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"Proudhon modèle Courbet" une pièce de théâtre extraordinaire qui a ébloui les Châtillonnais !
Mardi soir 15 janvier : la Franche-Comté et la Bourgogne ont eu rendez-vous à Châtillon-sur-Seine !
Deux génies de Franche-Comté, le philosophe Proudhon et le maître Courbet se sont retrouvés pour se quereller sur les planches bourguignonnes du Théâtre de Châtillon-sur-Seine.
Une magnifique pièce théâtrale signée de la compagnie bisontine BACCHUS (jouée notamment au Musée d’Orsay).
Le tout pour célébrer avec légèreté, finesse et humour, l’entrée dans le Bicentenaire de la naissance du célèbre peintre d’Ornans.
Catherine Miraton, Directrice du TGB a eu la grande joie de présenter à une salle comble, la pièce de théâtre de Jean Pétrement, de la Compagnie Bacchus de Besançon : "Proudhon modèle Courbet".
Dans la salle se trouvaient aussi les élèves de terminale "Théâtre", du Lycée Anna-Judic de Semur en Auxois, ainsi que Jacques Senelet, de la Compagnie des Gens qui les initie au jeu théâtral et les fait travailler.
Lorsque le rideau rouge s'ouvre, nous apercevons une superbe jeune femme, modèle d'un peintre qui travaille, derrière elle, à une très grande toile.
Le peintre se nomme Gustave Courbet, la jeune femme c'est Jenny, sa maîtresse modèle, qui l’a accompagné dans la vallée de la Loue.
En effet, en ce début de l'année 1855, Gustave Courbet maître peintre, travaille à Ornans, son village natal, sur L’Atelier, une oeuvre qu’il veut présenter à l’Exposition Universelle de Paris.
Le peintre est admiratif de son compatriote franc-comtois, "l'anarchiste" Pierre-Joseph Proudhon. Il aimerait que ce dernier rédige pour lui un livret pour l’Exposition et/ou pour son “Pavillon du Réalisme”, car il ne se sent pas capable de le faire lui-même, il l'invite donc chez lui, à Ornans.
Proudhon, qui rend régulièrement visite à sa famille bisontine, accepte l’invitation de Gustave Courbet.
Le voilà qui arrive dans l'atelier du maître-peintre.Ce dernier lui présente la toile qu'il est en train de réaliser, toile qu'il intitulera "L'atelier".
"Me voilà lancé dans un immense tableau, vingt pieds de large, douze de haut, peut-être plus grand que "l'enterrement", ça f'ra voir que je ne suis pas encore mort, et le réalisme non plus, puisque réalisme il y a"
"ben alors, alors...qu'est ce que t'en penses ?"
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hélas, Proudhon ne se montre guère enthousiaste :
"Ce que j'en pense ? mauvais...mauvais Courbet, mauvais...."
Le dialogue s'envenime, Proudhon reprochant à Courbet de vouloir ressembler à d'autres peintres comme Rembrandt, de tricher puisqu'il se met au centre de sa peinture...
Un dialogue auquel se joint Jenny, la femme modèle émancipée .
-"Et moi , j'suis rien ! j'suis réelle, moi ! n'est ce pas Monsieur le grand philosophe ?"
-"Excusez-moi, mademoiselle, mais la femme n'est pas seulement autre que l'homme, elle est moindre, son sexe constitue une faculté en moins. Là où la virilité manque le sujet est incomplet."
et Proudhon, en vrai misogyne, lui rétorque :
"La vraie dignité des femmes est dans le ménage. Il y a antipathie profonde entre l'état familial et l'égalité des sexes. Aussi bien loin d'applaudir à ce qu'on appelle aujourd'hui l'émancipation de la femme, inclinerais-je bien plutôt à mettre la femme en réclusion"
(Murmures dans la salle !!!)
Jenny, furieuse s'éclipse, Courbet va pouvoir alors présenter sa requête à Proudhon...
Et voici laquelle : Le Directeur des Beaux-arts , dans une soirée mondaine lui a demandé de présenter une esquisse de son tableau pour qu'il puisse être présenté à l'Exposition...
Aussi le peintre pense que Proudhon pourrait décrire ses tableaux , lui qui sait si bien rédiger...
Proudhon refuse tout d'abord :
"Tu n'y songes pas...n'insistes pas...je serai même assez disposé à déclarer que je n'entends absolument rien à ces choses, et que je m'en félicite."
Après un échange assez tonitruant sur la création artistique, et sur le régime bonapartiste que Proudhon excècre, ce dernier propose à Courbet de rédiger lui même son texte.
"Tu ne t'es tout de même pas imaginé que j'allais te servir de secrétaire ?"
Courbet refuse tout d'abord :
"Si c'est moi qu'écris sur moi, personne me croira ! j'suis pas écrivain, moi, et surtout pas critique, tandis qu'toi...chacun son métier...Moi, j'suis peintre ! D'ailleurs faut qu'j'm'y r'mette !"
Proudhon lui réplique alors :
"Bon, puisque je suis contraint à rester ici jusqu'à demain, j'accepte de transcrire ce qu'on pourrait intituler ton manifeste du Réalisme, bien que je ne partage pas l'engouement de certains pour ce sobriquet métaphysique "
Courbet est sorti, Proudhon lit les mots lancés sur son papier par Courbet, tandis que Jenny, tente de le séduire....
Proudhon :"Vous ne me plaisez pas...arrêtez ce jeu stupide "
Jenny :"Menteur, vous êtes terrifié monsieur le philosophe ! c'est normal, vous ne fréquentez que des ménagères qui ne se dénudent pas !"
Courbet revenu, entre en scène un ami du peintre, Georges le braconnier...
"J't'avais promis l'casse-croûte, et ben le v'la Pâté de livre qu'a mariné toute la journée, un beau morceau de Comté et une p'tite absinthe ! C'est pas beau la vie !"
Courbet présente Proudhon à Georges, celui-ci s'approche alors de l'anarchiste et lui crie agressivement :
"Proudhon, Proudhon ! de Besançon ? c'est pas vous qu'avez dit qu'la propriété c'est le vol ??"
Proudhon répond : "Je l'ai écrit effectivement...Mais j'ai également développé les arguments de la propriété associée à la liberté..."
Georges :"La propriété, c'est le vol ou la liberté ?"
Proudhon : Heu...c'est un problème complexe le vol quand il s'agit du capital, de l'église, de l'état et c'est la liberté quand il s'agit de la terre des paysans, de la maison des ouvriers, de la boutique du commerçant"
Georges qui est bonapartiste, accuse Proudhon d'être un politicard, un républicain. Ce dernier lui rétorque qu'il est républicain...mais surtout anarchiste..
Georges s'énerve de plus en plus, Jenny est obligée de le calmer :
"Ne vous énervez pas comme ça Jojo ! Monsieur Proudhon est un anarchiste du juste milieu. Oui, libéral et libertaire. Il crie contre les hauts barons du capital mais il veut réédifier la haute baronnie du mâle sur la vassale femelle. Son programme devrait vous convenir, non ?"
Courbet déclare à Jojo :
"Regarde cet homme, c'est mon ami ! Il a fait trois ans d'prison à cause de c'nabot ! et trois ans c'est long !
C'est Pierre-Joseph Proudhon, né à Besançon en 1809, ouvrier imprimeur qu'est d'venu l'plus grand philosophe du siècle, journaliste, polémiste, révolutionnaire qu'ton Napoléon a dû enfermer pour l'faire taire, ouais, mais ça n'a pas suffit...."
Proudhon alors s'écrie :
"Ça suffit Courbet, ça suffit, tu l'auras ton papier !"
Le ton monte encore d'un cran, au sujet du "mutuellisme" que Georges pense être ...un ami de Proudhon !
Celui-ci explique alors :
"C'est la force collective qui se dégage du travail en commun. Cette force immense qui résulte de l'union et de l'harmonie des travailleurs, de la convergence et de la simultanéité de leurs efforts"
Les compères demandent à Jenny d'apporter des "p'tiots verres à goutte" pour pouvoir trinquer avec l'absinthe, et même l'austère Proudhon s'y met....
Georges toujours bien énervé (l'absinthe n'y est pas pour rien !) s'écrie :
"Alors c'est comme quand qu'on fait les foins chez les uns pis chez les autres....Vous n'avez pas inventé la queue aux cerises ni la ficelle à la morteau là, Monsieur Proudhon, avec votre moutouellisme, nous qu'y'a déjà longtemps qu'on en fait du moutouellisme, pis sans l'savoir, alors...."
Et Proudhon, en partant lui réplique :
"Georges, je suis né et j'ai été élevé au sein de la classe ouvrière, comme vous, je lui appartiens encore par le cœur mais surtout par la communauté des souffrances et des vœux...Ma plus grande joie serait de pouvoir travailler sans relâche par la philosophie et par la science à l'amélioration intellectuelle et morale de ceux que je me plais à nommer mes frères...."
La salle a applaudi à tout rompre cette magistrale pièce de théâtre qui nous a fait connaître deux personnages "monstres sacrés" de leur temps.
De longues recherches ont été faites par l'auteur Jean Pétrement (qui interprétait Proudhon), sur cet anarchiste qui a marqué son époque. La majorité des paroles de Proudhon sont en effet tirées de ses écrits.
Jean Pétrement nous a très bien montré un Proudhon moraliste et austère, face à un truculent Courbet qui ne pense qu'à la peinture et au sexe, une confrontation pleine d'humour qui a ravi le public...et la touche d'émancipation de Jenny a bien plu !
Beaucoup de rappels pour ce spectacle inoubliable, bravo à toute la troupe de la Compagnie Bacchus.
Après le spectacle, nous avons pu rencontrer les merveilleux acteurs :
Alain Leclerc dans le rôle de Courbet
Yves Jeanbourquin dans le rôle de Georges le braconnier :
Juliette Cardinski dans le rôle de Jenny :
Et Jean Pétrement dans le rôle de Proudhon :
Les textes en vert sont tirés du livre de Jean Pétrement, que celui-ci a dédicacé aux spectateurs enthousiastes.
J'avais fait la connaissance de Jean Pétrement lors de la présentation de sa nouvelle pièce "Exil pour deux violons" qu'il mettait au point lors d'une résidence du TGB, salle Kiki de Montparnasse.
Cette pièce sera j'en suis absolument sûre, aussi éblouissante que "Proudhon modèle Courbet", vivement 2020 pour que nous puissions !'applaudir au TGB !!
Voici l'article que j'avais publié à cette occasion :
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