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Souvenirs de la vie du Père Achille Caillet lors de ses missions à Ceylan (2)
Épisode II
Aussitôt les questions recommencent.
Pauvres chers anciens missionnaires ! Si les cinq années de guerre et d’occupation nous ont paru longues comme une éternité, elles ont dû l’être aussi pour ceux qui ont peiné, tenu sur le front des âmes et sont tombés au champ d’honneur des missions, sans nouvelles, sans renforts.
Et comme on est content d’être le premier renfort !
Depuis l’entrée en guerre jusqu’à notre arrivée, 21 Pères sont morts et nous ne sommes que 2 à arriver ! Mais ça suit et d’autres viendront.
On parle, on parle…On leur demande aux anciens, si la langue du pays est difficile à apprendre, s’il y a beaucoup de serpents etc… et nos questions les font rire.
Mais voici l’heure du déjeuner, et là, ils vont rire encore davantage à nos dépens.
Des plats de toutes les couleurs de l’arc en ciel circulent avec le riz.
On nous dit : « ceci est fort, ceci est très fort, ceci ne brûle pas la langue… » une foule de bons conseils. Mais on veut être braves et…se lancer à l’eau ou plutôt essayer de tous les caris, car c’est le nom de tous ces plats bizarres qui vous étonnent par leur variété.
Naturellement on se brûle la langue, tant les épices sont fortes (imaginez que vous avalez le contenu du poivrier) et les larmes viennent aux yeux. Tout le monde rit, et nous aussi, mais on rit jaune.
On avale de grands verres d’eau pour essayer de faire passer cette sensation de charbon brûlant que vous avez dans la bouche, (comme l’eau est bonne à Ceylan !) mais c’est peine perdue.
Ce sont les bananes et les ananas qui nous sauvent et, après le dessert, tout rentre dans l’ordre.
L’après-midi, on visite l’immense propriété appelée « Borella ». Je vous disais que Borella était le quartier général de l’église catholique à Ceylan.
En effet on y trouve, rassemblés autour de l’archevêché, le petit séminaire avec 150 élèves
de l’autre côté le grand séminaire avec 20 élèves...
la centrale administrative de toutes les écoles catholiques du diocèse et enfin la presse catholique qui imprime deux hebdomadaires en Anglais et en Cingalais et toutes sortes d’autres publications.
Un aspect des constructions et bâtiments à Ceylan auquel on met un certain temps à s’habituer est d’avoir immédiatement sur vos têtes le toit nu avec ses tuiles et ses poutres sans plafond intermédiaire. Ordinairement les bâtiments sont tout en surface, pas d’étage, c’est beaucoup plus sain et moins chaud.
Ceux qui construisent un étage sont obligés souvent de recourir aux ventilateurs, ce qui représente une assez grosse dépense.
Le soir arrive. Vers 6 heures, une énorme averse tombe pendant 20 minutes et aussitôt le soleil recommence à luire de son plus bel éclat sur les feuilles des bananiers, comme si de rien n’était avant de se coucher très vite.
La nuit ici arrive en un quart d’heure. Les lucioles, mouches phosphorescentes commencent à danser et à tracer des sillons lumineux dans la nuit.
Les étoiles brillent, bien plus nombreuses que chez nous. On sent la nuit plus solennelle et plus mystérieuse.
Elle doit l’être bien davantage encore, là-bas au fond de la jungle.
Après les exercices de piété de la soirée, le dîner et la récréation, on a hâte d’aller se reposer. Cette chaleur nous assomme et l’on se sent moins alerte, moins énergique.
C’est comme si l’on avait à traîner un poids et c’en est un en effet.
La question du couchage est d’une simplicité évangélique à Ceylan, non pas par vertu, mais par nécessité.
On n’aurait que faire de couvertures, édredons etc…
Le lit consiste en un cadre de bois tendu de cordelettes tressées .
Vous étendez une natte là-dessus, vous vous enroulez dans un drap et en route pour le pays des rêves derrière la moustiquaire que vous avez bien eu le soin de vérifier.
Car s’il y a le moindre petit passage, les moustiques porteurs de malaria finiront par le trouver, tant ils sont avides de sang frais de jeunes Européens tout nouveau débarqués.
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