"La condition des femmes dans les sociétés préhistoriques et ses transformations du paléolithique à l'âge du fer"une conférence de Claudine Cohen pour la Voix de la Princesse
Vendredi 5 novembre 2021, les Châtillonnais ont pu assister à une superbe conférence initiée par la nouvelle association "La Voix de la Princesse", conférence présentée par Madame Claudine Cohen, paléontologue, philosophe et historienne des sciences .
Le thème de cette conférence était :
"La condition des femmes dans les sociétés préhistoriques et ses transformations du paléolithique à l'âge du fer"
Avant la conférence, Chantal Contant a fait connaître au public venu très nombreux, les buts de la nouvelle association "La Voix de la Princesse", après avoir présenté les membres du Conseil d'Administration.
Président : Dominique Masson
Vice-président(e)s : Sylvia Arcos, Chantal Contant et Patrick Dupressoir
Secrétaires : Marie-France Fauquette et Babeth Lamelin
Trésorières : Françoise Ibanez et Joëlle Payot.
Chantal Contant a ensuite présenté les buts de la nouvelle association "La Voix de la Princesse" :
-Sensibiliser les décideurs et l'opinion sur l'intérêt de mettre en valeur le patrimoine associé au site de Vix-Mont Lassois en coordination avec le Parc National de Forêt
-Mobiliser les personnes physiques et morales en faveur de projets de valorisation de ce patrimoine
-Favoriser l'établissement de liens culturels entre les personnes et institutions concernées par le site de Vix et par des sites celtes de même nature en Europe.
-Participer à l'organisation d'événements culturels en lien avec le site de Vix.
Dominique Masson a ensuite accueilli madame Claudine Cohen et l'a présentée au public :
Claudine Cohen est paléontologue, philosophe et historienne des sciences, spécialiste de l’histoire de la paléontologie et des représentations de la préhistoire. Elle a ouvert en France la question de la place des femmes dans les sociétés préhistoriques, et a publié plusieurs ouvrages sur le sujet. Elle est directrice d’Études à l’EHESS et à l’EPHE / PSL University, section des Sciences de la vie et la terre.
Madame Cohen nous a confié son grand plaisir d'avoir pu visiter le site de Vix avec des membres de l'association "La Voix de la Princesse", et ensuite le Musée du Pays Châtillonnais, guidée par madame Monnet, Conservatrice.
Madame Cohen a ensuite présenté sa conférence, illustrée de photographies représentant des statuettes de femmes des époques préhistoriques, retrouvées lors de fouilles archéologiques, mais aussi de quelques tableaux modernes (début du XIXème siècle) présentant de façon très erronée les femmes de cette époque, spécialement les tableaux de Paul Jamin, un peu ridicules aujourd'hui....
(j'ai pu retrouver, sur internet, certaines illustrations )
La Place des femmes dans les mondes de la préhistoire est un sujet à la fois inactuel et pourtant ...très actuel à notre époque où règne le féminisme.
En effet, durant des décennies on a plutôt parlé de l'"H/homme" préhistorique, la femme préhistorique étant passée sous silence.
Il est donc intéressant d'aborder le statut des femmes, de leurs pouvoirs et de leurs savoirs, considérer la différence des sexes, non exclusivement dans leur dimension "naturelle"mais en tant que socialement construite.
Il est bien sûr difficile d'approcher le rôle des femmes durant la préhistoire, car les vestiges historiques sont peu nombreux, et on sait donc peu de choses sur l'organisation des sociétés paléolithiques, surtout les plus anciennes.
Néanmoins, il nous faut nous affranchir des " idées reçues " du XIXème siècle où on nous montre ces femmes toujours soumises, vouées à la maternité, sous la dépendance d'un compagnon, avec une dose d'érotisme et de violence à la clé, comme le montre ce tableau de Paul Jamin (1903), "le Rapt" !
A l'aide de statuettes, très anciennes retrouvées lors de fouilles on peut imaginer que la femme-mère était glorifiée, par la magie de sa fécondité et la protection de ses grossesses.
En témoigne cette"Vénus de Laussel" (25 000 années avant JC) :
Dans les années 1970, un thème a été privilégié celui de la femme "cueilleuse", alors qu'auparavant régnait le mythe de l'homme "Chasseur".
Il est évident que la femme préhistorique devait cueillir des fruits, des racines, ramasser des graines, récolter des plantes médicinales, des fibres pour le tissage de paniers, de filets....
Voici quelques représentations de femmes préhistoriques...
La dame à la capuche de Brassempouy, (28 000 ans avant JC), je l'avais photographiée au Musée de Saint Germain en Laye lors d'un voyage de la SAHC :
Cette statuette en ivoire de mammouth a été découverte à Lespugue (23 000 ans avant JC)
La statuette russe de Kostienki (22 700 ans avant JC) :
La Venus de Moravany ( 22 000 ans avant JC) :
La vénus de Willendorf en calcaire (24 000 ans avant JC)
Comparaison des statuettes d'après Leroi-Gourhan ( photo prise au Musée de l'Archéologie de Saint Germain en Laye)
Les femmes devaient confectionner des outils, il faut être adroit pour tailler des silex fins, des outils pour râcler la viande sur les peaux...
Une question se pose : qui a réalisé les œuvres de l'art paléolithique pariétal et mobilier ?
On a cru longtemps que seuls les hommes étaient ces artistes, préjugé éminemment sexiste.......mais la trace de mains féminines en signature nous prouve que les femmes aussi décoraient les grottes, en témoigne cette peinture rupestre de Pech Merle :
et ces centaines de mains de femmes dans un site espagnol..
Le début du Paléolithique supérieur fut-il un "âge d'or" pour les femmes ?
Claudine Cohen nous affirme que oui, car les femmes de cette époque semblent avoir été particulièrement honorées et avoir bénéficié d'une considération sociale.
En témoigne ce squelette que l'on a longtemps attribué à un homme en l'appelant "l'Homme de Menton". En réalité c'est une femme, on l'appelle à présent la "Dame de Cavillon". Son squelette est robuste et elle porte des décorations en pierre sur le crâne :
Peut-on alors parler d'un "matriarcat originel" ?
Claudine Cohen pense que non, d'ailleurs nous dit-elle le matriarcat n'a jamais existé dans le monde. C'est une spéculation qui est plus un mythe qu'une réalité.
Ni matriarches, ni déesses, les femmes paléolithiques ont pu bénéficier de subsistance à l'égal des hommes, et jouir peut-être d'un statut valorisé.
Y a-t-il eu néanmoins une religion de la "déesse mère" au Néolithique , période qui a vu la naissance de l'agriculture ? la fécondité de la terre a pu être rapprochée de celle de la femme.
Car beaucoup de statuettes semblent évoquer la maternité, et la fécondité, comme cette "déesse de Catal Hüyük" qui assise sur un trône, semble donner naissance à un enfant qui apparaît sous elle (la tête a été refaite) :
Les sociétés du Néolithique, par contre, ont été à dominante masculine.
En effet les travaux domestiques liés à l'élevage, au travail de la terre, l'abondance d'enfants, la sédentarité ont rendu les femmes plus vulnérables : leurs squelettes montrent des marques de carence et de malnutrition, de mauvais traitements et d'une plus grande domination masculine.
Les femmes sont tout de même parées, honorées, comme cette "dame de saint Sernin" (statue menhir de l'Aveyron) :
Un monde barbare ou une civilisation raffinée ?
Au XIXème siècle on a découvert des nécropoles comme celle de Hallstadt, avec des armes, tuniques, cuirasses...riches parures en or, vases en bronze etc.... Et aussi des forteresses et des imposants monuments funéraires.
Une toile de Jamin "le butin de Brennus" nous montre la prédominance masculine imaginée par le peintre, quand même un peu exagérée !
D'après Jullian, les sociétés gauloises étaient patriarcales, en témoigne l'histoire de l'Eduen Dumnorix qui décida du mariage de sa mère, de sa sœur et d'autres parentes...
Les femmes gauloises auraient eu, d'après le même auteur, un courage et un héroïsme guerrier....comme Boudica
Claudine Cohen a ensuite évoqué les sépultures princières au premier âge du fer : princes et princesses
Dans ces sépultures, les armes désignent bien les hommes, les torques signalent les femmes.
Mais les trois quart des tombes restantes contiennent d'autres bijoux : fibules, agrafes de ceintures, mais aussi des poteries.
Voici, par exemple, les bijoux magnifiques de la tombe de Sainte-Colombe sur Seine, photographiés au Musée de Saint Germain :
Il n'existe pas , bien souvent, en réalité d'opposition stricte entre les tombes masculines et les tombes féminines.
Claudine Cohen nous présenta ensuite celle de "la Dame", la "Princesse" ou la "Reine"de Vix, étendue sur un char à quatre roues, parée de somptueux ornements comme le torque en or autour du cou et un autre en bronze sur le ventre.
Elle est accompagnée par un cratère et de vaisselle métallique et en céramique importée de Grèce et d'Etrurie, et d'un phiale en argent de production locale.
Cette sépulture est datée du premier âge du fer.
Sa découverte par Maurice Moisson et René Joffroy :
On a fantasmé sur la beauté de la défunte, en témoigne cet article de journal, où la princesse a une drôle de façon de porter le torque !
Soixante ans plus tard, à Lavau près de Troyes, un tumulus , fouillé, a laissé apparaître une tombe masculine avec des objets dont un torque en or, vases, services à boire, parures et ornements.
Des fouilles plus soignées ont été reprises à Vix.
Au cours de la campagne 2004-2007, les fouilles menées par Bruno Chaume ont mis à jour les fondations d'un grand bâtiment absidial de 35m de long et 22m de large.
Les questions que pose Claudine Cohen sont multiples :
-Quelles étaient ces sociétés du premier âge du fer, des barbares ou des peuples de haute culture ?
-Quelle est l'origine et la signification de la richesse déployée dans ces tombes ?
-Quelles furent les circonstances de cette sépulture , rituels ? réunions ? etc..
-Qui est le personnage enseveli, identifié comme une femme entre 35 et 40 ans ? une épouse, la femme d'un homme puissant, une prêtresse et quel fut son rôle dans cette société du premier âge du fer ?
-Quelles furent les raisons de ces funérailles somptueuses et de ces parures ostentatoires ?
Les chercheurs ont des opinions bien différentes, l'un d'entre eux, (K.Splinder) pense que la "Dame de Vix" serait un prêtre travesti masculin !
D'autres avancent que la Princesse qui avait une déformation faciale et une claudication, aurait pu être vénérée parce que différente...
En tous les cas on peut penser que ces princes et princesses du premier âge du fer avaient un pouvoir social et religieux, un rôle dans la distribution des richesses, et un pouvoir militaire comme en témoigne la frise qui entoure le col du vase de Vix
Et Claudine Cohen conclut cette magnifique conférence par ces mots :
Les questions de "genre" sont centrales pour une science de la Préhistoire humaine. Elles permettent de repenser la place des femmes dans les sociétés protohistoriques et de dénoncer les mythes.
Elles permettent de critiquer l'androcentrisme des perspectives en archéologie :
-En trouvant des femmes par des recherches sur le terrain (fossiles, artefacts, figurations)
-Grâce aux nouvelles techniques (ADN, imagerie)
-Grâce aux nouveaux enjeux de recherches suscitées par les courants féministes
-En essayant d'identifier la réalité de l'existence de ces femmes dans leurs aspects productifs et créatifs, sans refuser de considérer ses aspects les plus défavorables (domination, violence)
Les sociétés matriarcales sont un mythe mais il a existé dans le passé une variation des modes de productions et de vie.
Sur cette très longue durée des temps préhistoriques on identifie des exemples tendant à prouver que la condition des femmes pouvait être favorable ou même dominante en certains lieux et à certaines époques.
La Dame de Vix en est la preuve !
Beaucoup d'applaudissements ont salué et remercié la conférencière.
Claudine Cohen a ensuite répondu aux questions des auditeurs....
Puis elle a dédicacé deux de ses livres.
A la fin de la conférence beaucoup d'auditeurs ont adhéré à la nouvelle association "la Voix de la Princesse" :
Une vidéo de la conférence de Claudine Cohen :
Et à lire, une très intéressante étude de Claudine Cohen sur la symbolique de la main, c'est passionnant !
https://www.academiedesbeauxarts.fr/sites/default/files/inline-files/partie6%20%281%29.pdf