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1919-1939 : vingt ans de trêve en Europe . L’Europe démocratique : de l’affrontement à l’apaisement 1919-1929
QUATRIÈME PARTIE
De nouveaux Etats dans de nouvelles frontières
Les nouveaux Etats créés par les traités mettant fin à la guerre mondiale, et censés devenir rapidement des démocraties parlementaires vont tous se heurter à des problèmes plus ou moins semblables :
- Frontières imposées, mal commodes, contestées (Pologne, Autriche, Hongrie, Tchécoslovaquie) conduisant à des combats courts mais sanglants. « La guerre des géants étant terminée, celles des pygmées commencèrent » (Churchill).
- Existence de minorités turbulentes, parfois plus instruites et ouvertes au changement que la majorité de la population. Parmi ces minorités une élite juive, souvent socialiste ou communiste, qui focalise toutes les frustrations (Autriche, Pologne, Hongrie)
- Une fracture politique entre les villes et les campagnes, les populations urbaines étant attirées par les partis socio-démocrates et les populations rurales par les partis conservateurs et paysans.
- La présence de milices armées au service de mouvements extrémistes. La vie politique se résume à des affrontements violents, tous les pays, à l’exception de la Tchécoslovaquie, évoluant vers des dictatures plus ou moins autoritaires.
Naissance de la Deuxième République de Pologne[1].
L’histoire de la Pologne a toujours été très compliquée. Une des raisons : jusqu’à la fin du XVIIIème siècle la Pologne était une monarchie élective.
A chaque succession, le souverain était élu par la Diète électorale qui réunissait toute la noblesse.
Dans cette assemblée se manifestaient violemment les intérêts de clans rivaux ainsi que ceux des puissances voisines. Par ailleurs le souverain était assisté par la Diète composée de deux chambres :la Chambre des Nonces avec des représentants de la petite noblesse ; un Sénat où siégeaient les grands propriétaires.
Ces chambres prenaient des décisions à l’unanimité, d’où leur impuissance.
Au XVIIIème siècle, la Pologne est partagée trois fois entre la Russie, la Prusse et l’Autriche (1772, 1792, 1795).
Le dernier partage fait disparaitre la Pologne.
Après l’éphémère Grand- Duché de Varsovie créé par Napoléon, le Congrès de Vienne rétablit les frontières de 1795.
Toutefois un « Royaume du Congrès » autour de Varsovie est mis en place et administré par la Russie. Le frère du Tsar Alexandre, Constantin, en est le vice-roi.
Chaque région partagée est administrée de façon différente : Les régions relevant respectivement de l’Allemagne et de la Russie font l’objet d’une intense germanisation ou russification.
Cela concerne l’usage du Polonais, l’éducation, et la place de l’église catholique. L’administration autrichienne est plus libérale.
Pour la plupart des Polonais, la Russie est alors le principal adversaire, l’ennemi héréditaire.
En 1914, les Polonais sont incorporés soit dans les armées des Empires centraux, soit dans celles de la Russie.
En 1917, une partie d’entre eux rejoignent les puissances de l’Entente et combattent sur le front de l’ouest.
Par ailleurs, des 1915, les armées russes sont en déroute sur le sol polonais, et les territoires conquis sont administrés par l’Allemagne et l’Autriche.
En 1916, un éphémère royaume Polonais est créé. Le 3 novembre 1918 le République polonaise est proclamée. Le pays est dans un état de misère totale[2].
Le même mois, un gouvernement provisoire est constitué à Varsovie sous la direction de Pilsudski [3]
il est composé de socialistes. Avec l’arrivée des nationaux-démocrates venant de Paris, le pianiste Paderewski est nommé Premier Ministre.
En 1919, Pilsudski est élu par la Diète chef de l’Etat. Il est également ministre de la guerre.
La constitution de 1921 introduit un régime parlementaire semblable à celui de la IIIème République française.
Pilsudski renonce à la présidence de la république en 1922. En 1923 il abandonne le commandement de l’armée, se retire sur ses terres, mais demeure un sauveur possible.
Devant l’instabilité des gouvernements, en 1926 il organise, avec le concours de l’armée, un coup d’Etat qui l’amène au pouvoir, soit comme chef du gouvernement soit comme ministre de la guerre.
C’est un régime autoritaire et paternaliste qui se met en place, les oppositions étant muselées.
En avril 1935 une nouvelle constitution sera promulguée qui renforcera les pouvoirs du président. Quelques mois plus tard, Pilsudski meurt.
La guerre russo-polonaise et les frontières orientales de la Pologne.
Quand les armées allemandes quittent le territoire polonais en novembre 1918, l’Armée Rouge prend la relève.
Elle arrive jusqu’au Bug. Il s’agit de tendre la main aux camarades allemands qui se révoltent, « en marchant sur le cadavre de la Pologne » comme dit aimablement Toukhatchevski[4].
Une contre-offensive menée par Pilsudski repousse l’Armée Rouge jusqu’à Kiev qui est occupée par les Polonais en mai 1919.
L’Armée Rouge à ce moment doit faire face à l’offensive des Blancs de Denikine dans le Kouban (borde la mer d’Azov).
Pilsudski refuse de venir en aide aux armées blanches, estimant que les bolcheviks étaient plus favorables à l’indépendance de la Pologne que les Blancs.
Une seconde offensive russe fait reculer les Polonais à la limite de Varsovie.
En juillet 1920, la Grande Bretagne menace la Russie d’intervenir en Pologne si ses troupes ne reculent pas à l’est de la ligne Curzon (Bug), définie comme frontière orientale de la Pologne.
En fait la Grande Bretagne est divisée sur la question. Le TUC – confédération des syndicats – ne veut pas venir en aide à la Pologne « Blanche ». La situation est semblable en France, pays de l’Humanité.
Au demeurant, une mission franco-britannique est mise en place : quelques centaines de conseillers militaires, dont le capitaine de Gaulle, et des livraisons de matériel.
Les Polonais parviennent à gagner la bataille de Varsovie. C’est une guerre de mouvements, subtile, où le renseignement joue un rôle primordial. Les Polonais savent décrypter les messages que l’état-major russe adresse aux unités combattantes.
En septembre 1920, les Russes demandent un armistice qui conduit à la paix de Riga en mars 1921.
La Pologne a retrouvé ses frontières de 1772, frontières difficiles à défendre. L’Ukraine, alliée de la Pologne, s’estime trahie.
Au cours de la guerre des contacts sont pris en vue d’un accord franco-polonais qui est signé en février 1921. Cet accord est censé remplacer l’alliance franco-russe.
Les frontières polonaises occidentales.
La Pologne doit avoir un accès à la mer. C’est le 13ème point de la Déclaration de Wilson.
Pour cela on crée le corridor de Dantzig (50 à 75Km de large environ), la ville même de Dantzig constituant un Etat indépendant (ville libre), ce qui avait été la solution retenue par Napoléon en 1807.
A l’est et à l’ouest du corridor, des plébiscites sont organisés dans des zones à population allemande majoritaire. Les plébiscites sont favorables au rattachement au Reich (Marienwerder et Allenstein).
La situation de la Silésie est complexe.
En 1763, la Silésie relevant de la Bohème habsbourgeoise est rattachée à la Prusse. La Haute Silésie est à la frontière allemande, tchèque et polonaise.
Les villes ont une population en majorité allemande, les zones rurales ont une population à majorité polonaise. La région de Katowice, Benthen, Gleiwitz est fortement industrialisée (charbon, fer, zinc, plomb).
Un plébiscite est organisé en mars 1921 pour mettre fin aux violences. Les résultats donnent 60% en faveur des Allemands.
A l’est – région de Katowice – les résultats sont favorables à la Pologne, grâce au vote rural. En été 1921, violents affrontements entre milices allemandes et polonaises.
La Commission interalliée décide de faire appel à l’arbitrage de la SDN. Celle-ci attribue à la Pologne la région minière de Katowice. Les régions administrées par la Pologne et à l’Allemagne bénéficient d’une vaste autonomie. Les minorités y sont protégées.
Le sud de la Silésie, peuplé majoritairement de Tchèques, est confié à la Tchécoslovaquie. La ville de Teschen fit l’objet d’un bref conflit entre la Pologne et la Tchécoslovaquie en janvier 1919. La conférence de Spa (juillet 1920) régla la question.
Le territoire fut divisé en deux.
A l’est comme à l’ouest, les frontières de la Pologne ne pouvaient qu’être source de tensions avec ses grands voisins.
Hongrie : La République des Conseils (21 mars-1er août 1919)[5] et la Régence de Horty.
Le 16 novembre 1918, la République démocratique hongroise est proclamée. Elle est dirigée par le comte Mihali Károlyi (1875-1955).
Dans son gouvernement, des ministres socio-démocrates. Au même moment le parti communiste hongrois est fondé.
Le pays est en plein désarroi. Désorganisation de l’économie, chômage, et mécontentement face à la perte de territoires imposés par la Triple Entente.
Confronté à une nouvelle demande de retrait des troupes hongroises afin de libérer une province orientale destinée à la Roumanie (Körösvideck), Károlyi démissionne le 20 mars. Il aurait « transmis le pouvoir au prolétariat ».
Le 21 mars 1919, le Conseil révolutionnaire de gouvernement est proclamé.
Il est composé de socio-démocrates et de communistes. Le nouveau pouvoir dirigé en fait par le communiste Bela Kun [6] (1886-1937) prend immédiatement des mesures visant à la collectivisation de l’économie.
Les terres sont nationalisées mais ne sont pas redistribuées comme l’avait fait Lénine.
D’où un mécontentement des paysans qui s’ajoute à une crise économique. Le régime instaure alors la dictature du prolétariat accompagnée d’une « terreur rouge » qui est marquée par de nombreuses exactions de la police (les « gars de Lénine »).
Les Alliés sont hostiles à ce nouveau régime, notamment Clemenceau.
En avril 1919 les Hongrois essaient de récupérer la Slovaquie, accordée à la nouvelle Tchécoslovaquie.
Une éphémère République des conseils slovaque est proclamée. A l’est, les Hongrois lancent une offensive préventive (avril 1919), puis une autre en juillet, contre l’armée franco-roumaine. Ces offensives sont repoussées.
Le 6 août le général Berthelot entre dans Budapest.
L’amiral Horthy[7] (1868-1957) prend alors le pouvoir.
Les dispositions visant à la collectivisation de l’économie sont annulées. Les communistes et les juifs sont les victimes d’une terreur blanche.
L’assemblée nationale décide de rétablir la monarchie élective; la République de Hongrie devient le Royaume de Hongrie (1er mars 1920). Le régime mis en place par Horthy repose sur l’aristocratie et le clergé. C’est un régime autoritaire[8], avec un semblant de démocratie parlementaire. C’est Horthy qui fait et défait les gouvernements.
Par deux fois en mars puis en octobre 1921, le roi déchu Charles IV essaie de reprendre le pouvoir de façon non violente.
Par le traité de Trianon signé le 14 juin 1920, la Hongrie passe de 290.000 km² à 93.000. Un Hongrois sur trois vit hors des frontières de Hongrie. Les Hongrois, vaincus, ne disposent pas du droit de disposer d’eux-mêmes.D’où un sentiment de frustration qui se manifeste par une politique nationaliste, antisémite[9] et peu démocratique. Il y a des élections relativement libres, mais pas d’alternance. Sur la scène internationale, la Hongrie est admise à la SDN. Elle mène une politique visant à la révision des traités.
[1]La Première République correspond à l’Etat qui réunissait la Pologne et le grand-duché de Lituanie. Cette double république couvrait également une partie de la Biélorussie et de l’Ukraine. Créée en 1569, cette république disparut en 1795 à la suite des partages successifs (1772, 1792, 1795)
[2]Le peuple polonais sous la plume de de Gaulle (la Revue de paris 1er novembre 1920). « Il faut avoir observé la foule affreuse des faubourgs….Pour mesurer à quel degré de misère peuvent atteindre des hommes…… Notre civilisation tient à bien peu de choses. …. Toutes les richesses dont elle est fière auraient vite disparu sous la fureur des masses désespérées ».
[3]Joseph Pilsudski (1867-1935) issu d’une famille lituanienne, se destine à la médecine. Etudiant, il passe 5 années dans les prisons tsaristes pour activités subversives. Il est un des fondateurs du parti socialiste polonais. A partir de 1908, il fonde des groupes paramilitaires qui participent à la guerre aux côtés des armées autrichiennes. En 1917, il se retourne contre les Autrichiens, mais est incarcéré jusqu’à la fin de la guerre. Libéré en 1918, il devient le chef des armées polonaises et le président provisoire de la Deuxième République de Pologne.
[4]Toukhatchevski(1893-1937) : général à 24 ans ; ancien compagnon de détention à Ingolstadt de de Gaulle : « La route de l’incendie mondial passe par le cadavre de la Pologne ». Signe un accord militaire avec l’Allemagne en 1926 (entrainement des forces blindées et de l’aviation en Russie contre conseillers militaires) ; est exécuté en 1938 à l’occasion des grandes purges de Staline.
[5]La Commune de Paris a duré 72 jours du 18 mars au 28 mai. Le République des conseils de Hongrie presque le double, 132 jours.
[6]Né dans une famille juive de petits bourgeois, Bela Kun, s’engage très jeune dans les rangs socio-démocrates de Transylvanie. Il est fait prisonnier par les Russes mais la Révolution bolchévique le libère. Il gagne la confiance de Lénine qui l’envoie en Hongrie pour faire de l’agitation. Il crée le parti communiste (décembre 1918) qui s’allie avec les socio-démocrates pour prendre le pouvoir en mars 1919. Il bénéficie d’abord du soutien de l’armée et des classes moyennes, mais est lâché après les revers militaires face à l’armée franco-roumaine. En août il s’exile en URSS où il joue un rôle important dans la IIIème internationale. Accusé de Trotskisme il disparait dans les purges de 1936.
[7]Issu d’une famille de magnats calvinistes, Miklós Horthy 1858-1957) sert dans la marine de la Double Monarchie. Il mène une campagne brillante contre la flotte italienne ce qui, en 1919 le conduit à commander l’armée contrerévolutionnaire. Le 1er mars 1920, il est nommé Régent de Hongrie ce qui ne l’empêche pas de s’opposer par deux fois au retour du roi Charles IV. D’abord chef d’Etat constitutionnel, Horthy met en place un régime de plus en plus autoritaire qui rapidement sympathise avec le régime nazi. Après la guerre il se réfugie au Portugal.
[8]Le 1er mars 1920, l’assemblée abolit la république et rétablit la monarchie. C’est en fait une monarchie élective, à l’image de ce que la Hongrie était du temps des premiers Habsbourg. Le Régent s’entoure d’un cérémonial monarchique
[9]Un numerus clausus limite le nombre de juifs dans certaines professions et dans l’université. Les Juifs n’ont pas le droit de vote.
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