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"Quelques chanoinesses du Châtillonnais", un notule d'Histoire de Dominique Masson
Par Christaldesaintmarc dans -Les "Notules d'histoire" de Dominique Masson le 10 Juillet 2020 à 06:00Un "Notule d’histoire châtillonnaise" par Dominique Masson que je remercie au nom de tous les lecteurs pour toutes ses recherches passionnantes sur l'histoire du Châtillonnais.
Quelques chanoinesses du Châtillonnais
Si l’on connaît ce que sont les chanoines, on connaît moins ce que sont les chanoinesses, d’autant qu’il y a deux familles distinctes, comme pour les chanoines.
Né à la fin du Ve siècle, Benoît de Nurcie, après une vie d’ermite, devint l’abbé d’une communauté et fut le fondateur de l’ordre des bénédictins.
Ayant constaté que sa communauté ne respectait pas la règle de saint Pacôme, qui avait organisé les premières communautés religieuses, il édicta une règle rigoureuse ; ainsi, ayant inspiré largement le monachisme occidental ultérieurement, il est souvent considéré comme le patriarche des moines d’occident.
Ceci donnera naissance aux réguliers. Au IXe siècle, saint Benoît d’Aniane reprit cette règle. Mais au haut moyen-âge apparaîtront des chapitres de chanoines, religieux regroupés autour de l’évêque pour le conseiller ou désirant vivre en communauté, mais au contact des laïques : les séculiers.
En même temps, apparaîtront des chapitres de chanoinesses car, depuis l’apparition du christianisme, des femmes vierges ou veuves se consacraient à la religion, « servantes »de l’Eglise, aidant aux préparations des cérémonies religieuses ou assistant les prêtres pour la vie de tous les jours.
Le concile de Ver, en 755, imposa une vie régulière à toutes les femmes consacrées et le cinquième concile d’Aix-la-Chapelle, en 817, publia deux ordonnances, l’une concernant les chanoines, l’autre les chanoinesses.
Celles-ci étaient astreintes à la récitation des heures canoniales, devaient mener une vie communautaire (réfectoire et dortoir communs) et observer l’égalité des conditions, mais il y avait aussi quelques dispositions particulières : elles pourraient avoir des servantes, des habitations particulières « le jour », et un contact réduit et réglementé avec des hommes. Cependant l’efficacité de ces « réformes » fut médiocre.
Il était difficile de distinguer les moniales des chanoinesses.
Il existe des moniales bénédictines, qui auraient été instituées au VIe siècle par sainte Scolastique, sœur de saint Benoît.
Le prieuré de Jully-les-Nonnains (Yonne ; là la sœur de saint Bernard, Hombeline, y fut prieure) fut fondé en 1115.
D’autres vont se référer à une lettre de saint Augustin d’Hippone, donnant des normes de vie religieuse commune (lui-même avait vécu comme moine avant d’être appelé à assumer la charge d’évêque de sa ville d’Afrique du Nord) ; de là naîtront les Augustines, suivant la règle que saint Augustin donna à un monastère fondé par sa sœur à Hippone ; elles se vouaient à la garde des malades et au service des hôpitaux.
Plus tard, existeront des cisterciennes, vouées au silence, aux prières, à la méditation et au travail manuel (la première abbaye féminine cistercienne étant celle de Tart, fondée en 1132, en Côte d’Or ; la première abbesse vint de Jully).
Il y aura également des chanoinesses régulières.
Par exemple, on trouve les chanoinesses du Latran dès le haut moyen-âge, les chanoinesses régulières du Saint Sépulcre, ayant pour but le chant de l’office choral pour réciter les heures canoniques, fondées en 1114, ou les chanoinesses régulières hospitalières de la miséricorde de Jésus, mentionnées pour la première fois en 1285.
Le concile du Latran obligea, en 1215, tous les monastères à se rattacher à l’une ou à l’autre des deux règles de saint Benoît et de saint Augustin.
Les chanoinesses séculières, soucieuses de leur origine bénédictine et ne voulant en aucun cas être assimilées aux chanoinesses régulières, se placèrent dans l’ordre de saint Benoît, mais sans appliquer la règle.
La papauté ne put supprimer ces abbayes et ne sut où les ranger ; elle dut alors s’en accommoder.
Egalement certaines abbayes glissèrent lentement dans le groupe des abbayes nobles séculières.
Ces abbayes ou prieurés se trouvaient surtout dans l’est de la France actuelle (par exemple, Montfleury, près de Dijon), dans les Flandres, le duché de Lorraine et en Franche Comté, terres ayant longtemps relevé du Saint Empire germanique, ou dans le Lyonnais et l‘Auvergne.
Cette trentaine de chapitres nobles avaient plusieurs particularités : d’abord, elles furent réservées aux familles nobles, et plus particulièrement aux filles de comtes.
D’autre part, bien que dirigées en général par une abbesse, les femmes reçues là menaient une vie assez éloignée d’une règle : elles n’étaient pas tenues à prononcer de vœux (sauf exception, par exemple pour la prieure) et avaient la possibilité de quitter l’abbaye pour se marier ; elles suivaient une liturgie canoniale peu stricte ; elles étaient autorisées à de longues absences et pouvaient avoir un contact régulier avec des gens du siècle ; elles avaient une habitation particulière à l’intérieur de l’enceinte de l’abbaye ainsi que du personnel.
Et enfin, elles avaient des revenus particuliers, sous forme de prébende, c’est-à-dire qu’elles percevaient une partie des revenus provenant des recettes de l’abbaye[i] ; aussi ces places de chanoinesses étaient-elles fort recherchées pour certaines familles nobles, quelque peu désargentées (mais elles perdaient cet avantage si elles se mariaient).
On parvenait à en avoir une par rang d’ancienneté.
Souvent, cette prébende se transmettait entre femmes de la même famille.
Outre les frais de réception et l’entretien des chanoinesses, la famille devait leur construire une maison, mais cette dépense était rentabilisée, car les chanoinesses-les « tantes »- pouvaient adopter des « nièces », qui héritaient de la maison et du mobilier de leur tante.
L’une de ces chanoinesses fut Sophie Françoise Marie le Compasseur de Créqui-Montfort.
Elle était fille de Gaspard le Compasseur et d’Elie Elisabeth de Fussey.
Son père, marquis de Courtivron, après une carrière militaire où il fut fait chevalier de Saint Louis, se consacra aux sciences et fut élu à l’Académie royale des Sciences en 1744, comme « mécanicien » ; entre autre, il rédigera, avec Bouchu, « l’art des forges et fourneaux à fer ».
Devenu veuf, il se remaria, en 1759, à Elie Elisabeth de Fussey.
Celle-ci, avant son mariage, était chanoinesse au prieuré d’Alix.
Ce prieuré bénédictin, fondé vers le IXe siècle au sud du beaujolais, entre Villefranche et Lyon, a évolué ensuite en chapitre noble de chanoinesses, confirmé par lettres patentes de Louis XIV en 1753, et dirigé par une prieure.
En 1780, le prieuré devint une abbaye. Ce chapitre était composé de la meilleure noblesse de la province[ii].
Les jeunes filles, après s’être justifiées de 8 degrés de noblesse paternelle, recevaient le titre de « chanoinesse-comtesse » ; elles étaient vêtues de noir et portaient une croix d’or émaillée à huit pointes pommetées, surmontée d’une couronne de comte ; au milieu, un médaillon représentait, d’un côté la Vierge et, de l’autre, saint Denis.
A l’âge de 25 ans, elles choisissaient de retourner vivre dans la société avec laquelle elles n’avaient pas rompu les liens, ou prononçaient des vœux et, dès lors, pouvaient bénéficier d’une partie des revenus du chapitre.
Devenues alors chanoinesses professes, propriétaires de la maison que leur famille s’était engagée à faire construire dans l’enceinte du chapitre, elles conservaient jusqu’à leur mort un mode de vie mi- religieux, mi- mondain.
[i] A Neuville, pour les 19 chanoinesses, il y avait 20 prébendes, la prieure en ayant deux. Les prébendes leur étaient payées, « partie en denrées, partie en argent ».
[ii]Stéphanie Félicité Ducrest de Saint-Aubin, devenue par son mariage comtesse de Genlis, n’avait que six ans quand, en 1753, elle fut reçue chanoinesse au chapitre d’Alix
La famille d’Elie Elisabeth est connue depuis le XIVe siècle. Son père, François de Fussey, est marquis de Sérigny, comte de Menessaire, seigneur de Chissey, Lamotte, l’Abergement, Verdun et autres lieux ; il est devenu aussi seigneur d’Ebaugis par son mariage avec Anne Marie Jérôme Nuguet de Baugis.
Aussi, après examen de tous ses quartiers de noblesse, Elie Elisabeth entrera au prieuré le 5 avril 1746.
Elle y sera présente jusqu’en 1758. Le 26 novembre 1759, elle épousait, à Reclesne (Saône et Loire aujourd’hui), Gaspard le Compasseur.de Créquy Montfort, dont les ancêtres avaient des attaches avec des familles châtillonnaises.
Elle eut avec lui trois fils et une fille, Marie Sophie, née à Is-sur-Tille le 30 juin 1764. Cette dernière devint aussi chanoinesse d’Alix et, à l’âge de 10 ans et demi, le 3 novembre 1774, entrait au prieuré.
Mais, avec la Révolution, le chapitre fut dissous en 1791.
Il est probable que Sophie rentra chez elle, avant d’épouser, en 1794, Jean-Baptiste Tiffet, directeur des domaines et contributions, dont elle aura deux filles[i].
Elle va décéder le 7 juillet 1833, à Châtillon, rue du Bourg-à-Mont, probablement chez l’une de ses filles, Eugénie Sophie, qui avait épousé en 1820, Etienne François Jean Campora, comte de Pezzana, qui était directeur des contributions indirectes.
[i]Honorine Augusta et Eugénie Sophie (25/7/1795, Vienne ; 19/6/1847, Avallon) qui épousa en 1820 Etienne Campora, comte de Pezzana
La deuxième chanoinesse est plus connue : c’est Victorine de Chastenay.
Louise Marie Victoire est née à Paris, le 11 avril 1771.
Son père, Erard Louis Guy, comte de Chastenay, après une carrière militaire où il a été fait chevalier de Saint Louis, s’intéressa à la diplomatie ; mais, bloqué dans son avancement par Vergennes, il se retira sur ses terres d’Essarois, où il était né.
Il avait épousé à Paris, le 30 janvier 1770, Catherine Louise, fille du marquis d’Herbouville.
Ils auront deux enfants, Henri Louis et Victoire, qui se fera appeler Victorine.
Elle aussi deviendra chanoinesse, comme plusieurs autres femmes de sa famille avant elle.
Sa grand-mère paternelle, Louise Anne Elisabeth Le Bascle d’Argenteuil, fut chanoinesse de Remiremont[i].
Mais c’est à Epinal que Victorine fut reçue, car l’une de ses parentes proches, Marie Louise Victoire Le Bascle d’Argenteuil, « nommée le 18 septembre 1771, apprebendée le 3 août 1772 », fut élue abbesse du lieu le 11 décembre 1784 (abbesse du 9 mai1785 à 1788)[ii].
[i] Selon Jean Kastener, l’une des ancêtres de Victorine, Humberte de Chastenay, fut élue le 9 mai 1580 abbesse de Remiremont, en remplacement de Renée de Dinteville décédée, mais cette dernière avait résigné en faveur de Barbe de Salm ; le pape Grégoire XIII déclara cette élection nulle et laissa la crosse aux mains de cette dernière.
[ii] D’autres membres de cette famille furent chanoinesses comtesses d’Epinal : Catherine Eléonore, fille de Louis Le Bascle, comte d’Epineuil, fut abbesse en 1728, et sa sœur, Louise Françoise, chanoinesse à Remiremont, puis à Epinal
Du fait de cette élection et par suite du décès d’une chanoinesse, survenue le 30 novembre 1784, deux des stalles capitulaires se trouvaient vacantes.
C’est alors que M. et Mme de Chastenay sollicitèrent du chapitre, pour leur fille, l’une de ces prébendes.
Le chapitre d’Epinal aurait été fondé pour abriter les reliques de saint Maurice et saint Goëry ; le monastère était alors composé de bénédictins mais, ayant peu prospéré, il fut rapidement remplacé par un couvent de moniales.
Vers le XIIIe siècle, celles-ci abandonnèrent la règle bénédictine pour se constituer en chapitre de dames nobles.
Le titre abbatial fut maintenu jusqu’à la Révolution et fut l’un des quatre grands chapitres nobles de Lorraine.
La collégiale saint Goëry était leur église et le cloître et les maisons canoniales étaient resserrées autour, dans une sorte d’enclos privé.
La communauté, soumise directement au pape, se composait d’une abbesse, d’une doyenne et de vingt dames chanoinesses (dont une doyenne, une secrète et quatre chantres), plus quatre chanoines séculiers n’ayant pas voix au chapitre.
Le règlement du chapitre faisait une obligation morale aux chanoinesses de respecter la morale chrétienne, en observant une certaine pudeur, leurs lectures devaient être édifiantes ou instructives et elles devaient assister aux offices, revêtues de leurs costumes de chanoinesses.
En outre, il leur fallait administrer l’hôpital Saint Goëry et s’occuper du « bouillon des pauvres ».
Mais l’appartenance au chapitre d’Epinal était prestigieuse et les candidates devaient justifier de leur noblesse ; jusqu’en 1761, les dames exigeaient 16 quartiers de noblesse (quatre lignes paternelles et 4 lignes maternelles), mais ensuite, il fallait apporter la preuve de noblesse d’épée sur 8 générations, en ne retenant que la filiation masculine du père et de la mère.
Si, pour les familles aristocratiques aisées, la charge de chanoinesse apportait un certain prestige, pour d’autres, moins aisées, l’octroi d’une prébende était financièrement intéressant et permettait d’éviter un mariage avilissant, en accédant à une « bonne situation » au sein de l’Eglise.
Ce fut le cas pour Victorine.
Le 4 janvier 1785, l’abbesse informait le chapitre de la candidature posée par mademoiselle de Chastenay, mais la réception n’eut lieu que le 10 octobre suivant, après les délibérations capitulaires et la présentation et l’examen des preuves de noblesse.
Elle a raconté cette réception dans ses mémoires :
Une de mes tantes, Mme d’Argenteuil, cousine germaine de mon père, devint abbesse d’Epinal, et maman, qui avait beaucoup contribué au succès qu’elle obtint alors, lui demanda pour moi sa place, que sa nomination rendait vacante.
J’avais alors quatorze ans, et mes parents me menèrent au chapitre afin d’y être appréhendée.
C’était une cérémonie qui tenait de la chevalerie et de l’institution monastique.
Les preuves de noblesse, qui dans ce chapitre étaient une filiation paternelle de huit nobles d’épée, et autant du côté maternel, étaient discutées et admises par les généalogistes du chapitre ; elles étaient jurées et publiées à la cérémonie par trois chevaliers dont les noms avaient été prouvés dans les admissions de leurs parentes.
L’appréhendée leur présentait en reconnaissance un nœud d’épée.
Je me souviens qu’à l’heure de vêpres tout le chapitre (ces dames étaient vingt en tout), se rendit à la maison de ma tante pour m’y prendre ; j’avais une robe noire.
L’un des chevaliers me donna la main ; la musique de la garnison précédait.
Quand nous fûmes dans le chœur de l’église, on me fit mettre à genoux ; l’abbesse me dit : « Que demandez-vous, ma fille ? » Réponse : « le pain et le vin de saint Goëry (patron du chapitre), pour servir Dieu et la sainte Vierge ».
On me fit manger un biscuit, mouiller mes lèvres dans une coupe ; on me passa le grand cordon bleu, avec la croix au bout, le long manteau bordé d’hermine, l’aumusse[i], le voile noir ; tout me fut remis en un instant.
On chanta le Te Deum, puis le cortège revint dans le même ordre, et un bal s’ouvrit chez ma tante.
Je m’amusai beaucoup à ce bal et à ceux qui se succédèrent dans les quatre ou cinq jours de mon séjour à Epinal.
La cérémonie me fit pleurer, parce que maman y pleura ; mais la danse me consola bien vite.
J’étais pour le coup l’objet principal, et de droit ; j’avais des succès au bal, pour la première fois peut-être, car je n’ai jamais ni très bien ni très mal dansé.
Le plus beau danseur du régiment de Noailles, M. Alexis du Haute, âgé de dix-huit ou dix-neuf ans, me priait aux plus belles contredanses ; ce petit hommage me fut assez sensible…
Ce fut une assez heureuse prévoyance de la part de mes parents, que cet établissement chapitral, qui m’a fait appeler madame et m’a figuré un état…[ii] »
[i]aumusse : cape ou pèlerine de fourrure, à capuchon, adoptée par les chanoines et les chantres, au moyen-âge ; ensuite, ils le portaient ordinairement sur le bras.
[ii] Mémoires, p. - Chastenay (madame de) : Mémoires, 1771-1815 ; 2 tomes ; publiés par Alphonse Roserot ; Paris, Plon, 1896
Cette institution, comme les autres institutions religieuses, fut condamnée à disparaître avec le décret du 2 novembre 1789, mettant les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation.
Les chanoinesses tentèrent de résister, continuant de célébrer leur office, revêtues de leurs insignes.
Finalement, le 4 janvier 1791, les administrateurs du directoire du district leur intimèrent de quitter l’église.
A cette date, les revenus du chapitre s’élevaient à 43 000 livres, dont presque la moitié allait à l’abbesse.
En échange, les chanoinesses reçurent de l’Etat une pension.
Quant à Victorine, malgré de nombreux prétendants, elle ne se maria point, mais on continua à l’appeler Madame ; elle écrit dans ses Mémoires, parlant de Lebrun, le troisième consul : « Je crois que je fus pour M.Lebrun une espèce d’animal rare.
Une demoiselle appelée Madame, paraissant plus jeune que son âge, et jeune encore cependant, connaissant tout le monde… ».
Elle mourut à Châtillon, le 9 mai 1855, dans sa maison rue du Congrès ; ainsi disparut la dernière chanoinesse d’Epinal.
Une autre maison de chanoinesses avait une renommée nationale, c’était celle de Neuville-les-Dames, en Bresse (dans l’Ain aujourd’hui).
Au haut moyen-âge, le village fut la possession de l’abbaye de Saint-Claude et un prieuré d’hommes, dépendant de cette abbaye y fut installé, pour s’occuper du spirituel comme du temporel.
Au milieu du XIIe siècle fut créé un monastère bénédictin de femmes, dépendant du monastère bénédictin d’hommes de Saint-Claude.
Ces religieuses, appelées chanoinesses régulières, vivaient là sans clôture et ayant chacune une maison séparée.
Elles furent sécularisées, en 1755, en chapitre noble de chanoinesses comtesses, en vertu d’une bulle du pape Benoît XIV.
Louis XV leur accorda le titre de « comtesses » et elles se mirent sous la protection de l’archevêque de Lyon.
Les titres de prieure, de chantre, de sacristaine, de cellérière et d’infirmière furent éteints et supprimés, remplacés par ceux de doyenne, de chantre, de secrète ou sacristaine, entourées de dix-neuf chanoinesses prébendées, le chapitre ayant un certain nombre de revenus, en argent ou en terres.
Aucune demoiselle ne pouvait être reçue si elle n’avait obtenu un brevet d’expectative.
Cette sécularisation entraîna l’arrivée des représentantes des plus grandes familles de France, et même au-delà[i], mais les frais pour les familles étaient importants.
Les frais de réception s’élevaient à 2 000 livres, la pension était de 800 livres par an, plus 900 livres pour la table.
Acquérir une adoption ou un emplacement dans le chapitre coûtait de 20 000 à 30 000 livres et, si l’on était obligé de construire sur un emplacement, la dépense pouvait aller jusqu’à 40 000 livres ( au chapitre d’Alix, les frais de réception étaient de 1 000 livres, bâtir une maison coutait environ 15 000 livres, mais elles devaient justifier d’une pension de 1 200 livres par an).
Ainsi, 25 maisons virent le jour, autour des églises et de la salle capitulaire. Parmi celles-ci se trouvait la maison de Chastenay(numéro27 sur le plan).
[i] Par exemple, Sophie de Grouchy, admise au chapitre en 1784, en ressortit en avril 1786 pour épouser le philosophe-mathématicien Condorcet et tint un salon important. La maison numéro 11 était celle de Lévy de Mirepoix ; celle du numéro 10, la maison de Berbis. On trouve la maison de Saxe, au numéro 25
En 1771, on trouve, comme chanoinesse non prébendée, Louise Charlotte de Chastenay-Lanty et, comme expectative, reçue, Marie Charlotte de Chastenay de Bricon.
Celle-ci fut plus tard chanoinesse d’honneur et se maria, en 1779, à Amable Gabriel Louis François de Maurés de Malartic, comte de Montricoux[i].
Elle est décédée à Châtillon, rue au Lait.
Mais il y a surtout les filles de Joseph Auguste de Chastenay, comte de Lanty, seigneur d’Essarois, marié à Anne Louise Elisabeth Le Bascle d’Argenteuil, chanoinesse-comtesse de Remiremont, grands-parents de Victorine[ii].Jeanne Henriette Félicité[iii] est chanoinesse de Neuville, comme sa sœur Marie Louise Agathe, qui se maria au comte du Deffand en 1766 [iv].
Quant à Marie Louise Charlotte, non prébendée en 1778, ce doit être une autre sœur, née en 1743 [v].
Elle est secrète en 1789.
En 1793, elle est toujours à Neuville, alors que la plupart des autres chanoinesses avaient regagné leur famille ou avaient émigré.
Elle fut incarcérée le 12 avril 1793, mais libérée le 14 mai, en vertu d’un décret du département du 10 mai 1793.
Une autre famille a aussi sa maison à Neuville, la famille de Damas (numéro 28 du plan [vi]).
Lors de la sécularisation, en 1755, la prieure était Suzanne de Damas du Rousset, âgée de 65 ans.
Comme les demandes d’admission affluaient au nouveau chapitre noble, on décida de construire la salle capitulaire à l’emplacement de l’antique maison de madame Damas de Ruffey (numéro 3 du plan[vii]) et on décida de construire une série de demeures dans les jardins du prieur et de l’aumônier.
Les deux premières maisons construites, symétriques, avec deux escaliers accolés, furent celles de Damas et de Chastenay.
[i] Amable de Montricourt : 1729-1805. Il fut premier président au conseil souverain du Roussillon. Marie Charlotte, née le 18 mai 1747 à Bricon (52), mourut le 15 novembre 1839 à Châtillon. Elle était la fille du marquis Pierre François Hubert, marquis de Chastenay, et de Marie Armande deHumes de Cherisy
[ii]Le mariage est du 29 septembre 1738. On trouve aussi Marie le Bascle d’Argenteuil comme chanoinesse honoraire de Neuville, en 1789 ; Anne Gabrielle (née le 5 novembre 1759), fille de Jean Louis Le Bascle, fut aussi chanoinesse à Neuville. Dans une autre branche, la fille d’Edme Charles Le Bascle, seigneur de Courcelles et Montliot, Marie, chanoinesse à Neuville, décéda à Châtillon, le 18 novembre 1787, âgée d’environ 58 ans (Edme Charles avait eu Courcelles par son mariage avec Edmée Duret).
[iii] Née le 9 juin 1749 à Essarois, mais il n’a pas été possible de trouver la date de son décès et si elle a été mariée
[iv] Elle est née à Essarois, le 5 février 1742 et décédée en 1818. Elle épousa le comte du Deffand à Essarois, le 22 décembre 1766
[v] Elle est née le 18 mai 1743, à Essarois
[vi] La maison numéro 13 était celle de Damas-de Varennes
[vii] Probablement Madeleine de Damas de Ruffey, chanoinesse comtesse, décédée à Paris le 22 février 1763
Plusieurs membres des différentes branches de la famille de Damas furent chanoinesses.
En 1771, Marie Antoinette de Damas de Vellerot est chanoinesse d’honneur et Catherine Charlotte de Damas de Courcelles chanoinesse en expectative ; en 1789, Marie Claudine de Damas est chanoinesse honoraire.
Dans la branche de Lugny, Claudine Jeanne de Damas est secrétaire en 1771.
Dans la branche de Cormaillon, Charles de Damas épousa Gabrielle Marguerite de Sarsfield, chanoinesse de Neuville.
Deux de ses sœurs, Catherine Charlotte et Agnès Esprit de Damas, furent chanoinesses et ne se marièrent pas.
Toutes les deux sont décédées à Châtillon, rue des Avocats, la première en 1823, la seconde en 1831[i].
[i] Catherine Charlotte et Agnès Esprit étaient les filles de Charles Jules de Damas, comte de Cormaillon, seigneur de Fain-les-Montbard et de Courcelles-sous-Grignon, époux de Jacqueline Dubois d’Aisy. Catherine Charlotte est née à Fain, le 17 février 1755 et décédée le 9 janvier 1823, à Châtillon. Agnès Esprit est née à Fain, le 30 décembre 1748 et décédée à Châtillon, le 19 septembre 1831. Le fils de Charles, leur frère, fut ministre des Affaires étrangères et ministre de la Guerre.
Si les chapitres de dames nobles furent souvent un refuge pour des cadettes de famille nobles peu fortunées, ceux-ci n’en étaient pas moins des lieux de sociabilité, ayant exercé une fonction sociale, religieuse et éducative pour nombre de jeunes filles au XVIIIe siècle.
Dominique Masson
Sources :
Imprimées : - almanach astronomique et historique de la ville de Lyon et des provinces du lyonnais, Forez et beaujolais ; 1771, etc. - Chastenay (madame de) : Mémoires, 1771-1815 ; 2 tomes ; publiés par Alphonse Roserot ; Paris, Plon, 1896 - Ducas : nobiliaire universel de France, ou recueil général des généalogies historiques des maisons nobles de ce royaume ; Paris ; tome 21 -Kastener Jean : la dernière chanoinesse d’Epinal, madame de Chastenay (1771-1855) ; la Révolution dans les Vosges, bulletin du comité départemental des Vosges pour la recherche et la publication des documents économiques de la Révolution française ; 19e année ; 1930-1931 ; Epinal, 1931 - Marchal Corinne : l’éducation et la culture des chanoinesses nobles dans la France du XVIIIe siècle ; mélanges offerts à Roger Marchal ; Nancy, 2007 -Sécularisation et statuts du noble chapitre de Neuville les Dame, en Bresse ; Lyon, 1756
Internet : - Bécourt d’Hénin Danielle :https://leschanoinessesdalix.jimdo.com - Bibliothèques et médiathèques intercommunales d’Epinal - Histoire des chanoinesses-association église Saint-Maurice de Neuville : www.asso-eglise-saint-maurice.fr
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Commentaires
Quel travail intéressant Mr Masson, bravo!!!
jmb