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Gaston Couté, immense poète et chansonnier solognot, hélas bien oublié...
(Portrait par Jean Lébédeff)
Depuis qu'un guide solognot nous a fait connaître Gaston Couté, lors de la visite de la "Maison du braconnier", j'ai lu tous ses poèmes et ses chansons et j'ai découvert un artiste exceptionnel , bien oublié de nos jours, que c'est dommage !
Quelques mots de sa biographie :
Gaston Couté naquit le 23 septembre 1880 à Beaugency, son père était meunier au moulin de l'Ay.
Après le certificat d'études, il fréquenta les écoles de l'Ay, de la Nivelle, de la Monnaye, puis entra au lycée Pothier d'Orléans où il fit connaissance de Pierre Dumarchey, qui plus tard prendra le nom de Pierre Mac Orlan.
Son père le destinait à entrer dans l'Administration, mais Gaston Couté préféra "la bohème"...
(BNF-Gallica)
Est-ce ce Pierre Dumarchey, alias Pierre Mac Orlan, qui l'incita à partir pour Paris, à fréquenter les cabarets de la Butte Montmartre ?
Couté écrivait déjà à seize ans de bien beaux poèmes, mais il se spécialisa plus tard dans les chansons engagées, car il se rebellait contre les injustices de la vie.
Il se produisit dans les cabarets montmartrois comme l'Âne Rouge, Al Tartain, le Funambule, les Noctambules, le Grillon, etc... où il remporta très vite du succès.
Il venait aussi s'attabler au Lapin Agile, pour retrouver son ami Mac Orlan, c'est là qu'il connut, entre autre Roland Dorgelès, Max Jacob et....Francis Carco !
Dans ses chansons, il faisait vivre dans une langue patoisante, très forte, le monde des réprouvés, des exclus, c'était le digne héritier de Béranger.
(Portrait tiré du site "Hypothèses")
Hélas, Gaston Couté se brûla les ailes aux lumières de la ville.
Il se nourrissait mal, buvait trop d'absinthe.
Il attrapa la tuberculose et mourut à l'hôpital Lariboisière à seulement 30 ans....
(Dessin par Jules Grandjouan)
Ses poèmes furent imprimés sous le titre d'un de ses textes '"Le gâs qu'a mal tourné", un texte qui paraît finalement très actuel...pas grand chose n'a changé...
LE GAS QU'A MAL TOURNE
Dans les temps qu'j'allais à l'école,
- Oùsqu'on m'vouèyait jamés bieaucoup, -
Je n'voulais pâs en fout'e un coup ;
J'm'en sauvais fér' des caberioles,
Dénicher les nids des bissons,
Sublailler, en becquant des mûres
Qui m'barbouillin tout'la figure,
Au yeu d'aller apprend' mes l'çons ;
C'qui fait qu'un jour qu'j'étais en classe,
(Tombait d' l'ieau, j'pouvions pâs m'prom'ner !)
L'mét'e i'm'dit, en s'levant d' sa place :
« Toué !... t'en vienras à mal tourner ! »
Il avait ben raison nout' mét'e,
C't'houmm'-là, i'd'vait m'counnét' par coeur !
J'ai trop voulu fére à ma tête
Et ça m'a point porté bounheur ;
J'ai trop aimé voulouér ét' lib'e
Coumm' du temps qu' j'étais écoyier ;
J'ai pâs pu t'ni' en équilib'e
Dans eun'plac', dans un atéyier,
Dans un burieau... ben qu'on n'y foute
Pâs grand chous' de tout' la journée...
J'ai enfilé la mauvais' route!
Moué ! j'sés un gâs qu'a mal tourné !
A c'tt' heur', tous mes copains d'école,
Les ceuss' qu'appernin l'A B C
Et qu'écoutin les bounn's paroles,
l's sont casés, et ben casés !
Gn'en a qui sont clercs de notaire,
D'aut's qui sont commis épiciers,
D'aut's qu'a les protections du maire
Pour avouèr un post' d'empléyé...
Ça s'léss' viv' coumm' moutons en plaine,
Ça sait compter, pas raisounner !
J'pense queuqu'foués... et ça m'fait d'la peine
Moué ! j'sés un gâs qu'a mal tourné !
Et pus tard, quand qu'i's s'ront en âge,
Leu' barbe v'nu, leu' temps fini,
l's vouéront à s'mett'e en ménage ;
l's s'appont'ront un bon p'tit nid
Oùsque vienra nicher l' ben-êt'e
Avec eun' femm'... devant la Loué !
Ça douét êt' bon d'la femme hounnête :
Gn'a qu'les putains qui veul'nt ben d'moué.
Et ça s'comprend, moué, j'ai pas d'rentes,
Parsounn' n'a eun' dot à m'dounner,
J'ai pas un méquier dont qu'on s'vante...
Moué ! j'sés un gâs qu'a mal tourné !
l's s'ront ben vus par tout l'village,
Pasqu'i's gangn'ront pas mal d'argent
A fér des p'tits tripatrouillages
Au préjudic' des pauv'ers gens
Ou ben à licher les darrières
Des grouss'es légum's, des hauts placés.
Et quand, qu'à la fin d'leu carrière,
l's vouérront qu'i's ont ben assez
Volé, liché pour pus ren n'fére,
Tous les lichés, tous les ruinés
Diront qu'i's ont fait leu's affères...
Moué ! j's'rai un gâs qu'a mal tourné !
C'est égal ! Si jamés je r'tourne
Un joure r'prend' l'air du pat'lin
Ousqu'à mon sujet les langu's tournent
Qu'ça en est comm' des rou's d'moulin,
Eh ben ! I'faura que j'leu dise
Aux gâs r'tirés ou établis
Qu'a pataugé dans la bêtise,
La bassesse et la crapulerie
Coumm' des vrais cochons qui pataugent,
Faurâ qu' j'leu' dis' qu' j'ai pas mis l'nez
Dans la pâté' sal' de leu-z-auge...
Et qu'c'est pour ça qu'j'ai mal tourné !...
Gaston Couté eut de nombreux interprètes : Édith Piaf, René-Louis Lafforgue, Pierre Brasseur, Francis Cover, Claude Réault, Yves Deniaud, Monique Morelli et, plus récemment, Gérard Pierron, Bernard Meulien et le regretté Marc Ogeret ( qui choisit le Châtillonnais pour vivre des derniers jours....)
Georges Brassens s'en est quelquefois inspiré...
Gaston Couté repose au cimetière de Meung sur Loire.
Une statue lui est consacrée :
(cliché "Les Melloures")
Cent treize ans après sa mort, Gaston Couté n’a pas pris une ride, ses vers sont loin d’être démonétisés, validés qu’ils sont chaque fois, à chaque époque, par l’actualité du moment qui ressemble comme une sœur à celle de la veille.
Il suffit d’une présidentielle ou de tout autre vote pour que, non sans raison, reviennent à notre mémoire Les Électeurs et ses vach’s, ses moutons, ses oué’s et ses dindons qui breum’nt, bél’nt, glouss’nt « tout comm’ les gens qui votent ».
À chaque remembrement s’impose d’évidence Les Mangeux d’terre...
Quelqu’en soit la technologie utilisée, Le Fondeur de canons gagne toujours de quoi bouffer en fabriquant de quoi tuer.
Et, chaque jour, le flot d’actualités nous informe de la probité contrariée de nos élus, qu’ils soient ministres, députés ou maires :
« Ohé là-bas ! Monsieu le Maire / Disez-moué donc pourquoi donc faire / Qu’on arrête les chemineux / Quand vous vous n’êtes qu’un voleu / Et peut-être bien pis encore / Le gouvernement vous décore ».
Ses indignations et révoltes d’alors débutent pareillement le nôtre, avec des mots qui toujours entrent en résonance.
Au-delà de la qualité intrinsèque de ses poèmes, c’est dans cette prégnance, cette pertinence, qu’il faut voir et comprendre le succès posthume de ce poète crotté qui, bien qu’absent de toute anthologie, de tout dictionnaire, de tout Panthéon, caracole encore dans la poésie chansonnière, à la manière d’un François Villon, à la manière d’une mauvaise herbe entre des pavés trop bien ordonnés.
Et dont l’œuvre est sans cesse imprimée, sans doute pas sur du Velin d’Arches mais sur ce papier recyclé qui épargne l’arbre et lui sied tant.
À chacun ses valeurs, à chacun sa Pléiade.
(Michel Kemper)
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