bûchés et une fenêtre haute.
Figure 5 : Les rainures des flèches du pont-levis, au-dessus les restes des blasons
Figure 6 : La cheminée de la "salle des gardes" derrière le pont-levis
Figure 7 : Une salle au rez de chaussée
Figure 8 : Une cheminée, dessin de Louis Victor Petitot (album de dessins autour de la Haute Vallée de l'Ource 1999)
La plate-forme est garnie de deux tours rondes, du côté sud. Au sud-est, la tour est attenante au logis principal ; au sud-ouest, c’est une tour ronde isolée, reliée au logis par la courtine et flanquée d’une échauguette à cheval sur la courtine.
Ces tours sont percées de canonnières à ébrasement externe oblong.
De ce côté sud, il reste une trace du fossé.
Figure 9 : La tour sud-est, avec des canonnières au raz du toit et au raz du sol
Figure 10 : la tour du sud-ouest
Figure 11 : Les deux tours et le fossé en eau
Après le rattachement de la Bourgogne à la France, en 1477, le fils de Jean, Antoine, rend hommage au roi le 18 août 1481, pour Colombey et La Villeuve aux Fresnes, à lui échus par décès de son père ; en 1491, c’est l’aveu et le dénombrement donnés par Antoine de Senailly, seigneur de Rimaucourt, Colombey-les-Deux-Eglises et Gurgy[i].
On trouve ensuite Pierre Ier de Senailly (marié à Orceline de Thuillières), baron de Rimaucourt, seigneur de Gurgy en partie, de Laneuvelle et de Ravennefontaine, décédé vers 1548[ii].
Puis son fils, Théodore de Senailly, seigneur de Gurgy en partie et de Rimaucourt ; il fut gouverneur du château de Joinville et mourut vers 1592 (il se maria avec Claude d’Anglure).
On trouve, au début du XVIIe siècle, Philiberte Garnier dame de Gurgy, qui épouse de Jean Girault, seigneur de Fresnoy[iii].
Au XVIIIe siècle, les Febvre vont réunir les deux parties de la seigneurie de Gurgy.
Ce sont peut-être eux qui vont aménager un parc à l’arrière du château, avec un nymphée, du côté où se trouvait autrefois l’entrée du château.
En 1737, le dénombrement est fait par Antoine Febvre (né vers 1680/1690 et décédé entre 1732 et 1756), écuyer, gendarme de la garde du Roi, et Jeanne Garnier, sa femme ; il va être seigneur de la totalité, savoir pour un quart par acquisition faite le 18 janvier 1725 du sieur Fournier de Germaines (époux de Jeanne, fille d’Henri François Legoux) et, pour le surplus, à cause de ladite Jeanne, comme héritière de François Garnier, écuyer, son père[iv].
[i]ADHM, G 303
[ii] Pierre de Senailly apparaît lors de la convocation du ban du bailliage de Sens (duché de Langres) ; il est taxé de40 livres, pour un revenu de sa seigneurie de 193 livres 5 sols, lors d’une montre le 15 juillet 1545 (« le ban et l’arrière ban du bailliage de Sens, publié par Maurice Roy ; Sens, 1885)
[iii] Les Choiseul furent seigneurs de Senailly et aussi seigneurs de Fresnoy
[iv]ADHM ; G 303
Figure 12 : le nymphée, dessin de Louis Victor Petitot (album de dessins autour de la Haute-Vallée de l'Ource 1999)
Figure 13 : Le nymphée aujourd'hui (la statue a été retaillée par le propriétaire, de même que les autres bustes)
Son fils, Richard Febvre, né en 1718, maître de camp de cavalerie, va, en 1756, acheter la seigneurie de Mauvilly et vendre Gurgy au duc de Penthièvre, pour 190 000 livres, tout en gardant le nom (marié à 1738 à Cécile Rougeot, son fils, officier de cavalerie, s’appellera Richard Febvre de Gurgy).
Louis Jean Marie de Bourbon, duc de Penthièvre, est né le 16 novembre 1725.
C’est le fils unique de Louis Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, fils légitimé de Louis XIV et madame de Montespan.
En 1693, celui-ci achète le marquisat d’Arc-en-Barrois et, en 1703, Louis XIV érigea le comté de Châteauvillain en duché-pairie pour lui et ses descendants.
Son fils, Louis Jean Marie, l’une des plus grosses fortunes du royaume, fut gouverneur et lieutenant général de Bretagne et amiral.
Pour compléter le duché de Châteauvillain, il acheta la seigneurie de Gurgy.
Avec celle-ci, il fut aussi en possession du haut-fourneau et de la forge, construits probablement vers le milieu du XVIIIe siècle (ce qui entraîna son association avec Aubepierre) ; en 1772, il y était produit 200 000 livres de fer par an.
Le duc de Penthièvre mourut en Normandie, le 4 mars 1793 ; il avait légué tous ses biens à sa fille, Adélaïde, mais tous ses biens furent alors confisqués.
Le coup d’État de 1797 va contraindre celle-ci à s’exiler en Espagne.
Elle revint en France en 1814 et une partie de ses biens lui fut rendus, en particulier les bois (Arc fut restitué en 1814) ; en 1820, les bois de Gurgy étaient gérés par les gardes du duché de Châteauvillain.
Mais le château avait dû être vendu et acheté par des bourgeois, tandis que fourneau et forge se retrouveront en possession de Jean-Baptiste Edouard Bougueret, maître de forges (né à Gurgy en 1809) qui apportera en 1845 ces usines à la société en commandite Bougueret-Martenot [i].
On ne sait quand le château perdit ses autres tours. Au XIXe siècle, le château apparaît composé de deux côtés, sans grange adventive.
[i]Cette société deviendra en 1860 la Société des Forges de Châtillon et Commentry ; mais, en 1860, Bougueret demande de ne pas être imposé à la contribution foncière, le fourneau étant « dans un état de délabrement qui ne permet plus de l’employer à sa destination d’usine ».
Figure 14 : Gurgy-la-Ville, cadastre napoléonien
Figure 15 : Gravure d'Eugène Nesle 1858 (album pittoresque de l'arrondissement de Châtillon sur Seine 1858)
Figure 16 : Dessin de Louis Victor Petitot (album de dessins autour de la Haute Vallée de l'Ource 1999). On distingue les rainures des flèches du pont-levis et on voit la souche d'une cheminée.
Plus tardivement, furent ajoutés au nord des écuries et une chambre à four.
Au XXe siècle, le château fut la propriété de familles d’agriculteurs, les derniers étant la famille Défaut, puis la famille Sullerot.
Figure 17 : La grange rajoutée côté nord, accolée au corps de logis.
Figure 18 : Le château. Carte postale vers 1900, Bogureau éditeur
Figure 19 : le cadastre actuel
Les bâtiments n’étant pas inscrits aux Monuments Historiques, le propriétaire a pu restaurer selon son goût certaines parties, tout en conservant une unité pour l’ensemble du château.
Ainsi, il a, au-dessus du nymphée, construit une petite "Folie" ; elle n'est pas terminée car il doit encore lui construire un fond et une voûte qu'il a l'intention de décorer d'une fresque.
Figure 20 : La "Folie", devant le bassin supérieur
De même, pour fermer la cour du côté ouest, contre le mur séparant de la rue, il a construit une "Fabrique de jardin" à l'aide de pierres de pays alternant avec des pierres percées trouvées dans la région.
A l'intérieur, un banc est surmonté de deux têtes sculptées en pierre.
Figure 21 : A droite les écuries et la chambre à four. Au fond la "Fabrique de jardin"
Figure 22 : La courtine reliant les deux tours.
Il en est de même pour la courtine reliant les deux tours, qui a été reconstruite ; la fenêtre n’est pas d’origine, mais l’archère est bien en place ; on peut remarquer qu’elle permettait de tirer sur l’ennemi qui pouvait avoir pénétré dans la cour du château.
Depuis 2005, la famille œuvre pour restaurer, pérenniser, transmettre ce patrimoine bâti chargé d'histoires. C’est une entreprise «« gurgygantesque » comme aime à le rappeler Jean-Philippe Guerra et, afin d’aider à continuer la restauration du château, il est possible de dormir au château pour des « nuits insolites ».
( Dominique Masson )