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L'histoire du moulin de Gomméville, par Jean Verniquet...
Lors d'une réunion de famille, notre cousin Jean Verniquet, dont la famille possédait autrefois le Moulin de Gomméville, m'a confié avoir écrit l'histoire de son moulin familial, agrémentée de photos.
La consultant, j'ai trouvé cette étude très intéressante car les moulins font partie du patrimoine du Châtillonnais et bien que ne fonctionnant plus, il est bon de s'en souvenir.
A ma demande, il a accepté de me donner son étude pour que je la publie, merci à lui.
L'histoire du moulin de Gomméville paraîtra en cinq épisodes, les lundis.
En voici la première partie :
"C’était un moulin ! Quand j’ai cessé de faire de la farine, j’ai fait de l’électricité pour mes besoins, ma lumière mon chauffage… tout ça, quoi !Je produis une force motrice, je prends de l’eau mais je redonne tout. On est quitte ! "
(Le déversoir, le moulin en 1999)
C’est en ces termes que mon père Marius Verniquet (1905-1997) présentait son « royaume » dans l’émission "Carré Vert de France 3 (l’enfance d’un fleuve-1992)".
Sa dernière phrase, un peu malicieuse, faisait allusion au droit d’usage attaché au site depuis des siècles.
Au Moyen-Âge, l’abbaye de Clairvaux possédait un établissement religieux à Gomméville. Un pré, situé en aval du moulin porte toujours ce nom. (A cet endroit, en 1960, à la suite des travaux de curage de la Seine, j’ai moi-même extirpé un élément de colonne romane des graviers rejetés par la pelleteuse)
Avant la Révolution, ce bien appartenait aux bénédictins de Pothières.
Selon un procès verbal du 5mars 1791, le moulin avait été adjugé comme Bien National, « avec ses biefs, sous-bief et toutes ses dépendances » au profit d’un certain Louis Gradot.
En 1801, Edme Verniquet (1772-1851) le grand-père de mon arrière-grand père*, était meunier à Gomméville. Il acheta le moulin en 1816.
Dans cette vaste famille, un « Edme » peut en cacher un autre… on en compte au moins sept depuis 1595, tous originaires de Châtillon ou de ses environs, maîtres charpentiers ou arpenteurs du roi.Celui-ci était né à Thoires où ses parents (Nicolas Verniquet et Marguerite Arbelot) étaient meuniers.Un autre s’était marié à Belan sur Ource en 1763. C’était son arrière petit cousin, architecte et auteur d’un Grand Plan de Paris magistral, détaillant l’ensemble des rues et des bâtiments du Paris de l’Ancien Régime. Ce dernier n’eut qu’une fille qui resta sans enfant.
*4 enfants sont nés à Gomméville, de son mariage avec Anne Garnier. Leur fils aîné Denis (1801-1882) devint prêtre, le second Jean-Baptiste (1807-1844) fut meunier à Gomméville. La troisième Anne, épousa le meunier de Molesme, Jacques Bourdot. La cadette, Victorine, épouse de Edme Ronot à Pothières était la grand-mère de Paul Terrillon (1887-1967) fondateur de la Société des Emballages (bois et contreplaqués) de Mussy.
Le Règlement d’eau de 1832
Edme Verniquet contemple le nouveau pont de pierre dont la construction s’achève, très élégant avec ses cinq arches et son parapet gracieusement galbé, sur lequel sont gravés les 4 chiffres 1.8.2.3. au droit de chacune des piles. Il se propose de rénover ses installations.
Deux vieilles roues à aube, décalées l’une par rapport à l’autre, actionnent les meules d’une huilerie et d’un moulin à blé installés dans de vieux bâtiments, sur la rive droite de la Seine.
(La vieille roue à aubes en 1933)
L’autorisation de transférer son moulin à huile de la rive droite à la rive gauche lui est accordée par l’ordonnance royale du 4 février 1832 qui établit aussi le Règlement de l’Eau.
Des prescriptions sont imposées concernant les niveaux d’eau, la hauteur et la largeur des vannes motrices et des vannes de décharge, leur manœuvre en cas de crue, ainsi que l’entretien du site.
" Louis-Philippe, Roi des Français à tous presens et à venir, Salut !
Nous ordonnons ce qui suit (notamment)
(Art 3) Le Sieur Verniquet arasera exactement au même niveau toutes les parties deson déversoir… et l’entretiendra toujours dans le même état sans y laisser former d’atterrissements…
« (Art5)Il pourra conserver les anguillères qui existent au point F, mais il devra détruire toutes celles du vannage de ses usines.
« (Art 13) Les plantations et anguillères qui obstruent les déversoirs seront enlevées dans les délais qui seront fixés par le Préfet
« (Art 16) Faute par le Sieur Verniquet de se conformer aux conditions qui lui sont imposées, la présente ordonnance sera considérée comme non avenue et les lieux seront remis, à ses frais, dans leur premier état."
Gomméville est un village inondable. Ces prescriptions tendent plus à garantir l’écoulement des eaux en cas de crue qu’à favoriser la migration des poissons. A l’époque, la rivière est si poissonneuse, des brochets, des anguilles, des truites. Cette question ne se pose pas.
En 1838, Edme a 66 ans, il remet son affaire à son fils Jean-Baptiste, mais celui-ci décède en 1844 à l’âge de 37 ans.
Arsène(1840-1915) son petit gars est bien trop jeune pour prendre la relève, sa maman se remarie.
Le moulin est vendu à monsieur Maître de Châtillon en 1850.
Arsène va grandir et faire l’apprentissage du métier dans diverses localités de l’Aube. Fort de son expérience, il revient à Gomméville en 1870 pour exploiter le moulin natal en qualité de fermier.
Il entre alors dans un moulin tout neuf. Quinze ans plus tard, il sera le régisseur des biens d’Achille Maître et ira habiter Châtillon .
(Le rouet de fosse en 2008)
Une rénovation totale
Un immeuble de quatre étages, très fonctionnel, vient d’être érigé au bord de la route, sur les fondations des anciennes constructions ; des bâtiments annexes sont aménagés de chaque côté du bief. La roue de l’huilerie a été remontée sur la rive gauche, ainsi que l’atteste le Procès-Verbal de recolement de 1859.
Cependant la puissance hydraulique installée reste faible. En 1869, l’Ingénieur des Ponts et Chaussées accorde l’autorisation d’élargir les vannes motrices de 2m (soit 50%) ce qui réduit d’autant la largeur du vannage de décharge pour le passage de l’eau en cas de crue.
Les habitants du bas du village craignent d’être inondés, la contestation s’installe.
Achille Maître concède à la Commune une prise d’eau dans le bief, pour l’alimentation du nouveau lavoir, ce qui calme les esprits.Sur la rive droite, une turbine horizontale Fontaine toute récente remplace la roue à aubes. Le rendement énergétique est bien meilleur mais c’est dangereux pour les anguilles qui peuvent se faire tronçonner par le rotor*
*Pour autant, je ne crois pas que les moulins et leurs barrages soient la cause majeure de la disparition des anguilles. Dans les années trente on pouvait acheter des anguilles vivantes au moulin. Mes grands-parents les conservaient dans un bassin alimenté par l’eau de la Seine dans la cave du moulin.
A côté du moulin à blé, cette turbine peut actionner un battoir que la maison Dhotel-Montarlot a monté dans l’annexe au bord de la route, ainsi qu’un banc de sciage à lame circulaire qui peut débiter en solives et en chevrons des arbres longs de six mètres.
(Transmission au sous-sol)
(La pause au battage en 1935)
Quelques années plus tard, sur la rive gauche, l’huilerie sera arrêtée et sa meule utilisée pour le broyage de granulats provenant des fours à chaux qui fonctionnent sur les coteaux (D’où l’appellation "cimenterie" longtemps donnée à ce local)
De nouvelles machines de meuneries sont installées :
Décortiqueur, trieur, tarare pour le nettoyage et la préparation des grains à moudre.
Appareils de broyage à cylindres cannelés ou lisses
Bluteries rotatives pour le tamisage des moutures, elles sont équipées de toiles dont les mailles sont de plus en plus fines, d’abord mécaniques puis en soie.
Le rebouchage des trous de mites dans les soies de blutage avec de la colle à farine était un travail pour les enfants du meunier.
Des élévateurs à godets, des vis d’Archimède, ainsi qu’un monte-sac mécanique permettent le transfert des différents produits d’une machine et d’un étage à l’autre.
Les conditions de travail sont dures dans ce grand bâtiment glacial en hiver, avec cette poussière impalpable qui emplit les poumons : les meuniers sont asthmatiques, c’est bien connu.
(la commande de la scierie en 2008)
Deux paires de meules en pierre cerclées de fer grondent dans leur caisson cylindrique en bois.L’une est dédiée à la fabrication de pouture (mouture d’orge et d’avoine pour les animaux), l’autre écrase du blé suivant le principe ancestral de la « mouture à façon », encore très pratiqué pour la fabrication du pain familial.
Le cultivateur apporte son grain au moulin et repart avec sa farine. Il s’agit d’une mouture grossière tamisée par passage au « bluteau ». Le meunier se rémunère en nature en prélevant 5 à 10% du grain à moudre.
Le cultivateur a le choix de faire son pain lui-même s’il dispose d’un four, ou de porter sa farine chez le boulanger qui se rémunère au passage en nature lui aussi.
Il y a aussi la possibilité d’un circuit direct blé-farine-pain ;
C’est pratique : pas de papiers, pas de taxes, pas de sous, avec du pain « bio » et complet en prime.
(transmission au premier étage)
La scierie fonctionne sur le même principe. Les gens apportent des arbres qu’ils ont parfois abattus eux-mêmes.
Ce sont souvent de mauvais sapins, noueux, qui serrent la lame en se tordant, c’était très dangereux.
Dans les années cinquante, mon père faisait cela pour rendre service occasionnellement. Le bruit strident de la lame qui entrait dans le bois à pleine puissance me faisait peur.
(banc de sciage en 2008)
La suite, lundi prochain !
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Commentaires
La turbine horizontale est elle toujours visible??