"Jessie White Mario", la "Jeanne d'Arc du Risorgimento", un notule d'histoire de Dominique Masson
Publié le 6 Février 2021
Dominique Masson nous raconte aujourd'hui la vie d'une femme extraordinaire, qui séjourna dans le Châtillonnais durant le fameux épisode de "La surprise de Châtillon". On la vit en action à Châtillon, mais aussi à Aignay le Duc et à Baigneux.
Une vie passionnante que Dominique Masson nous restitue si bien, merci à lui de nous la faire connaître !
Notule d’histoire :
Jessie White Mario
Cette femme fut surnommée « Miss Ouragan », et, pour Mazzini, ce fut la Jeanned’Arc du Risorgimento.
Jessie White est en effet une femme hors du commun, moderne et rebelle. Le poète Giosué Carducci, qui sera prix Nobel de littérature, dira d’elle : C'est une femme formidable, à qui nous, Italiens, devons beaucoup.
(Figure 1 :Jessie White Mario)
Elle est née le 9 mai 1832,dans un petit village près de Portsmouth, en Angleterre, d’une famille de riches armateurs.
Après avoir étudié la théologie en Angleterre, elle vint prendre des cours de philosophie à la Sorbonne, de 1852 à 1854.
C’est là qu’elle fit la connaissance d’Emma Roberts, très proche de Giuseppe Garibaldi et, l’ayant rencontré et frappée par son charme, décida de consacrer le reste de sa vie à la cause de la liberté de l’Italie.
Car, à cette époque, l’Italie est morcelée entre de nombreux territoires, certains sous domination étrangère.
En 1855, elle retourne en Angleterre, fréquente la faculté de médecine, mais on lui interdit de devenir la première femme médecin d’Angleterre.
Elle écrira alors:
"Je suis convaincue que la meilleure façon de faire travailler d’autres femmes est de commencer à décrocher un travail pratique nous-mêmes…
Mais pour diverses raisons, je suis contente d’avoir vécu cette expérience."
Elle va également rencontrer Giuseppe Mazzini, révolutionnaire et patriote italien, alors en exil à Londres ; c’est l’un des leaders du Risorgimento (« Résurgence », « Renaissance »),qui prône l'unification italienne.
Jessie va s’engager dans une intense campagne de conférences, rédige des articles de journaux, collecte de fonds, visant à soutenir les patriotes italiens.
En 1857, elle suit Mazzini en Italie qui veut préparer une expédition dans le sud de l’Italie.
Arrêtée, elle passera quatre mois en prison ; c’est là qu’elle fera la connaissance d’Alberto Mario, qu’elle épousera cinq mois plus tard, en Angleterre.
Ils feront un voyage à New-York, défendant la cause del’unité italienne, où ils écriront pour le New-York Times,le Herald et le Post.
Revenus en Italie en 1860, ils suivront Garibaldi dans son expédition des mille, en 1861, qui verra l’unification presque complète de l’Italie [i].
Elle sera infirmière du corps de santé militaire dans quatre campagnes de Garibaldi, se dévouant à lui ; par exemple, lors de la bataille du Volturno, en 1860, elle sortira sous le feu pour sauver Garibaldi et, à la bataille de l’Aspromonte, en 1862, elle assiste le médecin qui soigne sa blessure.
Son activité d’infirmière n’a pas interrompu son activité journalistique ; elle est correspondante, en Italie, pour le Morning Star, le Scotsman et aussi le Nacion de Buenos Aires.
Ainsi, elle va attirer l’attention du public britannique sur les chemises rouges ; elle fut alors la première femme journaliste britannique, envoyée sur le front de la guerre en Italie.
A l’occasion, elle est aussi espionne pour le compte de Garibaldi. Elle recevra, à la fin de la guerre en Italie, deux médailles d’or des Napolitains, en signe de gratitude.
L’unité italienne étant réalisée en 1870, Jessie White Mario suivra Garibaldi, qui a offert ses services à la République française,proclamée le 4 septembre 1870,en lutte contre l’envahisseur prussien [ii].
Il débarque à Marseille le 7 octobre 1870 et place son état-major à Dole le14 octobre. Le 11 novembre, il organise l’armée des Vosges en quatre brigades sous le commandement, entre autre, de ses deux fils, Ricciotti et Menotti.
Jessie White Mario sera affectée à la quatrième brigade, commandée par Ricciotti Garibaldi, en tant que responsable des ambulances : Hardie comme un soldat et dévouée à nos malades, elle dépensait à leur service beaucoup de son temps et aussi de son argent, dira d’elle Grenest [iii].
Un lieutenant de l’état-major de la quatrième brigade rajoute : Mme Mario était douée d’un courage rare. Là où sifflaient les balles, on la voyait toujours paraître pour soigner les blessés.
Dans cette campagne, elle suppléa à l’insuffisance des ambulances.
C’est grâce à elle que des jeunes soldats sont encore de ce monde. Grâce à elle aussi, les Anglais envoyèrent pour plus de 25 000 fr. d’instruments de chirurgie et de médicaments.
Agée d’une quarantaine d’années, elle en paraissait à peine trente. Vivant toujours au milieu des soldats et respectée de tous [iv].
Lors de la « surprise » de Ricciotti Garibaldi à Châtillon, le 19 novembre 1870, ce dernier avait restitué le personnel d’une ambulance et l’expédia par le plus court chemin ; seulement, lorsque Ricciotti chargea Jessie Mario de réclamer nos médecins, quelques semaines après, les allemands ne les renvoyèrent que par la Suisse, et ce long détour nous en priva pour tout le reste de la campagne.
C’est à Châtillon que Madame Mario avait conduit cette petite négociation.
Dame d’origine anglaise, et femme d’un député Italien, madame Mario écrivait des correspondances aux journaux anglais et commandait l’ambulance de la quatrième brigade…
A Châtillon, elle fit une découverte grave.
Les Allemands, maîtres de l’hôpital, avaient relégué les francs-tireurs blessés dans une salle basse et humide.
Jessie Mario ne cachait pas ses sympathies pour les Allemands.
Mais, ce jour-là, elle leur cingla la figure de quelques bonnes vérités.
« Vous soignerez nos francs-tireurs comme vos soldats, leur dit-elle, et nous en aurons la preuve. Sinon vos blessés paieront pour les nôtres, tête pour tête ».
Ce ne fut pas l’incident le moins surprenant de cette surprise que cette rencontre de l’Anglaise, qui montrait les dents, et de l’Allemand qui, rouge de colère, bégayait je ne sais quelle explication banale [v]
Cette « visite » avait été suivie par des habitants de Châtillon qui furent fort intrigués par cette dame.
Nous retrouvons ensuite Jessie Mario à Aignay-le-Duc.
Après la bataille de Baigneux, le 11 janvier, Ricciotti s’était installé dans ce village.
Le maire, M. Misset, a fourni une description du passage de Ricciotti :
"Sur les deux heures du matin arriva tout à coup dans ma cour une voiture de deux chevaux amenant une dame anglaise, Mme White-Marion.
Elle venait de Châtillon traiter, disait-elle, de l’échange de médecins pris par les allemands, mais plutôt pour savoir ce qui se passait à Châtillon et le rapporter à Ricciotti.
Cette dame faisait partie de la Brigade en qualité de Directrice des ambulances.
Elle raconta aux chefs les mouvements des troupes prussiennes qui se dessinaient du côté de l’est, annonçant qu’il y avait à Châtillon et dans les environs une véritable armée de 50 ou 60 000 hommes ; elle donna d’autres renseignements que je n’ai pas entendus [vi].
Voici enfin le témoignage de Ricciotti :
"Vers minuit, je m’étais jeté sur un lit, si fatigué que je n’avais même pas débouclé le ceinturon de mon sabre, et aussitôt je m’étais endormi, lorsque l’officier de service vint m’éveiller en me disant que Madame Mario venait d’arriver et qu’elle voulait me voir tout de suite.
J’allai à elle. La bonne dame s’était rendue à Langres [vii] pour l’échange de quelques ambulances et, pendant sa route, les ennemis l’avaient faite prisonnière.
Maintenant, elle retournait à Dijon avec un sauf-conduit prussien.
Elle doutait que nous puissions sortir de notre situation dont elle connaissait bien le danger, car elle venait de traverser les lignes prussiennes jusqu’à Aignay.
Elle m’informa à quel point était occupée la campagne autour de nous, et elle me donna des renseignements :
« Chaque hameau et chaque village, dit-elle, regorgeaient de troupes. On voyait des lumières dans toutes les maisons et on rencontrait des sentinelles à chaque deux milles [viii]".
Repliée sur Dijon, Jessie Mario va participer à la troisième bataille autour de cette ville, du 21 au 23 janvier 1871.
Là, elle assistera à une scène horrible ;au château de Pouilly, que les Prussiens occupaient, ils prirent un prisonnier légèrement blessé, l’attachèrent et y mirent le feu.
Lorsque les garibaldiens reprirent le château, ils découvrirent l’horreur.
L’Anglaise Mario elle-même, qui, jusqu’alors avait tenu pour les Prussiens, et qui l’avoue, écrivit ce soir-là que
« désormais son âme entière se révoltait contre eux [ix] ».
Au combat de Lantenay, Jessie assiste le médecin de la quatrième brigade dans ses soins aux blessés.
Le 10 mars 1871, le corps des volontaires garibaldiens est dissous et Garibaldi rentre en Italie.
C’est aussi ce que fera Jessie Mario et elle prendra la nationalité italienne.
Abandonnant le combat politique elle se tournera vers d’autres formes de combats.
Elle va se consacrer aux œuvres sociales, en particulier la misère à Naples ou la condition de travail des mineurs de Sicile.
En 1879, le président du conseil des ministres italien écrit :
"La démocratie n’a qu’un seul écrivain social et c’est un Anglais et une femme, madame Jessie Mario, qui ne manque jamais, où il y a de souffrir, d’oser pour une noble cause."
Elle écrit aussi sur la condition des femmes en Italie, ce qui ne contribua pas à le rendre populaire dans les milieux conservateurs.
Un historien réactionnaire s’acharna sur elle en l’accusant de faire tourner la tête de Garibaldi et de ses camarades et en la décrivant comme ayant une conduite sexuelle redoutable pendant qu’elle s’occupait des blessés ; il l’accusait aussi de fréquenter les hôpitaux plutôt pour chercher de beaux jeunes hommes que pour soigner les malades dont ses caresses retardaient la guérison [x].
Elle se consacrera aussi, à la fin de sa vie, à écrire l’histoire du mouvement national, publiant les écrits de son mari, décédé en 1883, et rédigeant des biographies, en particulier celles de Garibaldi et de Mazzini.
Décédée à Florence en 1906, où elle avait obtenu une chaire de littérature anglaise à l’université de cette ville, elle sera enterrée à Lendirana, près de Rovigo, auprès de son mari.Plusieurs rues en Italie portent son nom et celui de son mari.
(Figure 2 : Alberto Mario, député italien de 1861 à 1865)
(Dominique Masson)
(Figure 3 : médecins prussiens à Châtillon en 1870, collection Dominique Masson)
[i]l'unification du royaume d'Italie qui est proclamé le 17 mars 1861
[ii] La guerre elle-même avait commencé le 19 juillet 1870, entre Napoléon III et le roi Guillaume de Prusse
[iii] Grenest : « l’armée de l’Est-relations anecdotiques de la campagne de 1870-1871 » ; Paris, 1895
[iv] Garibaldi Ricciotti : « souvenirs de la campagne de 1870 », Nice, 1899 ; déjà, lors de « l’expédition des mille », elle avait réussi à faire organiser une souscription en Angleterre et Victor Hugo fut sollicitépar les habitants de Jersey pour aussi recueillir des fonds
[v] Dormoy P.A : « souvenirs d’avant-garde » ; Paris, 1887 ; p. 92, 186, 198
[vi] Molis Robert : « les Francs-Tireurs et les Garibaldi » ; Editions Tyrésias, 1995
[vii] Il semble que ce soit Châtillon, comme le dit le maire, M. Misset
[viii] Garibaldi Ricciotti : op. cit.
[ix] Article paru dans le Daily-News : « Notes from Dijon », Tuesday, February 7, 1871 ; in “Dormoy”,
[x] Porciani Ilaria : « les historiennes et le Risorgimento » ; Mélanges de l’école française de Rome, tome 112-1, 2000