1919-1939 : vingt ans de trêve en Europe . L’Europe démocratique : de l’affrontement à l’apaisement 1919-1929
Publié le 27 Janvier 2020
TROISIÈME PARTIE
Réorganisation de la Mitteleuropa.
De nouveaux Etats dans de nouvelles frontières : écarter les extrêmes, vivre la démocratie, gérer les différences.
Quand les soldats rentrent chez eux, surtout ceux qui ont combattu sur les fronts de l’est, beaucoup ont en tête un nouveau modèle de société : la république des soviets qui trouve son origine dans des conseils de soldats et d’ouvriers.
C’est ressenti comme un vrai danger chez les vainqueurs animés par une idéologie démocratique et libérale.
L’Europe aurait pu basculer du côté du collectivisme.
Les débuts difficiles de la République de Weimar (Allemagne).
Berlin, la révolution spartakiste (1919), le putsch de Kapp (1920).
L’année 1918 est marquée par un mécontentement général, des grèves violentes et des mouvements insurrectionnels accompagnés par l’élection de conseils d’ouvriers et de soldats[1].
La mutinerie des marins de Kiel qui refusent de participer à un baroud d’honneur contre la Royal Navy met le feu aux poudres (30 octobre).
Après des manifestations violentes où mutins de la marine et ouvriers des arsenaux s’opposent aux forces chargées du maintien de l’ordre (7 morts et 29 blessés), la ville de Kiel tombe entre les mains des insurgés.
Le mouvement se propage dans d’autres villes où des conseils de soldats et d’ouvriers[2] sont créés dans toute l’Allemagne du nord-ouest.
Le 7 novembre, la république est proclamée en Bavière.
Le 8 novembre la révolution gagne la Saxe, la Hesse et le Wurtemberg. Les princes abdiquent, suivis le 9 novembre par l’empereur Guillaume II[3]
qui se réfugie aux Pays-Bas tandis que le chancelier, Prince Max de Bade abandonne le pouvoir au chef du parti socialiste (SPD) Friedrich Ebert (1871-1925).
Le même jour, Philip Scheidemann(1865-1939)...
...proclame la « Première République de Weimar » du balcon du Reichstag, alors que le même jour Liebknecht proclame la République libre socialiste du balcon du Château de Berlin.
Les socialistes qui disposent du pouvoir sont divisés en :
- Le SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) bien que marxiste à l’origine est désormais réformateur. Ses chefs veulent que le peuple élise une assemblée constituante.
- L’USPD (Unabhängige Sozialdemokratische Partei Deutschlands) indépendant car pacifiste ; opposé à la guerre, plus à gauche, comprend des réformistes et des révolutionnaires. Au sein de l’USPD, les Spartakistes veulent installer une dictature du prolétariat, à l’image des bolchevicks, le pouvoir étant exercé par des conseils d’ouvriers et de soldats.
Le gouvernement provisoire qui prend le nom de "Conseil des Commissaires du Peuple" comprend des membres du SPD et de l’USPD. Les spartakistes n’en font pas partie.
Il prend rapidement des décisions populaires : suffrage universel en Prusse, fin de l’état de siège, droit de réunion et d’association, signature de l’armistice.
Ebert son président refuse l’aide alimentaire de Lénine mais négocie avec les Américains.
Hindenburg promet l’aide de l’armée pour réprimer les insurrections spartakistes possibles.
Le ralliement de l’armée au nouveau gouvernement rassure les classes moyennes.
Cet accord sera plus tard considéré comme une trahison de la part d’Ebert.
Le Congrès national des conseils d’ouvriers et de soldats décide le 16 décembre de se rallier à la proposition des réformistes qui consiste à faire élire par le peuple une assemblée constituante. L’élection est prévue en janvier 1919.
En décembre des combats sanglants entre marins acquis aux révolutionnaires et troupes régulières, assistées de « corps francs ».
Ier janvier 1919 : création du Parti Communiste d’Allemagne (KPD). Le KPD, contre l’avis de Rosa Luxembourg décide de boycotter les élections de la constituante.
Début janvier, des manifestations conduisent à l’occupation par les KPD et les Spartakistes de journaux et de bâtiments publics.
Le 12 janvier, les insurgés sont écrasés. Le 16, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, les leaders du mouvement spartakiste sont arrêtés et assassinés par des militaires.
Les militaires criminels seront condamnés à des peines légères par un tribunal militaire.
Le 19 janvier 1919 l’assemblée constituante est élue. La gauche n’a pas eu le temps de s’organiser.
La majorité est constituée du SPD (45% des suffrages), le parti démocrate (droite libérale avec Stresemann) et le Zentrum (catholique), les partis majoritaires de l’ancien Reichstag.
Ebert est élu président de la nouvelle république.
La nouvelle assemblée constituante se réunit à Weimar pour éviter le climat insurrectionnel de Berlin.
La nouvelle constitution est adoptée le 31 juillet 1919.
La République des Conseils de Bavière.
A Munich, comme dans d’autres villes, des conseils de soldats et d’ouvriers se sont formés.
Le 7 novembre, à l’occasion d’une manifestation en faveur de la paix, Kurt Eisner, membre de l’USPD, juif et pacifiste, incite les manifestants à se rendre maitre des administrations.
Les troupes ne réagissent pas et l’opération réussit facilement. Le roi Louis III (Wittelsbach) s’enfuit.
Un conseil de soldats et d’ouvriers confie le pouvoir à Karl Eisner.
Le « gouvernement » d’Eisner, peu compétent, ne parvient pas à ramener le calme et à assurer le ravitaillement des villes et notamment de Munich.
Il est désavoué lors des élections du Landtag le 12 février 1919. Le SPD y dispose d’une majorité et nomme un nouveau président, Johannes Hoffmann .
Suit une période confuse et violente où Conseils d’ouvriers et Landtag s’efforcent d’agir en tant qu’autorité légitime.
Eisner est assassiné le 21 février.
Début mars, le Landtag nomme Johannes Hoffmann comme chef du gouvernement. Celui-ci ne réussit pas à rétablir l’ordre.
Début avril, galvanisés par l’annonce de la création d’une République des Conseils en Hongrie, les conseils d’ouvriers et de soldats d’Augsbourg et de Munich proclament alors la République des Conseils de Bavière.
A sa tête, Ernst Troller, poète de 25 ans. Rapidement le groupe d’amateurs qui l’entoure perd toute crédibilité.
Après des heurts sanglants avec des troupes relevant du gouvernement de Hoffmann, des membres du KPD (Communistes) prennent le pouvoir avec à leur tête deux russes juifs : Eugen Leviné et Max Levien (13 avril).
Le parti communiste tout nouveau ne dispose que de très peu de membres et n’a aucun soutien auprès de la population rurale et peu de la population urbaine.
Munich est sans autorité. Le pillage et le désordre y règnent.
Le 23 avril les troupes gouvernementales se lancent à l’assaut de Munich. Les combats durent jusqu’au 3 mai.
Bilan de l’opération : entre 600 (estimation officielle) et 1200 victimes.
Eisner est assassiné ; Leviné est fusillé début mai ; Troller après quelques années en prison s’exile aux USA où il poursuit une carrière d’auteur de théâtre et se suicide en 1941 ; Levien se réfugie en URSS où il est liquidé au moment des purges.
L’aventure de la République des Conseils de Bavière dirigée en grande partie par des intellectuels juifs a contribué à accréditer la thèse du coup de poignard dans le dos et à développer l’antisémitisme.
Conseil de soldats et d’ouvriers de Strasbourg.
Un conseil d’ouvriers et de soldats est créé à Strasbourg début novembre 1918.
Du 9 au 20 novembre un comité révolutionnaire siège au Palais de Justice.
Le 13 novembre le drapeau rouge flotte sur la cathédrale. Pour la plupart, le mouvement est une mascarade.
Le 20 novembre les troupes françaises entrent dans la ville et mettent fin à cette situation révolutionnaire.
Les tentatives de coups d’Etat nationalistes.
Le gouvernement de Ebert[4] fait face à une situation difficile.
Le peuple allemand n’a pas l’impression d’avoir été battu.
Les troupes sont rentrées dans leurs casernes avec leurs armes et en ordre.
Les conditions du traité sont sévères. La signature de l’armistice est le fruit d’un coup de poignard dans le dos dont les partis de gauche et les juifs sont les responsables.
Des mouvements nationalistes appuyés sur des forces paramilitaires bénéficiant du concours plus ou moins affiché de l’armée, tentent de prendre le pouvoir par la force. La première tentative de cet ordre est le putsch de Kapp.
Le putsch de Kapp (mars 1920) à Berlin
En mars 1920, à l’initiative du député au Reichstag Wolfgang Kapp(1858-1922) :
appartenant au parti de la patrie (Deutsche Vaterlandspartei ) et du général von Lüttwitz :
un coup d’Etat est monté avec le concours d’un corps franc, le II-Marine Brigade[5].
Le 13 mars le corps franc entre dans Berlin et occupe les bâtiments gouvernementaux.
Le gouvernement d’Ebert s’enfuit à Dresde. Le chef de la Reichswehr refuse de faire tirer sur les membres du corps franc.
A la demande du gouvernement une grève générale est lancée par les syndicats et les partis de gauche.
En 4 jours, la grève désorganise le pays. La bourgeoisie et les milieux d’affaires ne soutiennent pas les insurgés et la Reichsbank refuse de financer les troupes rebelles.
Kapp doit s’enfuir, le général von Lüttwitz également. Les mutins seront jugés et amnistiés (août 1924).
D’autres insurrections nationalistes liées à l’occupation de la Rhénanie ou de la Ruhr auront lieu au cours des années suivantes, notamment le putsch raté d’Hitler en novembre 1923 à Munich.
Ce point sera abordé ultérieurement dans le chapitre portant sur les relations franco-allemandes.
[1]Arbeiter und Soldatenräte.
[2]A la différence de ce qui s’était passé en Russie, ces conseils ne sont pas dominés par le parti communiste qui n’existe pas encore.
[3]Guillaume II (1859-1941)
[4]Friedrich Ebert (1871-1925) est issu d’un milieu modeste. Son père est tailleur ; lui-même est un temps bourrelier. Il fait toute sa carrière au SPD dont il devient le chef en 1913. Il est opposé à toute révolution mais croit au réformisme. Il entretient des relations étroites avec le grand état-major. Elu président de la République en 1919, il le restera jusqu’à la fin de sa vie. Son successeur est le maréchal Hindenburg.
[5]Ce corps- franc avait vu le jour au moment des mutinerie de Kiel. Des officiers de marine avaient constitué une petite unité qui s’est opposée les armes à la main aux mutins. Par la suite de nombreux volontaires l’ont rejointe. Les alliés demandent la dissolution de cette unité. Le gouvernement Accepte. Cela déclenche la tentative de Putsch. La brigade est dissoute à la suite du putsch manqué de Kapp.