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Claude Ladrey, un grand savant châtillonnais qui s'intéressa à la viticulture.
En ce jour de "Fête du Crémant", il m'a paru important de faire connaître l'existence d'un grand savant, originaire de Châtillon sur Seine, qui s'est intéressé spécialement à la viticulture.
Le texte qui va suivre est l'œuvre d'Anne Bouhélier, elle-même viticultrice (et maire) du village de Chaumont le Bois.
Elle m'a offert son étude pour que je la publie, merci à elle pour son don généreux !
CLAUDE LADREY : UN GRAND SAVANT CHATILLONNAIS
Biographie sommaire
(Anne Bouhélier – Février 2023)
Fils d’une famille châtillonnaise
Claude Ladrey est né le 9 octobre 1823 à Châtillon sur Seine.
Issu d’une famille d’artisans-commerçants établie de longue date dans le Châtillonnais, rien, à priori, ne semblait prédestiner le jeune garçon à une carrière scientifique de haut niveau.
Claude et ses parents résidaient rue de l’Isle, au cœur du quartier commerçant de Châtillon où son père exerçait la profession de coiffeur (la maison natale de Claude Ladrey a été détruite lors des bombardements de la ville en 1940).
La famille Ladrey appartenait à la classe populaire et laborieuse dont les revenus sans être misérables étaient modestes.
Toute sa vie, Claude Ladrey a gardé un attachement pour sa ville natale.
Le collège de Châtillon : les débuts d’une brillante scolarité
A l’âge de 9 ans, Claude Ladrey entre au collège de Châtillon. On venait tout juste d’y créer une classe de philosophie et de mathématiques qui permettait de préparer les deux baccalauréats de lettres et sciences.
Il était relativement rare qu’un enfant des milieux populaires fréquente une classe du secondaire (à cette époque, en Côte d’Or, il n’y avait que de 3% des garçons de 8 à 18 ans qui accédaient aux études secondaires).
Sa vocation de scientifique se révèle grâce à deux professeurs hors pair du collège de Châtillon : « son vénéré maître » Edme Voizot(savant autodidacte, ami de Désiré Nisard) et Eusèbe Gris (pharmacien, éminent botaniste qui mit en évidence l’action du sulfate de fer sur la chlorose des plantes).
Ils vont l’inciter à poursuivre des études supérieures pour lesquelles il montrait des aptitudes exceptionnelles.
A 18 ans, il est reçu bachelier (en Côte d’Or, seuls 42 candidats sur 111 ont été reçus cette année-là).
En 1883, lorsqu’à la fin de sa vie, il fut invité à présider la distribution annuelle des prix aux élèves du collège de Châtillon-sur-Seine, il fit un discours mémorable qui évoquait quelques-uns de ses souvenirs au collège de sa ville natale et affirmait son attachement à l’idée de méritocratie qui reflétait son parcours personnel :
« Appliquez-vous donc à mériter et vous finirez toujours par obtenir ».
L’Ecole Normale supérieure : dans le cercle des élites
A 21 ans, Il est reçu à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) à Paris.
Il prépare les trois licences scientifiques (mathématique, physique et sciences naturelles) et est reçu premier à l’agrégation de physique en 1848.
Il reste à l’ENS où il débute sa vie professionnelle comme préparateur de chimie et de conservateur des collections d’histoire naturelle.
Pendant ce temps, il prépare son doctorat de sciences et présente une thèse de physique et une thèse de chimie.
Durant ses années à l’ENS, il devient ami avec Louis Pasteur, qui est d’un an son ainé et qui étudie les mêmes disciplines.
Ils resteront en contact tout au long de leur carrière.
Claude Ladrey sera un soutien et un fervent défenseur des idées de Pasteur.
De son coté, Pasteur ne manquera pas de mettre en valeur les travaux de son ami Ladrey.
Ainsi, c’est Pasteur qui présentera les recherches de Ladrey à la très sérieuse Académie des Sciences de Paris.
De même, Lorsqu’il publiera sa célèbre « Etude sur le vin et ses maladies », il fera plusieurs fois référence aux publications et expérimentations de Ladrey.
Transcription :
Mon cher Pasteur,
Je trouve ta lettre en rentrant de la séance de notre société d’agriculture et je m’empresse de t’envoyer à la hâte les indications que tu me demandes. Je dois d’abord te remercier de t’être occupé de moi et d’avoir appelé l’attention du Comité sur ce que j’ai cherché à faire ici dans l’intérêt des applications de la chimie à la viticulture.Une brillante carrière de professeur à Dijon
En 1851, Claude Ladrey épouse Elisabeth Défontaine, fille d’un marchand tanneur de Dijon.
En 1852 nait leur fille unique Marie Vorlette (un prénom bien châtillonnais ! )
La vie familiale l’amène à quitter Paris pour revenir vivre en Bourgogne.
En 1852, il obtient le poste de professeur de la chaire de chimie à la faculté de sciences de Dijon.
Il occupera ce poste jusqu’à sa retraite.
Il passera également le diplôme de pharmacien et enseignera la pharmacie et la toxicologie à l’école de médecine.
Fondateur de l’enseignement de l’œnologie en Bourgogne
Décrit comme ayant « une rare facilité de travail et d’assimilation…tous les problèmes scientifiques de la vie pratique l’attirent et le passionnent tour à tour ».
Vivant dans la capitale de la Bourgogne, c’est tout naturellement qu’il va s’intéresser aux problèmes de la vigne et du vin.
Il n’existait pas à cette époque d’organisme dédié à la science du vin c’est-à-dire à l’œnologie (terme qui apparait au 19e siècle).
Jusqu’à cette période, la transformation du jus de raisin en vin était un phénomène mystérieux.
La nature et le rôle des micro-organismes dans le processus de la fermentation alcoolique n’étaient pas connus.
C’étaient essentiellement les agronomes qui s’intéressaient à cette question, leur approche était très empirique.
De nombreux défauts et maladies affectaient les vins mais on ne savait pas y remédier.
Le milieu du 19e siècle connait un grand changement avec l’émergence de l’œnologie scientifique.
Chimistes et biologistes sont les acteurs de ce tournant.
Pasteur est le premier à ouvrir la voie par ses travaux révolutionnaires sur le mécanisme biologique des fermentations.
Il démontre que, contrairement à l’idée fortement ancrée à cette époque, la théorie de la génération spontanée n’existe pas mais que la fermentation est liée à la présence d’éléments vivants infiniment petits.
Ladrey sera lui aussi un homme marquant de cette période charnière en participant à cette nouvelle science qui se construit.
Il va largement contribuer à l’affinement des connaissances scientifiques sur le vin.
Il réalise des études sur les procédés pour l’amélioration et la conservation des vins ; fait des recherches sur l’action de l’air sur les vins, sur l’influence de la durée du cuvage sur la qualité des vins, sur l’influence de la dimension des futailles et de la température sur les vinifications, sur les engrais propres à la vigne…
Dès 1856, il ouvre, en plus de ses cours aux étudiants, un cours populaire de chimie appliquée à la viticulture et à l’œnologie.
Ce cours du soir, dispensé à un large public,connaitra un grand succès.
« Il a l’expression nette et la démonstration claire,il est aussi aimable qu'utile à entendre » disait un chroniqueur de son temps.
Son talent de vulgarisateur, sa capacité à diffuser les nouvelles connaissances scientifiques en montrant leurs applications concrètes pour la viticulture lui vaudront une grande notoriété.
Il est à l’origine de la vocation œnologique de la Faculté de Sciences de Dijon.
A la demande des propriétaires de vigne, il se rendra à Beaune pour « éclairer et instruire » les professionnels par une série de conférences.
L’école normale primaire de Dijon lui confiera la mission d’enseigner la viticulture aux futurs instituteurs.Il fondera en 1874, la station agronomique et œnologique de Dijon dont il sera le 1er directeur, cet établissement était dédié aux travaux de laboratoire.
Un écrivain du vin
Son œuvre de vulgarisation et de diffusion des nouvelles connaissances trouvera un prolongement par de nombreuses publications.
Entre 1859 et 1864, il fait paraitre une revue mensuelle intitulée « La Bourgogne, revue œnologique et viticole » puis « La revue viticole : annales de la viticulture et de l’œnologie française et étrangère » qui inspirera de nombreux autres auteurs.
Le but de cette publication, dit Ladrey, est destinée à éclairer, à instruire d'une manière permanente le vigneron, le propriétaire, le négociant,le consommateur.Elle recueillera tous les faits importants, elle enregistrera toutes les observations sérieuses, elle discutera les méthodes pratiques, sans négliger toutefois les considérations théoriques…
Par cette initiative, Claude Ladrey fait figure de pionnier dans le domaine de la presse spécialisée en viticulture et œnologie.En Bourgogne, une seule tentative de presse viticole avait vu le jour avant l’initiative de Ladrey, elle est dûe à Pierre Joigneaux qui publia en 1848 « le vigneron des deux Bourgognes » dont la diffusion fut stoppée dès le deuxième numéros.
On doit également à Claude Ladrey des ouvrages renommés, qui étaient de véritables références à son époque, notamment « L’art de faire le vin » et « Traité de viticulture et d’œnologie » qui seront réédités à plusieurs reprises et mis à jour durant une vingtaine d’années.
Pour l’anecdote, à l’époque où l’on ne parlait pas encore de Crémant en Bourgogne (l’appellation date de 1975 !), Claude Ladrey avait l’intuition que la production de vins effervescents méritait d’être développée en Bourgogne :
« Il y a dans cette industrie une source féconde de richesse pour la Côte d’Or » (Revue La Bourgogne, 1860, p 110).« Nous pouvons en employant les mêmes précautions, obtenir des vins semblables à ceux auxquels la Champagne doit sa réputation…La main d’œuvre peut être aussi habile ici qu’ailleurs, et là où la matière première est préférable, le produit définitif sera toujours de qualité supérieure » (revue La Bourgogne, 1859, p 187).
Claude Ladrey a laissé à la Bibliothèque municipale de Châtillon la plupart de ses ouvrages mais aussi d’importantes collections telles que les rares Annales de chimie.
Un expert dans le combat anti-Phylloxera
A la fin du 19e siècle, le vignoble connait un fléau d’un nouveau genre : le phylloxera.
Il s’agit d’un puceron qui attaque les plants de vigne, provoquant la destruction totale du vignoble.
Claude Ladrey va mettre ses connaissances scientifiques à la disposition des vignerons pour lutter contre ce ravageur.
En 1875, il publie un ouvrage « Le phylloxera : Histoire de la nouvelle maladie de la vigne ».
Membre du comité de vigilance contre le phylloxéra, il diagnostique en 1878 à Meursault l’existence de la toute première tâche phylloxérée en Côte d’Or.
Son expertise est recherchée, il donne des conférences sur le sujet dans de nombreux lieux de Bourgogne et des départements limitrophes.
En 1880, il est à Châtillon-sur-Seine, devant une assistance nombreuse, pour enseigner et alerter les viticulteurs Châtillonnais dont le vignoble est encore indemne.
Un savant reconnu
Son esprit vif et ses connaissances étendues lui permettaient de s’intéresser à de nombreuses activités.
Spécialiste du phosphore, il a apporté sa contribution sur diverses questions de santé publique et analyses médico-légales.
« Partout où se constituait une commission, partout où se formait une société savante, M. Ladrey en devenait membre par acclamation » écrit son collègue Emery.
Il était en autre :
-Membre du Conseil d'hygiène publique et de salubrité de la Côte-d'Or.
- Membre de l’Académie des sciences, arts et belles lettres de Dijon
- Correspondant de l’Académie des sciences de Montpellier
- Secrétaire du Comité central d’agriculture de Côte d’Or
- Correspondant national de l’Académie de médecine.
- Membre fondateur de la Société archéologique et historique du Châtillonnais en 1880
Pour ses travaux, il a reçu :
- La grande médaille d’or de la Société impériale et centrale d’agriculture de France (1860)
- La distinction de Chevalier de la légion d’honneur (1864)
- Le grade d’officier de l’ordre des palmes académiques
En 1883, en raison de son état de santé qui se dégrade, Claude Ladrey prend sa retraite.
Il décède à Dijon le 9 novembre 1885 à l’âge de 65 ans.
Il est inhumé au cimetière Saint-Vorles de Châtillon.
Le Journal d’agriculture dira de lui :
« M. Ladrey est un des hommes qui, pendant les 30 dernières années ont le plus contribué aux progrès des études œnologiques ».
Une rue de Dijon porte son nom, elle se trouve à proximité de l’Institut universitaire de la vigne et du vin qui forme les œnologues.
En 1933, la fille de Claude Ladrey, âgée, et sans descendance, fait don au musée de Châtillon du portrait de son père, suivant ainsi les dernières volontés de celui-ci.
Ce portrait est l’œuvre du châtillonnais,Charles Ronot qui était à Dijon directeur des Beaux-Arts à l’époque où Ladrey était professeur à la faculté des sciences.
Il est représenté en costume pourpre de professeur de sciences.
Sur sa physionomie, son collègue Emery écrira avec poésie
« il est une des plus remarquables incarnations de cette riche et généreuse nature bourguignonne ! »
Anne Bouhélier m'a indiqué ou se trouvait la tombe de Claude Ladrey, au cimetière Saint-Vorles, je suis allée la prendre en photo.
On peut y lire :
C.LADREY
PROFESSEUR DE CHIMIE
A LA FACULTÉ
DES SCIENCES DE DIJON
NÉ A CHÂTILLON
LE 9 OCT 1823
DÉCÉDÉ A DIJON
LE 9 NOV 1885
Claude Ladrey, ce grand savant, né dans notre ville mériterait bien d'avoir une rue qui porterait son nom, ne croyez vous pas ?
Comme d'ailleurs Paul Regnard, natif lui aussi de Châtillon sur Seine !
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Commentaires
1Marie-Claude RegnardLundi 20 Mars 2023 à 10:35Qu’il est agréable de découvrir vos articles sur les traditions locales et personnages historiques. Bravo pour tout ce travail et la qualité de vos articles.Répondre
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